La pauvreté continue d’augmenter et touche toujours les mêmes catégories

Publié le 19 octobre 2018

L’Observatoire des inégalités, fondé en 2003, est un organisme privé indépendant qui veut dresser un état des lieux le plus complet possible des inégalités. Il refuse une position militante de défense d’un programme politique : son objectif est d’alimenter un débat ouvert par des opinions différentes, sans rechercher un consensus.

Il considère que : « l’égalité des chances est une condition nécessaire mais loin d’être suffisante de l’égalité. Une société égalitaire fondée sur la seule compétition, même la plus équilibrée possible, n’est pas nécessairement une société où l’on vit bien. La coopération, le partage, le désintéressement, la solidarité contribuent au fonctionnement harmonieux d’une société (notamment par la qualité du lien social) au-delà de son caractère égalitaire. L’égalisation des conditions peut tout à fait être conçue comme un correctif insuffisant. L’exacerbation de l’idée de compétition, de concurrence, du « chacun pour soi » est aussi un des éléments qui nuit au bien-être des individus. »

Le 11 octobre 2018, il publie son premier rapport sur la pauvreté en France.

« Trop de promesses non tenues

L’évolution de la pauvreté est l’un des indicateurs les plus alarmants suivis par l’Observatoire des inégalités depuis quinze ans. La société française souffre. Non pas de ne plus avancer, mais de l’écart entre les discours et les actes. Des promesses non tenues. On vit plutôt mieux en France qu’ailleurs, mais l’élitisme social français laisse trop de concitoyens sur le bord de la route, alors que la République leur promet monts et merveilles. Ceux qui pensent qu’on en fait trop, que l’on doit s’extasier sur une poignée de « premiers de cordées », doivent l’assumer clairement et arrêter de faire semblant : cela sera moins hypocrite que de se ranger derrière une politique de deux poids deux mesures, une tonne pour les plus aisés et une louche pour les plus pauvres, sous prétexte qu’ils doivent être responsabilisés et qu’il vaut mieux « prévenir que guérir », comme le dit souvent le gouvernement. Le plan pauvreté, présenté en septembre dernier, est une bonne illustration de ce type de politique qui, mesurant mal l’ampleur des difficultés, ne se dote pas des moyens à la hauteur.

Que retenir ?

Que retenir de ce premier rapport sur la pauvreté ? Trois grandes tendances se dégagent (voir aussi notre synthèse « Cinq millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France »). Premièrement, la remontée de la pauvreté à partir des années 2000 constitue une rupture dans l’histoire sociale de notre pays. La France est l’un des pays qui amortissent le moins mal le choc pendant les crises économiques comme celle amorcée en 2008, même si une grande pauvreté persiste. Deuxièmement, la pauvreté offre des visages très différents, des mères seules aux immigrés, en passant par des jeunes sans qualification ou des personnes âgées. Les politiques publiques doivent en tenir compte. Troisièmement, nous nous intéressons aux trajectoires : il n’existe ni trappe à pauvreté dans laquelle les individus tomberaient à tout jamais, ni reproduction mécanique entre parents et enfants. Pour autant, la progression des inégalités de revenu et d’éducation tend de plus en plus à figer les situations.

À partir de ces constats, ce rapport en appelle à des politiques de lutte contre la pauvreté (voir notre article « De quoi les pauvres ont-ils besoin ? ») d’une autre envergure que celles qui ont été envisagées jusqu’à présent, adaptées à la diversité des situations. On pourrait imaginer une toute autre perspective pour notre pays avec la mise en place d’une politique combinant un meilleur soutien monétaire pour les plus démunis (notamment les jeunes) et de véritables réponses concrètes aux besoins sociaux (politiques de santé, de logement et surtout réforme de l’école, etc.). Au fond, la question est bien de savoir si nous voulons une société du chacun pour soi ou une société de la solidarité, valeur largement partagée. L’enjeu n’est pas mince. Sauf à mettre en place très vite des politiques qui agissent en profondeur, on voit mal ce qui pourrait empêcher la progression des tensions sociales dans notre pays.

La pauvreté, fille des inégalités

La pauvreté est l’une des inégalités les plus visibles. Entre 2006 et 2016, le nombre de pauvres a augmenté de 630 000 au seuil à 50 % du niveau de vie médian alors qu’en même temps la richesse nationale s’est accrue de 7 %, soit de 170 milliards d’euros. Ce n’est pas un paradoxe mais la conséquence d’une distribution inégalitaire des revenus qui témoigne de l’absence de ruissellement des richesses concentrées en haut de la pyramide. « Il parait que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis tout petit, c’est comme ça » : la plaisanterie de Coluche n’a jamais été aussi exacte.

Être pauvre, c’est être exclu d’une norme sociale à un moment donné, sur un territoire donné. On ne peut pas comprendre la pauvreté si on ne la replace pas dans le contexte global des inégalités. Les pauvres le sont d’autant plus que toute une partie de la population s’enrichit de manière considérable, accède aux bonnes filières scolaires, part en vacances et consomme à tout va. Beaucoup trop souvent, on s’apitoie sur les plus démunis, mais on refuse de voir que leur situation résulte aussi de l’accaparement de la richesse par les plus aisés. »

Pour lire le rapport, cliquez ici.

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