S'il est un point sur lequel Lionel Jospin et son gouvernement étaient attendus, c'est bien celui des sans-papiers et du statut des étrangers. D'autant plus que Lionel Jospin avait soutenu l'action des sans-papiers de Saint Bernard et avait par ailleurs promis l'abrogation des Lois Pasqua-Debré.
Force est de constater que sur ces deux points la politique arrêtée en matière d'immigration et de droits des étrangers est très en deçà de ce qu'on était en droit d'attendre d'un gouvernement de gauche. La régularisation des sans papiers ne sera ni large ni massive, compte tenu des critères tatillons qui ont été posés dans la circulaire du 24 juin 1997. Un exemple parmi d'autres : les célibataires "irréguliers" doivent attester d'une activité régulière ! Résultat : sur les l50 000 demandes déposées, moins de 50% risquent d'être satisfaites. Que deviendront les dizaines de milliers d'étrangers "refusés" ? Seront-ils détenus dans des camps de rétention avant d'être renvoyés dans des charters ? Ou seront-ils maintenus, comme maintenant, dans une extrême précarité, dans un état absolu de non droit ? Dans les deux hypothèses, belle image pour un gouvernement de gauche ! Et une interrogation angoissante pour les exilés algériens non régularisés : seront-ils refoulés en Algérie où leur vie est directement menacée ? Il faut cotoyer la peur panique des réfugiés algériens de l'Isère pour mesurer le drame et la honte qu'une telle issue engendrerait.
Quant au projet de loi Chevènement qui va être examiné prochainement à l'Assemblée nationale, il n'est qu'une version atténuée et quelque peu "humanisée" des lois Pasqua-Debré. Il comporte quelques points positifs : rétablissement partiel du droit du sol, même si l'on peut regretter que les enfants de parents étrangers nés sur le sol français doivent attendre l'âge de seize ans pour pouvoir devenir français ; affirmation beaucoup trop timide du droit d'asile : "asile territorial" délivré par les préfectures, "asile constitutionnel" pour les combattants de la liberté, le tout sans précisions ! ; assouplissement des conditions du regroupement familial. Mais fondamentalement, il n'y a pas de rupture avec l'esprit administratif et policier des lois Pasqua-Debré basées sur le soupçon et la peur de "l'invasion étrangère" : maintien du certificat d'hébergement ; délivrance toujours aussi restrictive des visas, notamment de long séjour ; allongement du temps de rétention administrative (porté à 2l jours !) ; maintien de la double peine ; exigence des conditions de ressources pour l'obtention du regroupement familial ; même logique de suspicion concernant les mariage mixtes auxquels le Procureur de la République pourra toujours s'opposer ; reconduction des procédures expéditives de "reconduite à la frontière", même si des "aides à la réinsertion" dans le pays d'origine sont prévues.
Une toute autre politique qui considère enfin les étrangers comme des citoyens à part entière, et basée sur les principes suivants :
Il faut en finir avec le mythe, assimilé par la gauche, de "l'invasion étrangère", alors même que le nombre d'étrangers (4 millions) est stable depuis 30 ans, et avec la logique du soupçon. Ce n'est pas en faisant de l'Europe et de la France des "forteresses" se repliant face aux "barbares" du tiers-monde qu'on résoudra les problèmes de chômage et de pauvreté, ici en Europe et dans les pays du Sud. Nous sommes encore loin de "l'autre politique d'immigration" annoncée durant la campagne de Lionel Jospin...
Jo Briant et Marie-Thérèse Lloret