Les fausses identités

Publié le 7 octobre 2016

liberation-teleramaDepuis des mois on nous assène des discours sur l’identité qui serait l’alpha et l’oméga des questions qui se posent à la société française. C’est ce qu’ont trouvé certains, à droite et à l’extrême droite, pour ne surtout pas parler des vrais problèmes qu’il faut résoudre, en tout premier lieu le chômage et l’emploi.

Heureusement qu’il y a des voix qui s’élèvent comme récemment lors du débat d’Equinox Mètis de l’ODTI pour remettre cette question de l’identité à sa place et qui parlent des réalités concrètes et pas des fantasmes de politiciens qui cultivent les peurs et recherchent des boucs émissaires.

Ce sont par exemple le philosophe François JULIEN dans une interview à Libération du 30 septembre 2016 et Michaëlle JEAN, exilée d’Haiti, ancienne Gouverneure générale du Canada et aujourd’hui secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la francophonie, dans une interview à Télérama du 1er octobre 2016.

En voici des extraits :

François JULIEN : « Une culture n’a pas d’identité car elle ne cesse de se transformer »

Dans son dernier ouvrage, le philosophe et sinologue s’oppose au concept figé d’« identité » et défend celui de « ressources culturelles » telles que les langues mortes et vivantes. Des outils à disposition de tous, mais menacés par la mondialisation et le communautarisme…

Question de Libé : Ce titre en lettres rouges, Il n’y a pas d’identité culturelle, est-ce une provocation par rapport aux politiques qui ne parlent que de ça à longueur de discours ?

R FJ : Je ne peux laisser cette question envahir le débat public sans intervenir, tant elle est mal posée. Depuis des années, je circule entre culture européenne et culture chinoise, et j’ai dû me forger une position, en ce domaine, qui me rend peu supportable le débat actuel. Les sorties sur l’identité nationale, telles que « nos ancêtres les Gaulois », ont quelque chose de primaires, sans analyse aucune, ni outil élaboré. Je suis d’ailleurs consterné de constater que le personnel politique ne lit plus, vivant dans une sorte de vase clos avec des éléments intellectuels d’une extrême pauvreté. J’ai donc vu là la nécessité d’une mise au point. Le pseudo-débat actuel repose en effet sur une idée fausse, la confusion entre le processus d’identification par lequel un individu se constitue en sujet et le fait d’attribuer une identité objective à « sa » culture. Même s’il y a quelque chose de rassurant à penser qu’il existe un support objectif, valide, voire éternel à la culture. Quand je dis « il n’y a pas d’identité culturelle », ce n’est pas une provocation. Une culture n’a pas d’identité pour une raison élémentaire : c’est qu’elle ne cesse de se transformer. Comme c’est le cas pour les langues : quand une culture, une langue, ne se transforme plus, elle est morte.

A lire sur le site de Libération.

Mme Michaëlle JEAN Télérama du 1er octobre 2016 n° 3481

Fuir, perdre ses repères, se reconstruire ailleurs… Exilée de Haïti à 11 ans, celle qui fut la première femme noire gouverneure générale du Canada dirige à présent l’Organisation internationale de la francophonie. Elle revient sur son parcours…

Q Télérama : Vous vous reconnaissez dans les réfugiés qui affluent aujourd’hui vers l’Europe ?

R MJ : Ce qu’ils vivent, je l’ai vécu. Certains de ceux qui ont fui Haïti ont pris la mer sur des bateaux d’infortune. Nous avons dû parfois changer un prénom ou une date de naissance pour échapper aux autorités. Pour tous, c’était « sauve-qui-peut ». C’est pour cela que je réclame de l’indulgence pour les réfugiés dont les papiers ont dû être modifiés. C’est souvent une question de vie ou de mort. L’Europe est pourtant passée par là. La France aussi, au temps de l’Occupation. Pourquoi l’oublie-t-on ? Dans les discussions bilatérales, la question de la gestion des migrants se pose régulièrement. Je dis alors une chose toute simple à mes interlocuteurs : « Ces migrants, ça pourrait être moi. Ça a déjà été moi. »

Q T : En France, ces derniers sont qualifiés de réfugiés par les uns, de migrants par les autres. Comment la secrétaire générale de la francophonie réagit-elle au choix des mots employés ?

R MJ : J’ai eu à porter ces épithètes et ces étiquettes. Quand cesse-t-on d’être un migrant, un nouvel arrivant, un réfugié ? Très vite, au Canada, on devient citoyen à part entière. Il n’est pas question de nationalité, mais de citoyenneté. C’est intéressant, quand même. Je n’ai jamais voulu cocher la case « minorité visible » à côté de mon nom. Je trouvais ça absurde. Est-ce que la majorité est invisible ? Pourquoi ne me nomme-t-on pas par mon histoire ? Pourquoi ne me permet-on pas de la porter ? Je suis une femme, de race noire, d’origine haïtienne, arrivée comme réfugiée. Parlons plutôt de mon apport dans ce lieu où je suis devenue citoyenne. Parmi les valeurs de la francophonie, il y a le respect de la diversité, qui est considérée comme une richesse. Je suis saisie de voir qu’en France, ce n’est pas toujours le cas. Mais au Canada aussi, nous avons nos écueils. Ainsi, nombre de nos jeunes diplômés de race noire ont beaucoup plus de difficultés à intégrer le monde du travail. Mais il n’est pas tabou d’en parler. Le pays est toujours en train de se faire, et donc toujours en quête de solutions. Elles ne reposent pas uniquement sur l’Etat, mais sont l’affaire de toutes et tous.

Q T Jusqu’à quand avez-vous eu le sentiment de vivre en exil ?

R MJ Ce sentiment ne nous quitte jamais. On en fait aussi une ligne de vie qui permet d’apprivoiser l’altérité. La nôtre et celle des autres. Nous avons cette capacité à nous adresser à l’autre tout en restant soi, en sentant l’autre en soi. C’est formidable d’aborder le monde ainsi. Je me souviens d’une visite effectuée en Afghanistan lorsque j’étais gouverneure générale du Canada. Aidée d’un interprète, je m’étais retrouvée à discuter avec des Afghanes habillées en burqa. L’une d’elles me raconte qu’elle a cinq enfants, et que les vêtements qu’elle coud lui permettent de les envoyer à l’école. Comme ma grand-mère, dont je lui raconte l’histoire. Malgré la présence de l’interprète, toutes ont enlevé leur burqa et on a pu se regarder. Je leur ai expliqué mon parcours, qui m’avait amenée à les rencontrer en tant que chef d’Etat du Canada.

Première femme noire à présenter les informations, je veux que cela frappe les esprits. Que tous les jeunes puissent se dire ‘ça pourrait être moi’.”

A lire sur le site de Télérama.

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