Logement social, haro sur les classes moyennes !

Publié le 7 décembre 2012

Le Rouge et le Vert donne la parole à Claude Jacquier, spécialiste de la politique de la ville, qui s’insurge contre des idées reçues en ce qui concerne le fonctionnement du logement social et les mécanismes permettant de préserver la mixité sociale dans les quartiers.

La «province parisienne» cultivée que sonde régulièrement les médias papier et radio institués (le Monde, France Culture), les seuls qui autorisent encore un propos construit, bruit de multiples propos pour le moins étonnants. Si «la question du logement» sur laquelle écrivait Friedrich Engels au 19ème siècle revient en force, l’accent est mis curieusement sur les logements locatifs sociaux qui manquent et sur ces classes moyennes responsables d’occuper «illégitimement» ce patrimoine. Rien de nouveau, tous les gouvernements ont repris la même antienne depuis 30 ou 40 ans et tous les spécialistes autoproclamés l’ont confirmé. Remarquables ignorances qui font que le soufflé artificiellement gonflé retombe aussitôt. Allons-y, chassons les classes moyennes qui se maintiennent encore dans les quartiers de logements sociaux les plus délaissés et on verra les conséquences sur l’équilibre social encore préservé de certains de ces territoires et sur l’équilibre des finances des organismes HLM et des collectivités locales. Bref, «la conjuration des imbéciles» est au pouvoir.

Ces critiques abordent rarement la globalité du fonctionnement du système du logement. Essayons d’y voir un peu plus clair.

1 – Tout le monde sait que le logement est une affaire de stock et de flux. Malheureusement pour les observateurs d’une réalité qu’ils voudraient statique, les gens circulent d’un point à l’autre de la ville et de la région rurbaine. Difficile pour eux de le comprendre. Beaucoup d’habitants vivent bien dans les quartiers de logements sociaux délaissés et souvent depuis le début de leur construction. Ils n’y sont pas assignés à résidence, ni ne bénéficient de rente de situation. Des gens ont quitté et quittent encore ces quartiers délaissés pour aller vivre ailleurs (promotion résidentielle) alors que d’autres viennent y habiter par défaut de logements disponibles ailleurs, par exemple à la suite d’un licenciement, d’un décès, d’un divorce. Souvent ils y reconstruisent leur vie grâce notamment aux politiques qui y sont mises en œuvre (politique de la ville notamment). Certains même y élisent domicile. D’autres peuvent repartir ailleurs. Ces quartiers de logements sociaux délaissés ont toujours été une nécessité dans nos sociétés qui fonctionnent largement sur une hiérarchisation des prix du logement et sur ce que l’on appelle «l’appariement sélectif» ou qui se ressemble s’assemble (les ghettos de pauvres étant souvent le produit des ghettos de riches). En France, dans l’entre-deux-guerres on n’a pas construit de logements sociaux. Quand on les a construits massivement après 1945, on l’a fait de manière concentrée (Zones à urbaniser en priorité –ZUP) dans la première couronne des communes centres que progressivement la périurbanisation a absorbé dans le territoire aggloméré. Il n’est donc pas surprenant que des tensions surviennent sur un marché que la théorie libérale voudrait de concurrence pure et parfaite. La réalité n’est en rien cela, surtout en France.

2 – Ce logement est un support de valeur et d’investissements sensibles aux mouvements spéculatifs qui touchent la propriété privée et dont le secteur HLM est exclu. Il faut arrêter tout d’abord de passer sous silence les aides à l’accession à la propriété qui comparées à celles au logement social ne sont pas négligeables (prêts bonifiés, aides personnalisées au logement, détaxations et défiscalisations diverses) et, sans doute, si on les rapporte au niveau de revenu de ceux qui en bénéficient, bien plus inéquitables. Il faudrait ensuite prendre en compte le fait qu’un locataire dont le loyer sert à rembourser les prêts contractés par les bailleurs ne dispose pas gratuitement, à la fin du remboursement, contrairement aux propriétaires, du capital ainsi constitué et que la spéculation a surévalué considérablement. Ne parlons pas à ce propos de la rémunération d’un risque. Cet enrichissement sans cause, comme on dit, en dormant, est payé par la société, par le processus collectif d’urbanisation et, notamment, par ceux qui ne peuvent plus dès lors accéder à la propriété. Et ne parlons pas des héritages immobiliers, de leur détaxation et défiscalisation. Et si, là, prenait naissance cette crise du logement à la française, des logements devenus très rares et très chers, des produits spéculatifs ?

3 – Pour s’en convaincre, pratiquons par exemple l’étude comparative. En France le prix moyen du m2 s’élève en 2012 à plus de 3 800 euros (il a été multiplié par 2,5 entre 1996 et e 2010) contre 1 300 € en Allemagne. Quel impact différent sur les revenus et le pouvoir d’achat des ménages ! Il est vrai que les succès allemands sont fondés aussi sur un désastre démographique : une baisse démographique de 370 000 habitants entre 2000 et 2012 contre une croissance de 4,9 millions en France (effondrement de la demande, notamment dans certaines villes de l’est en train de se défaire, les «shrinking cities»). Il est vrai aussi que le taux de propriétaires est considérablement plus faible en Allemagne (44,3% en 2010, au dernier rang européen) comparé à celui de la France (57,2%), du Royaume Uni (68,5% : voir aussi dans ce pays le désastre du logement social dont une partie a été vendue aux locataires par Margareth Thatcher dans des conditions telles que leur entretien est si défectueux que parfois les premiers acquéreurs ont dû revendre pour assurer leur subsistance par défaut de revenu du travail) et de l’Espagne (83,3% et son crash immobilier). La part du poste logement dans les revenus qui était en Allemagne de 18,3 points supérieure à la moyenne de la zone euro en 1999 (10,6 en France) était devenue en 2011 inférieure à cette moyenne alors qu’elle était restée de 12,5 points supérieure en France. Les ménages allemands ont pu ainsi d’autant mieux supporter la modération salariale, trouver des logements sur le marché, consommer d’autres produits manufacturés et des services en soutenant la demande intérieure et investir leur épargne dans l’économie réelle productive. En France nous sommes revenus, au moins pour certains, dans une économie de rentiers immobiliers spéculatifs. A quand l’explosion de la bulle et avec quelles conséquences ?

 

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