Affaire Cupillard

Noir c'est noir

Début Octobre 1997 a commencé le procès, aux côtés d'une quinzaine de chefs d'entreprises du BTP 1, de Jean-Guy Cupillard pour : "recel d'abus de biens sociaux, recel et complicité d'abus de confiance, entente frauduleuse, corruption passive et concussion." Notaire, trésorier du RPR départemental jusqu'en 1990, maire de l'Alpe d'Huez depuis 1983, président de Ski France, il a beaucoup usé de son pouvoir de séduction -combien de journalistes de la presse locale et nationale, et de magistrats s'y seront laissé prendre- comme de ceux que lui conféraient ses multiples fonctions.

Emporté, à l'instar de ses pairs, dans le tourbillon fric, apparence et pouvoir des années 1980, c'est finalement une énième fonction, celle de vice-président du conseil général de l'Isère chargé de l'équipement et des routes, qui le fait tomber dans les mailles du filet judiciaire. Clef de voûte d'un système parfaitement rodé où les grosses entreprises de BTP et les filiales de grands groupes se partagent le marché juteux des enrobés bitumeux, "le noir" en jargon BTP, J.-G. Cupillard règne en maître tout puissant sur les routes du département. Si d'aventure de petites entreprises pointent le nez, elles héritent des miettes, quand il en reste. C'est justement l'une d'elle qui, lassée de son exclusion, a déposé plainte auprès de la DCCRF 2 et permis aux enquêteurs de démonter un mécanisme bien huilé. Subdivisé en 10 ou 11 lots correspondant à des zones géographiques, le marché départemental des enrobés est soumis à appels d'offres sur la base d'estimation administrative. A ce stade, les grosses entreprises s'entendent préalablement pour s'assurer l'attribution d'au moins un lot important et quelquefois plusieurs en groupement. Et ça marche, puisqu'au au fil des années les mêmes lots sont attribués aux mêmes sociétés : SGREG, GERLAND, COLAS, LEFEVRE, SACER, attributaires en 1989, le sont aussi en 1993. Ces pratiques ont un double avantage : elles suppriment la concurrence et font allègrement grimper les prix au-dessus de l'estimation de départ.

Pour les entreprises, cette rente de situation a forcément une contrepartie qui prend la forme de commissions occultes (le noir) de 1 à 3% du marché, de remises sur factures à l'office du tourisme de l'Alpe d'Huez, de prises en charge de voyages en avions privés ou encore d'heures d'hélicoptère dont on sait J.-G. Cupillard particulièrement friand. Impossible à ceux qui ne jouent pas le jeu d'entrer dans la cour des grands, comme en témoigne un directeur général : "M. Cupillard m'a signifié que je ne serai pas admis à concourir sur les autres lots Notre PDG a été longtemps obligé de contribuer et quand il a arrêté, notre chiffre d'affaire a fortement diminué." Ainsi, l'ancien trésorier départemental du RPR a-t-il collecté des fonds pour alimenter les caisses du RPR et du PR, et se défend aujourd'hui d'en avoir tiré un profit personnel. Jusqu'en 1990, avant les lois sur le financement des partis politiques, admettons mais après ? De quoi broyer du noir devant les juges, non ?

J.-M. C.


1 BTP : Bâtiment et travaux publics
2 DCCRF : Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes