Réduction du temps de travail

Une loi efficace contre le chômage de masse ?

Lire notre dossier sur les 35 h

Une fausse loi-cadre

La loi Aubry se contente de fixer deux dates de basculement vers une durée du travail hebdomadaire abaissée à 35h, en fonction de la taille de l'entreprise (2000 pour celles de plus de 20 salariés ; 2002 pour les autres, soit 5 millions de salariés, 41% de l'emploi privé). L'essentiel est donc renvoyé à la négociation d'entreprise et à une deuxième loi (fin 1999) censée être plus normative...

C'est donc -malgré les hauts cris du baron Seillières- une fausse loi-cadre et une vraie loi d'incitation à la négociation d'anticipation, avec aides financières de l'Etat à la clé, comme la loi de Robien.

Une négociation d'entreprise déséquilibrée

Tout repose donc sur le processus de négociation en entreprise, ce qui parait très risqué dans un pays où le fait syndical est si mal accepté et où le taux de syndicalisation dans le privé est tombé sous les 10%... Surtout lorsque, pour compenser cette faiblesse, la loi crée un système de "mandatement" spécial de simples salariés, peu encadrés par les syndicats. Elle ne fixe pas d'obligation de représentativité minimale des signataires d'accords (par exemple pas d'accords possibles si le (ou les) syndicat signataire représente moins de 50% des salariés), ni même de consultation de la base avant signature !

C'est un facteur de profondes inégalités entre entreprises (et donc entre salariés), et la porte ouverte à un morcellement des règles de droit et à une pression à la baisse sur le contenu des accords.

Une réduction du temps de travail sans créations d'emplois

Pour être efficace contre le chômage de masse la réduction du temps de travail doit être massive, rapide, générale et intégralement compensée en emplois1. Sinon les entreprises ont le temps de se réorganiser et de refaire des gains de productivité qui annulent l'effet emploi escompté.

La loi Aubry, pour un employeur décidé à rester à 39h, représente un surcoût salarial de 2,5%, ce qui est insuffisant. De plus, pour 10% de réduction du temps de travail aidée par l'Etat (environ 75 000 F par an et par emploi) l'entreprise ne devra compenser en emplois qu'à 6% !2

L'effet de masse est limité d'entrée, l'Etat et la plupart des grandes entreprises publiques étant exclues du champ de la loi... car il y aura une négociation spécifique "plus tard".

Une réduction du temps de travail-progrès social ?

Il est impératif que les salariés aient "plus à gagner qu'à perdre" pour qu'ils soient demandeurs et acteurs de la réduction du temps de travail.

Cela supposait la règle du maintien des salaires (quitte à revoir le barème d'imposition directe pour les cadres supérieurs), et des garanties pour que la réorganisation du travail ne se fasse pas au détriment des conditions de travail et de vie (limitation de l'annualisation, de la modulation, du travail de nuit...). Rien dans la loi là-dessus, et même des déclarations ministérielles inquiétantes...

Le PS n'a pas eu le courage de supprimer un moyen scandaleux de recours au temps partiel imposé, qui touche spécialement les femmes : l'exonération de charges sociales de 30% pour tous les contrats à temps partiels.

Pas de fonds de financement mutualisé

La réduction du temps de travail était l'occasion d'avancer vers un autre équilibre de financement, en faisant contribuer plus fortement les entreprises bénéficiaires, et en réorientant dans la clarté les aides publiques à l'emploi. Or, le financement reposera exclusivement sur le budget de l'Etat "classique", avec une menace sur les caisses de Sécurité sociale, à qui l'Etat ne rembourserait pas forcément la totalité des aides.

Bref, une loi timide et risquée : la réduction du temps de travail Aubry peut être détournée de ses objectifs au profit d'une intensification de l'exploitation des salariés pour un profit dérisoire en créations d'emplois.

Ceci étant, c'est quand même la première fois qu'un programme national de réduction du temps de travail est mis sur pied. D'autant que le mouvement des chômeurs, s'il arrive à maintenir un lien fort avec les salariés, peut empêcher des dérives, permettre aux délégués d'entreprises de rester exigeants dans les négociations. Pour que la "loi-balai" de 1999 soit intéressante il est important que les accords signés d'ici là soient bons, fermes sur les intérêts des salariés et des chômeurs.

C'est ce à quoi les adhérents de l'ADES devraient s'attacher en priorité sur leurs lieux de travail !

P. M.
Groupe de travail "emploi" de l'ADES


1 cf. A Lipietz
2 Et heureusement qu'un amendement Vert (Cochet, épaulé par des inspecteurs du travail) a permis de redéfinir le temps de travail effectif !