Tribune libre

Publié le 16 janvier 2015
Marche blanche à la mémoire de Kevin et Sofiane (Photo Dauphiné Libéré, tous droits réservés)

Marche blanche à la mémoire de Kevin et Sofiane (Photo Dauphiné Libéré, tous droits réservés)

DE LA MARCHE BLANCHE A ÉCHIROLLES DE SEPTEMBRE 2012 A LA MARCHE CITOYENNE « JE SUIS  CHARLIE » DU 11 JANVIER 2015  A GRENOBLE

La filiation entre ces deux marches m’a paru évidente hier 11 janvier, et doit être soulignée quant au sens profond qui s’en dégage.

Après l’abominable assassinat de deux jeunes français, Kévine et Sofiane (noir et beur), dans le parc en bas de chez moi, par des jeunes français (blacks et beurs) de la Villeneuve de Grenoble, 15 000 à 20 000 personnes s’étaient rassemblées au centre d’Échirolles, pour une marche blanche silencieuse, demandée par les familles. Évènement étonnant par son ampleur. Des gens de toutes sortes, de toutes les couleurs, venus sans banderole mais avec des fleurs, sans mots d’ordre politique mais avec des petites pancartes avec les prénoms des morts et « plus jamais ça », s’étaient pressés dans la large avenue d’Échirolles, dans un silence impressionnant pour rendre un dernier hommage aux victimes…

Que disait ce silence ? Le désir profond de faire échec à la violence, le désir du bien vivre ensemble, le refus de la récupération politique d’où qu’elle vienne, l’affirmation de l’unité sans réserve sur ce qui est commun à tous pour pouvoir vivre…. Ce désir d’unité, par une présence massive, m’avait échappé à l’époque. C’est la marche d’hier qui me la révèle.

L’intuition de ceux qui ont appelé à des marches citoyennes de commémoration est à saluer.

Que disaient hier les citoyens grenoblois, après l’assassinat odieux des caricaturistes et journalistes de Charlie Hebdo, des policiers et des clients juifs de l’hyper cacher, avec leurs centaines de petites pancartes, dans un brouhaha presque joyeux d’être ensemble, avec ces vagues d’applaudissements, qui arrivées de loin,  ressemblaient à  une grosse pluie battante….que disaient-ils ?

Ils disaient, selon ce que j’en ai ressenti, le refus de la violence,  le désir profond de garder à jamais la liberté d’expression, le droit à l’impertinence, à l’irrévérence, à la caricature qui au-delà du rire rejette tous les dogmes, droit incarné par les crayons brandis ou dessinés. De ce point de vue les quelques drapeaux français tenus à bout de bras disaient sans que cela soit écrit « Ces valeurs sont celles de la France depuis la naissance de ce drapeau en 1794 ».  Les citoyens, nombreux de façon consciente, d’autres de façon plus diffuse, affirmaient qu’on ne leur prendrait pas ces valeurs, conquises de haute lutte, le mot « liberté » étant fédérateur de tous les combats passés et à venir.

Ils disaient aussi le droit au bien vivre ensemble ; des pancartes proclamaient « Je suis Charlie, Juif, musulman.. ». Et profondément la foule fêtait son unité réalisée sur l’essentiel, contre toute interprétation ou récupération politique, tandis que la marche partait toute seule sans encadrement, sans direction bien définie.

« L’union sacrée » proclamée par les politiques ne recevait aucun écho. C’est comme si la foule avait dit, par son silence à ce sujet, « On se moque de vos discours ». Personne ne proposait des mots d’ordre politiques ou de division. J’ai vu cependant une pancarte « A bas les religions ». Y en avait-il d’autres ? Je n’ai pas vu le mot « laïcité », était-il écrit ? Ai-je omis de le lire ?  A mon avis c’était un mot absent. A n’en pas douter, c’est un mot qui, aujourd’hui, divise, par l’utilisation qui en est faite depuis des années.

J’ai entendu à la radio : « L’importance des foules rassemblées devraient faire pâlir les organisations syndicales…». Plus que cela, cela devrait faire pâlir tous les récitatifs politiques sur l’impossibilité de mobiliser les citoyens, sur le caractère amorphe des masses, sur l’anéantissement et la désespérance des gens…. En fait nous ne savons pas nous intéresser aux besoins réels des gens, et à ce qui les unit. Ces derniers sont lassés par les discours politiques qui ont anéanti la possibilité de définir ensemble ce qui est nécessaire, et comment le faire valoir. C’est l’enseignement que je retiens.

Ces marches, dans toute la France, n’ont pas relayé les discours des menteurs et exploiteurs contre le « terrorisme ». Elles ont dit : Non à la violence qui veut nous prendre la liberté. Nous le faisons valoir dans la rue, et nous reviendrons si nécessaire…

A-M. Chartier

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