Richard et la manière

1995 : à peine installé dans ses fonctions, Vincent Fristot, président de la Compagnie de chauffage, découvre des bizarreries dans les comptes de la société. Il porte plainte contre X. Récemment, Richard Cazenave, son prédécesseur, répondait d'abus de biens sociaux avec M. Bouteille, ancien directeur et Ph. Bard directeur de Armand Interchauffage.

12 octobre 1999, salle d'audience du Tribunal correctionnel de Grenoble. Le prévenu s'adresse au Tribunal : "- M'avez-vous compris, Madame la Présidente ?" La Présidente, avec une pointe d'agacement : "- Oui, oui, nous avons très bien compris. - Très bien, alors si vous m'avez compris vous devez être convaincue, Madame la Présidente".

Ainsi vont les choses, pour le prévenu il n'y a pas de mystère, comprendre et convaincre sont un seul et même verbe. Cet échange symbolise à lui seul l'ensemble du procès. Dans un lieu qui traditionnellement inspire le respect, là où d'autres avant lui avaient montré profil bas, le fringant député de l'Isère ne s'en laisse pas compter. Tiré à quatre épingles, le brushing impeccable, la cinquantaine légère, cet ancien proche d'A. Carignon "porte beau". De sourires enjôleurs en déclarations faussement indignées et froncements de sourcils, de propos de salon en digressions multiples version tribune politique, il se paie le luxe de faire abstraction des lieux. L'observateur lui-même s'y laisserait prendre. Il semble si peu perméable au doute que parfois dans ses déclarations il préside encore aux destinées de la Compagnie de chauffage, parle au présent, détaille ses choix stratégiques, s'enflamme, fustige les orientations, forcément mauvaises, de son successeur. D'ailleurs cette nomination n'est-elle pas politique, alors qu'il devait la sienne à ses seules compétences techniques.

Dans son élan, il pousse quelques traits d'humour bien involontaires. Ainsi au détour d'arguments techniques sur la baisse du chiffre d'affaire de la société en périodes de douceurs hivernales, il explique à propos des griefs qui lui sont faits: "cette histoire crée un climat contraire à ce que j'ai fait dans cette entreprise." Le climat, certes, mais au fond son "truc" c'est le relationnel et le bénévolat. Et sa fibre bénévole s'épanouit quand de 1989 à 1995, il occupe la double fonction de Président de la Compagnie de chauffage et de PdG de la SA Sinergie (qu'il a créée) pour rien -ou presque- sachant qu'il aurait "pu prétendre à un salaire". Dès lors, faire émarger sa femme de ménage sur Sinergie lui apparaît naturel. 74.000 F au total c'est si peu, d'ailleurs ne les a-t-il pas remboursés, même s'il passe sous silence 94.000 F de charges patronales jamais payées. Et puis, pour cette employée, une feuille de paie au nom de Sinergie ne pouvait que faciliter son accès à un logement social, cela faisait plus sérieux. A contrario celui de Cazenave fait plutôt loufoque ? "Vous êtes en train de nous dire que vous avez fait faire des économies à la Société" observe la Présidente. Il veut bien reconnaître avoir fait une erreur. "C'est un délit" corrige la Présidente.

Quand est abordée la question des avions-taxis avec la compagnie Sinair, il flotte comme un air de déjà vu, dans un autre temps, un autre lieu. Pour la Compagnie de chauffage le montant de ces largesses s'élève à 827.000 F et à 179.000 F pour Armand Chauffage "partenaire privilégié", dont le directeur Ph. Bard, un rien gonflé de lui-même, se décrit à la barre comme le meilleur en France dans sa profession. On a échappé de peu à "du monde". Le principal bénéficiaire de ces voyages à Figari, Carcassonne, Arcachon, St Tropez, Quiberon, etc. affirme qu'ils sont justifiés. C'est dans ces instants privilégiés qu'éclate enfin au grand jour le "relationnel" de R. Cazenave. Qu'aurait-il été faire à Arcachon ou Carcassonne pendant les journées parlementaires du RPR, si ce n'est pour avoir "des contacts réguliers avec les ministres sur les questions qui intéressaient la société". La petite voix lancinante qui mentionne les autres destinations n'a qu'à bien se tenir, silence !

A l'évidence personne n'est dupe et la virulence des propos du Procureur le démontre, même si l'on peut regretter une fois de plus leur décalage avec les peines requises -18 à 24 mois d'emprisonnement avec sursis et 100.000 F d'amende- à l'encontre de R. Cazenave. Quel que soit le verdict le 23 novembre 1999, cette affaire constitue un nouvel épisode et non l'épilogue de ces années fric où élu et impunité allaient de pair. Elle montre à l'évidence que nous n'en avons pas fini de solder les comptes du système Carignon.

J.-M. C.