Que dit le rapport de la CRC sur la situation financière de Grenoble

Publié le 28 septembre 2018

Le Conseil municipal du 24 septembre 2018 a mené un débat intéressant et assez digne par la plupart des groupes politiques sur les observations définitives de la Chambre Régionale des Comptes. Il faut remarquer que l’humilité, parmi les différents groupes politiques, était de mise vu que l’état des finances de la ville a des raisons historiques très longues et que les responsabilités sont partagées. Mais il faut être juste et précis, l’équipe qui a fait le plus de mal (et de très loin) aux finances de la ville est celle d’A.Carignon, le maire corrompu (1983-1995).

Il a été rappelé lors du Conseil, que la ville de Grenoble se distinguait des autres grands villes (de plus de 100 000 habitants) par une fiscalité plus forte, des dépenses de fonctionnement plus fortes et une dette beaucoup plus importante. Il est important de faire la clarté sur le passé pour mieux comprendre le présent et préparer l’avenir. On ne change pas du jour au lendemain la trajectoire financière d’une grande ville, c’est aussi ce que démontrent les rapports successifs de la CRC.

La CRC rappelle : « Dans ses observations définitives de 2011, la chambre constatait une capacité d’autofinancement brut inférieure à la moyenne des collectivités comparables, avec un niveau d’endettement et une capacité de désendettement élevés. Ces deux derniers points sont inchangés ».

Le rapport et la réponse du maire sont maintenant publics et accessibles sur le site de la CRC.

La CRC relève l’importante dégradation de la situation financière léguée à la nouvelle équipe municipale et ne peut pas analyser de manière exhaustive l’impact du plan de sauvegarde des services publics locaux puisque son analyse s’arrête en 2016 et que ce plan prend sa pleine application en 2017 jusqu’à 2019.

Revenons sur les caractéristiques historiques de la situation financière de la ville de Grenoble qui remonte à 1968.

Une fiscalité locale très lourde :

C’est sous la municipalité Dubedout (maire de 1965 à 1983) que les impôts ont explosé. La Ville a profité des Jeux Olympiques de 1968 pour moderniser de manière très accélérée la ville et pour éviter de trop l’endetter, les impôts locaux qui étaient faibles ont été multipliés par presque 3 entre 1965 et 1968 !!!

La dette atteint 43 M€ en 1968 et 94 M€ en 1982. Mais cette dette était soutenable car l’épargne brute était suffisante pour assurer une capacité de désendettement de 8 ans.

La fiscalité a été ensuite alourdie par le maire corrompu (en créant un nouvel impôt pour financer l’intercommunalité), puis par M. Destot en augmentant les taux de 9% en 2009. Depuis cela a été stabilisé par l’équipe Piolle, qui n’a pas augmenté les taux des impôts malgré les pertes très importantes sur les dotations de l’Etat.

L’asphyxie de la ville par la dette à partir de 1983.

La dette de la ville va exploser entre 1983 et 1991, passant de 90 M€ à 242 M€ (pour le budget principal) soit 152 M€ de plus en 8 ans ! Et depuis elle est restée à peu près constante atteignant 260 M€ fin 2017.

Il faut remarquer qu’en 10 ans de 1995 à 2005 la dette aura été augmentée de 44 M€, ça été le prix à payer pour redresser les finances. Depuis 2014, où la nouvelle équipe a été obligée d’en appeler à un léger surplus d’endettement pour absorber à la fois la dégradation de la situation financière qu’elle découvre en arrivant et la très forte diminution de ses recettes suite aux baisses des dotations de l’Etat et aussi au refus de sa part d’augmenter les taux des impôts comme l’avaient fait ses prédécesseurs. Mais s’endetter pour rénover et construire des écoles est un bon endettement, contrairement à celui laissé en 1995 par la droite de l’époque qui contenait les conséquences de la corruption et de la mauvaise gestion.

Contrairement à ce qu’essaye d’expliquer l’ancien maire corrompu, ce n’est pas parce qu’il y a eu beaucoup d’investissements que la dette s’est creusée. En fait il a surinvesti de seulement 70 M€ durant ses deux mandats et s’il avait payé ce surinvestissement par uniquement de la dette elle serait de seulement de 160 M€ soit 100 M€ de moins. Il a gaspillé l’argent public en fonctionnement et s’est retrouvé en pleine illégalité durant l’année 1990 où pour la première fois la ville a eu une épargne brute négative.

Il est regrettable qu’à cette époque la loi n’imposait pas que les amortissements des équipements soient une dépense obligatoire ; cela aurait évité ce plongeon de l’épargne. Mais la ville n’a pas entretenu son patrimoine et la dégradation de ce dernier date de cette époque et cela n’a pas pu être rattrapé.

Des dépenses de fonctionnement plus fortes que la moyenne des autres grandes villes :

Il y a de multiples raisons à cet écart. Celle qui a été abondamment rappelée lors du Conseil municipal est liée aux dépenses de centralité que la ville a assumé par absence d’une intercommunalité forte. La CRC le note rapidement en rappelant que l’intercommunalité présentait un coefficient d’intégration moins élevé que la moyenne des structures similaires. Le passage en métropole même s’il a allégé un tout petit peu cet état de fait n’a pas complètement résolu ces questions de centralité. Et à ce sujet le rapport de la CRC n’apporte pas de réponses utiles.

Mais il y a d’autres raisons historiques qui expliquent cet écart par rapport à la moyenne des grandes villes, c’est notamment le niveau très élevé des subventions aux associations ou autres établissements publics, notamment au CCAS (le deuxième de France), et une présence importante dans les quartiers, ce qui se traduit aussi par un nombre d’agents très supérieur à la moyenne.

La situation laissée par l’équipe précédente :

Lorsque l’équipe d’Eric Piolle arrive début avril 2014 à la mairie, elle ne connait de la situation financière que le compte administratif de 2012 (qui a été voté en juin 2013) et les budgets primitifs 2013 et 2014. Elle ne connait donc pas la réalité de ce qui s’était profondément dégradé dans les finances. Elle découvre une situation très dégradée au même moment où le gouvernement décide de diminuer plus fortement les dotations.

Le rapport de la CRC apporte à ce sujet des éclaircissements qui démontre que ce que nous avons analysé à l’ADES comme des insincérités budgétaires étaient la réalité (à noter que la majorité n’a jamais employé ce terme d’insincérité) et que le risque de mise sous tutelle était attendu si des mesures très rapides n’avaient pas été prises.

Page 25 du rapport de la CRC : « Depuis 2011, la situation financière de la commune est peu favorable. L’EBF et la CAF se sont dégradés, la « conférence de redéploiement » mise en œuvre entre 2009 et 2013 n’ayant pas produit les effets escomptés. Cette tendance s’est accentuée en 2014, les charges continuant à augmenter et les produits diminuant en raison de la baisse des dotations de l’État. Du fait de la poursuite de cette baisse et de la non atteinte des objectifs de maîtrise de charges, le niveau de CAF brute est très faible en 2015. Si les transferts de compétences à la métropole et les efforts de gestion entrepris contribuent au redressement des agrégats en 2016, leur niveau reste cependant peu soutenable à moyen terme. »

Et dans le tableau page 26, la CRC montre que l’épargne brute (CAF brute) en pourcentage des recettes de gestion diminue brutalement en 2014 (8,08%) et en 2015 atteint 7,65 %. Les experts en analyse financière, notamment M. Klopfer, indiquent que si cette épargne descend à 7 %, l’incapacité à financer ses amortissements (dépense obligatoire) conduira à une situation irrégulière et évidemment si elle n’est pas redressée à la mise sous tutelle. C’est ce qu’indique la CRC quand elle constate que le niveau d’épargne est peu soutenable à moyen terme. Une lettre du Préfet envoyée à la nouvelle majorité s’inquiétait de la situation très dégradée.

Pour l’insincérité des budgets prévisionnels 2013 et 2014, l’affaire est tranchée page 15 du rapport :

« Enfin, la chambre souligne la situation particulière des budgets primitifs 2013 et 2014 pour lesquels l’estimation des dépenses de personnel de l’exercice a divergé des prévisions réalisées par les services 18 : les écarts se sont élevés respectivement à 3 M€ et 5 M€, soit 2 % des dépenses réelles de fonctionnement de l’exercice. »

La Chambre est très gentille de calculer les écarts sur la totalité des dépenses de fonctionnement. Par rapport aux prévisions des seules dépenses de personnel cela représente des écarts deux fois plus importants. Jamais un tel écart entre prévision et réalité ne s’était produit car l’estimation des dépenses de personnel pour l’année à venir est très facile et il n’y a jamais eu de tels écarts par le passé. La chambre minimise aussi les écarts par rapport aux budgets prévisionnels, elle corrige cela dans sa note n° 18 : « Les mêmes éléments ont été présentés le 3 avril 2014, la note de la direction des ressources humaines indiquant qu’il avait été demandé d’inscrire au budget 2014 des ouvertures de crédits pour 137,7 M€ et que les prévisions pour la fin de l’exercice 2014 montraient un écart de 6,5 M€ par rapport au budget voté. »

L’insincérité est visible sur le graphique suivant qui compare les prévisions votées au BP (budget primitif) aux réalisations décrites dans le CA (compte administratif) pour les dépenses de personnel (chapitre 12 du plan comptable).

Conclusion générale sur la situation financière : Elle était très dégradée en avril 2014 lorsqu’arrive la nouvelle équipe qui se trouve confrontée à une urgence absolue de bloquer les dépenses de personnel pour qu’elles n’augmentent plus et débuter par des séries d’économies urgentes. Mais une grande machine comme la mairie ne se restructure pas du jour au lendemain. Au lendemain de 1995, l’équipe Destot a mis 5 ans pour redresser la situation issue de la corruption. Pour réussir le redressement, l’équipe d’Eric Piolle a pris le temps (plus de 6 mois) de construire avec les directions des services un plan détaillé de sauvegarde des services publics locaux. Les effets vont donner leurs premiers résultats positifs fin 2016 avec l’arrêt de la dégradation de l’épargne et ses pleins effets à partir de 2017 où l’épargne nette redevient positive.

Mais la situation reste fragile à cause du poids du passé ; Grenoble reste une ville différente de la moyenne des autres (l’écart s’atténue) et le passage en métropole n’a pas changé fondamentalement cette situation.

Et maintenant l’Etat re-centralisateur encadre de manière stricte les dépenses de fonctionnement des collectivités pour au moins trois ans, ce qui entrave leur liberté budgétaire.

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