Conseil municipal de Grenoble du 18 novembre 2002

Demande d'extension de Tolochimie et Rhodia

Intervention de Pierre Kermen, 2e adjoint à l'urbanisme et à l'environnement au maire de Grenoble pour le groupe des élus écologistes (ADES, Verts, Alternatifs)

Concernant l'avis de la Ville de Grenoble sur la demande d'autorisation d'exploiter de nouvelles unités et de diversifier ses productions, présentée par TOLOCHIMIE Groupe SNPE, située à Pont-de-Claix - Concernant l'avis de la Ville de Grenoble sur la demande d'autorisation
- régularisation présentée par la Société RHODIA Intermédiaires sur la plate-forme chimique de Pont-de-Claix, pour exploiter une unité de production de Toluène Diisocyanate (TDI)

Le maire de Grenoble vient de suspendre la séance du conseil municipal pour donner la parole aux directeurs de Tolochimie et de Rhodia. Les interventions des industriels, si elles étaient pertinentes lors des réunions publiques organisées par les exploitants eux-mêmes (et j'ai participé pour ma part de façon contradictoire à ces débats), ne le sont pas aujourd'hui en conseil municipal. Ce soir, devant des élus en charge de donner un avis sur les autorisations à exploiter dans le cadre de la procédure des installations classées, ce n'était pas aux industriels de s'exprimer devant le conseil municipal mais aux services de l'Etat. Et là nous touchons un premier élément important du débat que nous devons avoir entre nous, élus représentants de la Ville de Grenoble et des intérêts des habitants. Hélas, les services de l'Etat n'ont pas les moyens des industriels pour s'exprimer. Il y a tout au plus en Isère 1 ou 2 ingénieurs pour s'occuper à la DRIRE de 18 installations SEVESO et même chose pour les techniciens. Quelle garantie de réel contrôle avons-nous de la part des services de l'Etat sur ce genre de dossier quand on sait les moyens mis en oeuvre par l'exploitant pour plaider pour son dossier ? Je peux également avoir la même réflexion pour les services de la Ville qui -et ils l'ont dit dans une note à la direction générale- avaient de grandes difficultés à traiter ces dossiers dans le temps réglementaire de l'enquête publique.

La deuxième remarque préalable concerne le fait de constater que si deux dossiers arrivent en même temps cela s'explique par la multiplication des entreprises sur un site qui était hier un site d'une entreprise unique à de Pont de Claix. Cette nouvelle organisation industrielle en plusieurs entreprises est le fruit d'une politique libérale financière des grands groupes qui vise à rentabiliser la production en séparant les activités. Cela a une conséquence très directe sur les travailleurs et l'organisation du travail. Là où hier il y avait un CHSCT de site et bien aujourd'hui il y en a six correspondant aux six entreprises en activité sur le site, mais il n'y a pas de réunion commune des six CHSCT. On doit dénoncer là un manque criant pour la sécurité des travailleurs sur lequel le législateur devrait intervenir pour faire en sorte qu'il y ait une obligation de CHSCT de site. Le débat public que nous avons engagé commence à faire bouger les choses puisque le directeur de Rhodia a annoncé qu'il allait étudier la possibilité de réunir les six CHSCT du site ensemble. Nous espérons que cette annonce sera réellement suivie d'effet.

Venons en maintenant aux dossiers proprement dit.

Dans le cadre de la procédure régissant les installations classées, la Ville de Grenoble doit donner son avis sur la demande d'autorisation d'exploiter de nouvelles unités et de diversifier ses productions, présentée par TOLOCHIMIE Groupe SNPE, située à Pont-de-Claix

Qu'est-ce que TOLOCHIMIE ?

La Société Toulousaine de Produits Chimiques TOLOCHIMIE, dont le siège social est à Toulouse, dispose d'un établissement installé sur la plate-forme chimique de Pont-de-Claix.

Par arrêté du 3 septembre 2002 n·°2002-09135, le Préfet de l'Isère a prescrit une enquête publique sur la demande d'autorisation d'exploiter de nouvelles unités et de diversifier ses productions, présentée par TOLOCHIMIE Groupe SNPE sur le site de Pont-de-Claix.

Cette enquête a été lancée sans permettre aux habitants de consulter les documents d'enquête dans les mairies concernées, dont Grenoble, figurant dans le périmètre d'information et de protection. Grâce à l'action des élus écologistes, le commissaire enquêteur a saisi le préfet pour prolonger l'enquête publique de 15 jours. Sur ma proposition, en tant qu'adjoint à l'urbanisme et à l'environnement, le conseil municipal de Grenoble dans sa séance du 21 octobre 2002 a donné un avis défavorable sur les conditions d'enquête et a demandé également cette prolongation d'enquête. Je regrette que cette proposition que j'ai faite de façon conjointe avec le maire n'est pas été soutenue par l'ensemble du conseil municipal, puisque 14 élu(e)s PS n'ont pas participé au vote. Néanmoins notre proposition a été adoptée et le préfet dans l'arrêté 2002-10996 a prorogé cette enquête jusqu'au 15 novembre 2002. C'est la raison pour laquelle nous devons nous prononcer aujourd'hui sur le fond du dossier. Cependant, cette enquête publique reste insuffisante au regard de l'information de la population de la ville de Grenoble pour ce type de production dans un milieu urbain dense. En effet de nombreuses informations manquent.

Les études d'impact et de dangers reposent sur la seule expertise déclarative de l'exploitant. Et comme vient de le souligner dans son exposé le directeur de Tolochimie des études de dangers ont été faites mais en réalité par une filiale de Rhodia ! Ces études n'explicitant pas les hypothèses retenues pour le calcul des périmètres d'effets létaux (rayon de 1 782 m) et irréversibles (rayon de 3 814 m) et n'explicitant pas la prise en compte ou non des populations sensibles : enfants, personnes âgées, personnes déficientes... Il faudrait engager sur ce dossier une expertise contradictoire. Le Plan particulier d'intervention date de 1995 et n'a pas été mis à jour conformément aux directives de SEVESO 2, par les services de l'Etat. Ces études de dangers concernent l'incendie, l'explosion, le risque toxique, la pollution accidentelle. Une lourde incertitude pèsent ainsi sur les études présentées par l'exploitant, dans leur périmètre et leurs contenus.

Aujourd'hui les services de l'Etat chargé de l'expertise des installations classées et des risques majeurs devraient fournir des informations complémentaires. En effet le document communal synthétique réalisé sous l'autorité du préfet et adressé au maire en juillet 2002 ne retient pas le même périmètre de risque que celui du dossier d'installation classée. Compte tenu des interactivités entre entreprises présentes sur cette plate-forme, les services de l'Etat se doivent d'apprécier globalement les risques encourus par la population et de mettre à jour au plus vite les PPI (datant de 1995 et non mis à jour) et les Dossiers communaux synthétiques des communes concernées. En particulier les effets dominos doivent intégrer les différentes entreprises, les différents produits et les différents accidents possibles en tenant compte en particulier des risques majeurs.

L'augmentation de la production entraîne une augmentation du transport de produits toxiques dans la traversée de Grenoble notamment. Ce point n'a fait l'objet d'aucune instruction préalable ni mesures spécifiques. Et pourtant un camion transportant des produits toxiques a bien été accidenté le 12 décembre 2001 au pont de Catane à Grenoble. Les services de l'Etat devraient réaliser un plan de secours spécialisé pour le transport de matières dangereuses.

Pour renforcer l'exigence d'information qui participe fortement à la sécurité il serait nécessaire d'engager la création d'une Commission locale de surveillance qui réunit exploitants, administrations, communes, habitants et presse, afin de faire le point sur les pollutions et risques générés par les entreprises. Notre proposition est reprise dans la délibération présentée ce soir.

Il n'est plus envisageable d'autoriser de nouvelles augmentations d'activités à risques sur ce site, élargissant de nouveau et/ou superposant les périmètres d'exposition des populations.

Compte tenu de l'ensemble de ces remarques, nous vous proposons un amendement qui vise à donner un avis défavorable sur la demande d'autorisation d'exploiter de nouvelles unités et de diversifier ses productions, présentée par TOLOCHIMIE Groupe SNPE, située à Pont de Claix.

Parlons maintenant du dossier Rhodia

De la même façon, sur le dossier Rhodia nous constatons les mêmes insuffisances quant aux conditions d'enquête, à l'accessibilité et la transparence des données fournies par l'exploitant établies sans analyse contradictoire.

La Ville doit donner son avis sur une augmentation de production du Toluène Diisocyanate(TDI) dans un nouvel atelier de TDI dénommé "Rhapsodie plus".

Le Toluène Diisocyanate (TDI), est un composé intermédiaire dans la fabrication des peintures aéronautiques et automobiles ainsi que dans celle de mousses polyuréthannes souples pour l'ameublement (matelas, coussins) et les transports (sièges autos, d'avions, trains). Ce TDI est obtenu à partir de phosgène (résultant lui-même d'une réaction conjointe de chlore et oxyde de carbone) et de toluène diamine, en solution dans du monochlorobenzène. En février 1962, la société Profil Bayer Ugine (PBU) débute avec une production de 7 000 tonnes/an ; en 2000, la société RHODIA Intermédiaires, qui exploite désormais cette unité, atteint les 70 000 tonnes.

En 2001, un nouvel atelier de TDI dénommé "Rhapsodie plus" a porté la capacité à 120 000 tonnes/an. C'est l'objet de la demande d'autorisation d'augmenter la production. Mais c'est la société LYONDELL qui en définitive tire le bénéfice de cette production en assurant sa commercialisation.

Le Tribunal Administratif, sur requête de Raymond Avrillier a invalidé un arrêté préfectoral du 3 juillet 2001 autorisant la Société RHODIA Intermédiaire à exploiter "Rhapsodie plus". Arrêté préfectoral qui a été établi à l'issue d'une première enquête publique (qui s'est déroulée du 22 mai au 22 juin 2000 sur 8 communes comprises dans le périmètre d'affichage de 1,5 km de rayon). Par arrêté du 22 mars 2002, Monsieur le Préfet de l'Isère a donc demandé à la Société RHODIA Intermédiaires de présenter une demande de régularisation administrative pour l'exploitation de ce nouvel atelier TDI. RHODIA a bénéficié d'une autorisation temporaire d'exploiter "Rhapsodie plus" de la part de la préfecture.

Par arrêté n·°2002-09321 en date du 10 septembre 2002, le Préfet de l'Isère a prescrit une enquête publique d'un mois à partir du 14 octobre 2002 et a demandé que le Conseil municipal de la Ville de Grenoble donne son avis sur la demande d'autorisation au motif que la commune de Grenoble se trouve dans le nouveau rayon d'affichage et d'intervention de 6 km, concernant désormais 27 communes.

Ce dossier Rhodia révèle les mêmes insuffisances que celles notées pour Tolochimie sur le manque d'information au citoyen, de l'absence d'analyse contradictoire. Du manque d'intégration des effets dominos, de la prise en compte des risques naturels et sur la demande d'un contrôle accru des autorités publiques de l'Etat sur cet établissement.

Je rappelle que les études de danger retiennent les périmètres d'effets létaux (rayon de 2 690 m) et irréversibles (rayon de 6 420 m) qui touchent la ville de Grenoble.

Il n'est plus envisageable d'autoriser de nouvelles augmentations d'activités à risques sur ce site, élargissant de nouveau et/ou superposant les périmètres d'exposition des populations.

Compte tenu de l'ensemble de ces remarques, nous vous proposons un amendement qui vise à donner un avis défavorable sur la demande d'autorisation - régularisation présentée par la Société RHODIA Intermédiaires sur la plate-forme chimique de Pont-de-Claix, pour exploiter une unité de production de Toluène Diisocyanate (TDI). Nous souhaitons que le conseil municipal de Grenoble suive notre proposition.

Pour ces deux dossiers en conclusion

Aujourd'hui la question que nous nous posons au sein de ce conseil municipal de la Ville de Grenoble est la suivante :

Allons nous accepter de faire à Grenoble ce que les élus et les habitants de Toulouse ne veulent plus ?

La réponse des élus écologistes de Grenoble est claire, c'est non ! Nous ne pouvons plus accepter d'augmentation du risque pour les habitants de notre agglomération.

Comme l'a souligné Raymond Avrillier, et compte tenu des éléments connus dans ce dossier, ceux qui aujourd'hui prennent la responsabilité de donner un avis favorable, doivent dans le même temps informer les habitants sur les mesures de précaution prises et les moyens de secours mis en oeuvre pour leur sécurité.