Le progrès technique pour quoi faire ?

Publié le 28 novembre 2014

Jean-Pierre DupuyLe philosophe Jean-Pierre Dupuy, qui a beaucoup travaillé sur l’impact des nouvelles technologies et notamment sur les dangers de la convergence des nano et des biotechnologies, a écrit le 12 novembre un article dans le Monde qui résume bien les questions qui se posent. Il attire l’attention sur les implications sur le vivant, mais ne faudrait-il pas réfléchir aussi sur les impacts sur le « pensant » ? Nous faisons notre sa conclusion : « Les champions de l’innovation à outrance traitent de catastrophistes ceux qui demandent simplement que l’on marque une pause pour penser ce que nous faisons. Que sont-ils eux-mêmes, sinon des semeurs de panique, eux qui foncent dans l’obscurité de l’avenir comme un taureau fou ? »

Voici des extraits de cet article :

« Le progrès technique, pour quoi faire ?

Un vent d’effroi venu d’Amérique a soufflé récemment sur les économistes. Et si le progrès technique venait à s’essouffler, le flux d’innovations à se tarir et la croissance à se mettre définitivement en berne ? Peut-on espérer qu’une nouvelle vague de percées techniques prendra la relève des technologies de l’information et de la communication, dont l’impact sur la productivité du travail semble avoir fait son temps ? Et tous les yeux de se tourner vers la galaxie des nanotechnologies, dont on attend des miracles.

Celui qui dans ces conditions d’extrême urgence suggérerait que l’on prenne le temps de la réflexion apparaîtrait comme un mauvais citoyen. Et pourtant, il est plus que temps que l’on s’efforce de penser la mutation qui affecte le phénomène technique, aujourd’hui…

Avec la convergence entre les nanotechnologies et les biotechnologies, l’homme prend la relève des processus biologiques, il participe à la fabrication de la vie. Or celui qui veut fabriquer de la vie ne peut pas ne pas viser à reproduire sa capacité essentielle, qui est de créer à son tour du radicalement nouveau. Son ambition étant en dernière instance de déclencher dans la nature des processus complexes irréversibles, l’ingénieur de demain ne sera pas un apprenti sorcier par négligence ou incompétence, mais par dessein. C’est fascinant et effrayant à la fois…

Kurzweil voit « la maladie et la mort à n’importe quel âge comme des problèmes à résoudre ». Si l’homme a toujours pensé, sinon rêvé, à l’immortalité, ce n’est que depuis très récemment que la mort est considérée comme un « problème » que la science et la technique pourraient résoudre, c’est-à-dire faire disparaître. On ne peut sous-estimer la rupture radicale que constitue cette position. A ce sujet, la philosophe Hannah Arendt (1906-1975) a pu écrire que « le plus grand et le plus atroce danger pour la pensée de l’homme consisterait en ce que ce qu’on a un jour pensé soit annulé par la découverte d’un fait quelconque qui était jusqu’à présent demeuré inconnu ; par exemple, il se pourrait qu’on parvienne un jour à faire en sorte que les hommes soient immortels, et tout ce qu’on a pensé concernant la mort et sa profondeur deviendrait alors tout simplement risible. Il serait possible de dire que ce prix est trop élevé en contrepartie de la suppression de la mort ».

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