Ç REFONDATION SOCIALE È
Attention danger !

 

Depuis quelques annŽes, le systme de nos relations sociales fait lâobjet de critiques croissantes, que le processus de la Ç rŽduction du temps de travail È (RTT) a portŽ ˆ son paroxysme. Au cțur de cette polŽmique se trouve la place de lâEtat dans les rapports sociaux, qui ne serait plus adaptŽe aux nouvelles rŽalitŽs Žconomiques et sociales. Exploitant ces critiques et dŽsireux de rebondir aprs son Žchec sur la RTT, le MEDEF a lancŽ cette machine de guerre de la Ç Refondation Sociale È, dont lâobjet Žvident est dâŽvacuer, une bonne fois pour toutes, lâEtat des relations sociales.

Exclure lâEtat des relations sociales ?

Pour le patronat cette attitude nâest pas nouvelle. On peut mme dire que peu ou prou elle est constante depuis le XIXe sicle. Ce qui est sans doute nouveau, câest la rupture du front syndical et la position dâun syndicat comme la CFDT, qui rejoint ce positionnement (avec pour consŽquence le dŽpart des syndiquŽs CFDT de lâANPE, 1er syndicat de lâagence). 

Pour des autogestionnaires consŽquents lâidŽe dâun dialogue social capable de se substituer ˆ lâintervention de lâEtat a de quoi sŽduire, puisquâil reprŽsenterait lâaboutissement dâun comportement citoyen ou chacune des parties se prendrait totalement et Žgalement en charge.

 Mais peut-on imaginer dans le panorama du dialogue social actuel, un systme dont lâEtat serait exclu ou marginalisŽ et qui offre aux salariŽs la protection dont ils ont besoin ? De mme la situation des Ç start-up È qui se veulent hors du champ lŽgal et o les salariŽs doivent se vendre corps et ‰me en contrepartie dâune hypothŽtique et mirobolante rŽmunŽration de stocks options est elle rŽellement un modle dâavenir crŽdible ? Car la protection des salariŽs est sans doute le ma”tre mot de toute lâhistoire et la justification de notre systme. Nâoublions jamais en effet, que les salariŽs sont soumis au pouvoir de lâemployeur en dŽrogation avec la devise rŽpublicaine de lâŽgalitŽ, et quâen contrepartie ils ont droit ˆ tre protŽgŽs contre les abus qui pourraient en dŽcouler.

A lâorigine de notre systme, qui prend ses racines au XIXe sicle, rappelons que lâEtat est amenŽ ˆ intervenir dans les relations sociales, en raison mme de lâincapacitŽ du patronat franais ˆ sâautorŽguler pour sauvegarder la santŽ des travailleurs. Le r™le de lâEtat sâest ensuite dŽveloppŽ, essentiellement pour rŽtablir un Žquilibre impossible ˆ trouver entre les acteurs sociaux, en raison de la faiblesse et de la division syndicale, accessoirement, pour donner une lŽgitimitŽ ˆ la production de normes conventionnelles marquŽe par le manque de reprŽsentativitŽ de ses auteurs. Cette situation est sans doute insatisfaisante et il faut agir sur ses causes pour amŽliorer la qualitŽ et la place du dialogue social. Mais peut-on immŽdiatement se priver de la garantie de lâEtat alors que les conditions qui ont gŽnŽrŽ son intervention ne sont pas modifiŽes ? En outre, depuis cette Žvolution conjoncturelle sont apparues dâautres justifications du r™le de lâEtat, qui le rendent incontournable.

Lâintervention de lâEtat se justifie

La premire de ces justifications est que certains droits du salariŽ sont des droits fondamentaux qui conditionnent la citoyennetŽ. On pense naturellement au droit de grve, ˆ la libertŽ syndicale, ˆ la reprŽsentation collective mais il en est bien dâautres dont des ŽvŽnements rŽcents ont soulignŽ lâactualitŽ. Ainsi par exemple du droit de disposer de son temps libre que certains amŽnagements du temps de travail menacent gravement, faute pour le lŽgislateur de la RTT dâavoir ŽtŽ suffisamment contraignant ou dâavoir imprudemment libŽralisŽ le temps de travail des cadres. Ainsi encore du droit ˆ la dignitŽ de la personne que le harclement moral, ou la gestion par le stress, ou lâorganisation du travail sous pression, qui se rŽpandent dâune manire inquiŽtante, menacent dâune faon tout ˆ fait actuelle. Egalement le champ immense du droit ˆ la santŽ avec les risques bien contemporains des troubles musculo-squelettiques, la souffrance mentale, ou la dŽcouverte de lâimportance du risque cancŽrogne quâillustrent les Žthers de glycol, sans compter les risques plus traditionnels qui continuent ˆ tuer ou toucher les salariŽs dans leur chair.

Ainsi enfin du droit au travail qui ne peut tre reprŽsentŽ que par un emploi stable, et que menace le dŽveloppement dâune prŽcaritŽ injustifiŽe. 

Ds lors quâil sâagit bien de droits fondamentaux qui, de par la Constitution, relvent de la loi, peut on imaginer que lâEtat sâen dŽsintŽresse ? Peut on au delˆ de ces rgles fondatrices imaginer que lâopinion publique admette que des droits de la personne, comme le droit ˆ la santŽ, fasse lâobjet dâune nŽgociation ? Câest bien pourtant un des objets de la nŽgociation de la Ç Refondation Sociale È, puisque certains nŽgociateurs de lâaccord sur la santŽ au travail voudraient sâarroger le pouvoir de dŽfinir, entre autres, les objectifs et les prioritŽs de la prŽvention. Les limites de la gestion Ç paritaire È ś qui offre le pouvoir rŽel au patronat, uni, face ˆ des syndicats faibles et divisŽs ś du systme de gestion (et non de protection) des risques professionnels sont Žvidentes et justifient pleinement une intervention accrue de lâEtat : voir le scandale de lâamiante, le contr™le patronal sur lâINRS, lâŽtude INSERM sur le maintien de trs fortes inŽgalitŽs sociales face ˆ la santŽ. 

Et câest encore les mmes qui dans lâaccord UNEDIC se proposent dâŽtendre la prŽcaritŽ par des contrats ˆ durŽe indŽterminŽe de cinq ans.

La seconde de ces justifications rŽside dans les consŽquences des relations sociales sur lâensemble de la sociŽtŽ. Le SMIC en est un exemple, lâemploi en est un autre. LâEtat qui est le n™tre, peut il laisser se dŽvelopper au mŽpris de la solidaritŽ rŽpublicaine, et de lâŽquilibre national, des phŽnomnes comme celui des travailleurs pauvres, ou celui du ch™mage et de lâexclusion qui sont la consŽquence directe des relations sociales et qui bouleversent la communautŽ nationale ? Lâexemple de la politique des emplois jeunes et de la RTT illustre le bien fondŽ de son intervention. On peut certes en critiquer les modalitŽs, tant sur son manque dâambition que sur lâinsuffisante protection des salariŽs concernŽs. Mais critiquer lâinitiative mme de lâEtat relve aujourdâhui de la dŽmagogie. Dans la pŽriode noire et sans issue du ch™mage dans lequel sâenfonait notre pays jusquâen 1997, avec les consŽquences dramatiques sur la population que nous connaissons, lâEtat Žtait politiquement lŽgitime ˆ intervenir dans le domaine des relations sociales. On aurait mme pu crŽer encore plus dâemplois, via une RTT offensive notamment, mais aussi en sâattaquant ˆ un autre partage des richesses, ce que le PS nâa pas voulu faire. 

Ainsi vouloir Žvacuer lâEtat de notre systme de relations sociales para”t non seulement Žtonnant, mais Žgalement contraire au pacte rŽpublicain qui fonde notre sociŽtŽ. Câest pourquoi Jospin sâest senti fondŽ ˆ rejeter lâaccord Unedic crŽant le PARE, adoptant une attitude ferme quâon aurait aimŽ voir sur dâautres sujets mŽritant nŽgociation : le partage rail-route, la pollution par les transports routiers, qui ne peint pas les dommages causŽs ˆ la sociŽtŽ, ·

La place du dialogue social

Pour autant le droit ˆ la nŽgociation collective est aussi un droit fondamental et la place du dialogue social dans notre pays est manifestement insuffisant. Il faut donc sâemployer ˆ le dŽvelopper, mais certainement pas contre lâEtat qui ne pourrait renoncer ˆ son r™le de garant. On comprend mal, dâailleurs le pourquoi de cette polŽmique, car si les partenaires sociaux en cause Žtaient animŽs par une autre motivation que celle du pouvoir, il leur serait loisible de rendre inutile lâintervention de lâEtat par une rŽgulation conventionnelle, suffisamment efficace et lŽgitime. La vŽritable question nâest-elle pas celle de leur impuissance ? Celle-ci renvoie alors ˆ des maux bien connus : la faiblesse, le manque de reprŽsentativitŽ, la division, et lâincapacitŽ ˆ nŽgocier en dehors de la contrainte, sans compter celle ˆ faire respecter les rgles convenues. Sans craindre la contradiction les signataires minoritaires de lâaccord Unedic (dŽjˆ nŽgociŽ sans reprŽsentation des principaux intŽressŽs, les ch™meurs, que seule la CGT syndique en son sein) se rŽclament dâune logique Ç contractualiste È fondŽe sur· la reprŽsentativitŽ des signataires dâaccords sociaux !

Le prŽcŽdent de lâaccord interprofessionnel de 1991 sur la prŽcaritŽ de lâemploi devrait pourtant faire rŽflŽchir les tenants du contractuel Ç pur È : cet accord, simplement transcrit dans la loi ensuite, a-tâil atteint son objectif Ç partagŽ È par le Ç partenaire social È patronal (si lâon en croit le prŽambule) ? A-tâil permis dâenrayer la montŽe de la prŽcaritŽ des contrats de travail ? Evidemment non, mais on attend encore le bilan critique de cet accord par ses signataires de 1991, ce qui supposerait de considŽrer le Ç partenaire È plus comme un Ç protagoniste È social (comme dit Tiennot Grumbach) ˆ qui il nây a aucune raison de faire dâemblŽe confiance quand ˆ sa capacitŽ ˆ respecter les textes signŽs.

Alors, quelle rŽforme ?

Paradoxalement, la solution rŽside sans doute, dans une nouvelle intervention de lâEtat pour rŽformer les conditions mmes du dialogue social, afin de lui donner enfin, la vigueur et la lŽgitimitŽ dont il a tant besoin. 

Cette rŽforme a pour nom bien Žvidemment la modification des rgles de la reprŽsentativitŽ, pour coller ˆ une reprŽsentation plus dŽmocratique (donc majoritaire) et plus rŽelle et gŽnŽrer de la responsabilitŽ, mais aussi, et le tabou doit tre impŽrativement levŽ, la rŽduction du pouvoir unilatŽral de lâemployeur, tant il est vrai que son Žtendue est encore aujourdâhui telle, que les employeurs ne nŽgocient, au sens propre, que sâils y sont contraints, ou sâils le veulent bien. 

Il est vrai que de telles rŽformes auront des consŽquences difficiles, en particulier une reconfiguration du panorama social et une modification du mode de gestion des entreprises. Mais sans cette construction dâun dialogue social vŽritable, nŽcessaire au fonctionnement mme des entreprises, reprŽsentatif et responsable, il appara”t difficile que lâEtat puisse renoncer ˆ ses prŽrogatives. Sauf bien entendu, ˆ renoncer ˆ la dimension sociale de la RŽpublique et ˆ en revenir ˆ la conception qui prŽvalait au XVIIIe sicle, celle dâune RŽpublique limitŽe Žtroitement aux seuls droits purement politiques : faut-il rŽserver le droit de vote aux seuls propriŽtaires M. Kessler ?

Il est temps, 19 ans aprs, de tirer un bilan sans complaisance des lois Auroux et de donner de Ç nouveaux droits È aux travailleurs dans une construction sociale globale rŽellement fidle aux principes rŽpublicains, en tenant compte de la mondialisation de lâŽconomie : est-il normal quâon puisse fermer une usine dâun coup de tŽlŽphone, quelques dŽtails de procŽdures mis ˆ part ?


P.M.