Enquête publique- Projet PDU de l'agglomération de Grenoble

Conclusions de la Commission d'Enquête



(AVIS MOTIVE)

Sur la base de l'examen approfondi des observations exprimées lors de l'enquête publique, de l'analyse de la demande du maître d'ouvrage, de son dossier et de tous les compléments d'information qui y ont été recueillis (dont les principaux se retrouvent dans les annexes du rapport d'enquête), des nombreuses auditions qui ont été conduites, et après avoir échangé à plusieurs reprises avec le SMTC, maître d'ouvrage, la Commission est arrivée à la conclusion, et à la conviction, que le projet de PDU, de par ses insuffisances majeures et de par les graves et nombreuses irrégularités qui ont pu altérer profondément l'enquête publique, justifierait pleinement un avis défavorable.

Cet avis est encore conforté par la préparation, soigneuse, de l'opinion publique qui a présidé, bien longtemps avant la présente enquête et s'est poursuivie lors de l'enquête, en faveur d'un projet majeur (rocade nord) que non seulement rien ne justifie mais que tout contredit alors que de nombreux faits et données contraires, mis en évidence par la Commission dans son rapport, n'ont pas été exploités quand ils n'ont pas été sciemment occultés.

L'absence d'innovation, voire même simplement d'orientations, dans le projet actuel du PDU pour les problèmes les plus cruciaux (transports périurbains, transports de marchandises, covoiturage, etc.) et le défaut d'exploitation de retour d'expériences ont conduit, pour partie, à cette situation.

Ainsi, comme le souligne le journal Le Monde : "Strasbourg qui a réussi son tram, paie aujourd'hui le choix d'un dispositif qui n'est pas relayé par le train. Elle a réussi à se débarrasser de son trop plein d'automobiles, mais a repoussé le problème -y compris dans la journée- aux limites de son agglomération" (9 février 2000, p. 11, souligné par nous).
Dans le même temps, Mulhouse, qui a su tenir compte de cette expérience, a opté résolument pour
le tram-train dont les travaux "devraient débuter en 2002" . Toujours selon Le Monde : "L'affaire semble tellement bien engagée que Mulhouse songe déjà au développement de son réseau tram-train : au nord-ouest [...], à l'est [...], au sud-ouest [...]."

Toutefois, les critiques formulées par la Commission, étayées dans son rapport dans le seul souci de service public pour le bien commun, indépendant de tout enjeu politique et économique, ne doivent pas occulter les nombreuses mesures, pertinentes et volontaires, que comporte le projet de PDU dans une démarche globale pour privilégier les modes alternatifs à la voiture, de façon à réduire le profond déséquilibre existant. Parmi ces mesures auxquelles souscrit, dans leur principe ou dans leur nature, entièrement la Commission :

C'est pourquoi, du fait de la diversité des dispositions bénéfiques préconisées par le PDU, du fait également de ses objectifs qui visent notamment à améliorer le cadre de vie de la cité, tout en assurant son développement harmonieux, et compte tenu du souci de bien faire du SMTC (la Commission en reste convaincue), la Commission émet, à l'unanimité, un avis favorable au projet de PDU de l'agglomération de Grenoble, assorti toutefois de 16 réserves et d'une recommandation.

L'avis favorable est conditionné toutefois à la prise en compte de chacune des réserves suivantes, afin de corriger les insuffisances, les incorrections, voire les biais relevés, de compléter des données essentielles et de respecter au mieux tant les exigences légales que celles du milieu de vie (humaines, environnementales et économiques), de sorte que le PDU devienne ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : une formidable opportunité pour l'agglomération grenobloise de faire preuve d'innovation et d'initiative, dans la transparence, grâce à cet outil majeur, qu'est le PDU, pour l'avenir et le rayonnement de la cité.

Chacune des réserves suivantes se rapporte expressément à l'analyse du problème concerné dans le rapport d'enquête :

1- Les priorités globales qui doivent régir tant les objectifs que les mesures du PDU doivent favoriser au maximum, et en premier lieu, de façon interactive et complémentaire, les modes de déplacements qui sont les plus économes (en énergie comme en coût) et les moins polluants. C'est-à-dire dans l'ordre décroissant suivant :

2- Le PDU doit préciser, clairement, pour les données essentielles qui fondent sa démarche, ses objectifs, ses mesures comme ses résultats, le choix des paramètres, des méthodes et/ou conventions utilisées et leurs limites, notamment en ce qui concerne les décomptes des déplacements et des trafics, les aires d'études, etc., tout en s'assurant de leur cohérence avec les données des études extérieures qui pourraient être utilisées et en le justifiant.

3- Dans le respect de la réserve précédente, les objectifs et les indicateurs de suivi doivent reposer sur des données quantifiées en valeur absolue qui soient les plus représentatives possibles de la situation actuelle et à venir, sur le plan des déplacements conme sur celui des impacts environnementaux associés, et non pas sur des valeurs relatives, par ailleurs très contestables, comme les parts modales. De plus, le PDU doit présenter des objectifs bien différenciés pour les trafics internes et externes à l'agglomération.

4- Les objectifs environnementaux doivent répondre aux préconisations des encadrés des pages 123, 124 et 125 du rapport d'enquête pour l'air et de l'encadré de la page 126 pour le bruit. Ils doivent également comprendre un objectif précis en matière de réduction de la consommation d'énergie des différents modes de transports. En matière de sensibilisation de la population et des professionnels, le PDU doit être enrichi d'objectifs spécifiques avec un budget prévisionnel.
Compte tenu de leur importance, d'autres domaines doivent être également visés par des objectifs environnementaux, comme l'évolution de l'urbanisation, I'esthétisme architectural, l'embellissement, la sécurité et la propreté des villes...

5- Les modes doux, marche à pied et vélos, doivent être davantage favorisés, notamment pour les distances urbaines sur quelques kilomètres, conformément aux préconisations des encadrés des pages 128 et 129 du rapport d'enquête.

6- Le développement des transports en commun urbains doit être renforcé plus efficacement encore, notamment en ce qui concerne la ligne C (tram-train, entrée n°2 du domaine universitaire, desserte maximale et réduction de capacités des pénétrantes urbaines comme le Boulevard Jean Pain), le maillage du réseau tramway, la desserte du Polygone et de la ZIRST, en reprenant les préconisations de l'encadré des pages 129 et 130 du rapport d'enquête.

7- Les transports périurbains essentiels accusent un retard trop important dans le projet de PDU : ils doivent être largement renforcés et redynamisés, conformément aux préconisations des encadrés des pages 133 et 134 du rapport d'enquête.

8- La politique de stationnement doit être complétée pour les véhicules peu polluants, conformément d'ailleurs à la loi, à l'aide, par exemple, d'une tarification privilégiée et/ou d'emplacements réservés, sous réserve du respect de l'objectif préalable de maîtriser les déplacements "pendulaires". Cette politique doit tenir compte des préconisations de l'encadré page 167 du rapport d'enquête.

9- La meilleure gestion des voiries existantes, notamment des voies rapides, par la suppression des graves dysfonctionnements organisationnels actuels, la réduction de la vitesse du trafic routier sur voies rapides, l'amélioration de la signalisation routière, les plans de circulation adaptés doivent être des priorités affichées par le PDU, avec des actions et un calendrier précis, avant même d'envisager de quelconques nouvelles infrastructures, conformément aux préconisations des encadrés des pages 168 et 169 du rapport d'enquête.

10- L'encouragement des entreprises et des collectivités publiques à favoriser le transport de leur personnel (notamment covoiturage), qui est par ailleurs une exigence légale, reste très flou et confus dans le projet de PDU. Ce dernier doit développer davantage les objectifs qu'il se donne et les actions qu'il préconise en conséquence, sur la base des retours d'expérience réussis, anciens de plusieurs années maintenant...

11- Les différents types de transports de marchandises, depuis les transports des matières dangereuses jusqu'aux livraisons des commerces, doivent être réellement examinés dans le projet de PDU en terme de trafics, d'impacts et risques associés et de mesures préconisées. De plus, une réelle impulsion en faveur du transport ferroviaire doit être donnée, avec un objectif associé, afin de renforcer et de suivre avec plus d'attention et de précision l'évolution du processus de transfert modal.
Il convient de rappeler que, selon
la loi, "le plan de déplacements urbains définit les principes de l'organisation de personnes et de marchandises [...]" . Force est de constater que le projet de PDU ne répond nullement à ce dernier principe.

12- La politique en matière de parcs relais doit être redéfinie quant à leur nombre, leur distribution et leur évolution selon les préconisations de l'encadré de la page 171 du rapport d'enquête.

13- L'observatoire des déplacements et de leurs impacts sur l'environnement, outil que la Commission juge essentiel s'il est bien diffférencié, dans les faits, du comité de suivi du PDU, doit veiller au départ à faire les bons choix d'indicateurs, de paramètres et de méthodes de suivi, avec des objectifs de fonctionnement qui doivent lui être propres, conformément aux préconisations précises des encadrés de la page 172 du rapport d'enquête.

14- Le financement du PDU doit être revu fondamentalement en fonction de tous les éléments développés dans le rapport d'enquête, et comprendre le coût estimatif (dans le doute, sous forme de fourchettes réalistes) de toutes les actions prévues par le PDU, y compris en matériel nouveau ou en renouvellement pour la SEMITAG, ainsi que l'enveloppe des coûts d'exploitation (dont entretien et maintenance annuels). Le coût de la rocade nord et travaux connexes doit être impérativement recalculé sur des bases plus actuelles et plus réelles. Les modalités de financement (notamment les éventuels emprunts sur 30 ou 40 ans) doivent être clairement exposées. L'échéancier du financement du PDU ainsi que le chronogramme détaillé des principales mesures du PDU doivent être précisés. [Lire à ce sujet Le Rouge & le Vert n°68, p5]

15- La mise en oeuvre et le suivi du PDU (notamment le rôle dévolu au Comité de Suivi pour tous les projets essentiels retenus par le plan, dont le réseau tramway et la rocade nord) doivent intégrer les préconisations de l'encadré de la page 179 du rapport d'enquête.

16- En ce qui concerne le projet de la rocade nord, tel qu'il est inscrit dans le projet de PDU, la Commission, au départ séduite par ce concept, s'est progressivement rendue compte et a pu aisément montrer que tous les éléments d'appréciation en sa possession convergent pour conclure qu'il s'agirait d'un ouvrage :

La Commission a même l'intime conviction, à l'appui de données pertinentes, que sous couvert de PDU et de multimodalité 1 , la rocade pourrait être le prétexte pour construire la Tangentielle Est-Ouest (TEO) au sujet de laquelle tant le SMTC que la Métro avaient, pourtant, clairement exprimé leur désaccord.

Dans le domaine des grands travaux, notamment autoroutiers, la Cour des Comptes dans son rapport relatif à la politique autoroutière avait déjà dénoncé que "les conditions dans lesquelles les études sont faites présentent des irrégularités et ne garantissent pas leur objectivité . De surcroît, les paramètres et évaluations retenus pour le calcul des avantages des projets semblent sur bien des points contestables cependant que leurs coûts se révèlent sous-estimés".

Le même scénario est en train de se reproduire pour la rocade nord.

Il est à noter, incidemment, que dans le même rapport, la Cour critiquait le fait que "les études et projets autoroutiers et routiers [aient] profité avant tout aux bureaux d'études liés aux sociétés d'autoroute et à des grands groupes de travaux publics (dont SCETAUROUTE)".

C'est pourquoi, dans ce contexte trop souvent éprouvé et compte tenu de la propre analyse de la Commission, celle-ci émet la plus vive réserve sur le projet de rocade, tel qu'il est inscrit dans le projet de PDU, et conditionne son avis favorable à ce que le PDU satisfasse, également, chacune des conditions suivantes :

16.1- Le projet de rocade doit être retiré des mesures retenues par le plan pour le mentionner, éventuellement comme un "projet à étudier" (comme pour le superlazer par exemple). Dans ce cadre, même si le SMTC n'a pas vocation à être le maître d'ouvrage 2 du projet de la rocade nord, du fait de son autorité et de sa responsabilité pour le PDU qui prévoit, à ce jour, un tel ouvrage, il a l'obligation de suivre avec attention toutes les études portant sur ce projet afin de s'assurer que ce dernier soit bien conforme aux données et objectifs qui sous-tendent le PDU.

16.2- Le PDU devra alors explicitement indiquer les études préalables à conduire avant même toute étude d'impact et de choix de tracés, à savoir, dans l'ordre, et sur la base de données d'évolution des trafics qui soient crédibles et justifiées, selon les réserves n°2 et n°3 émises précédemment :

Ces études spécifiques doivent être réalisées préalablement, et indépendamment, voire complémentairement, à l'évaluation socio-économique des projets d'infrastructures prévue par l'article 14 de la loi d'orientation sur les transports intérieurs (LOTI).

16.3- Ce n'est qu'au terme de ces études, en fonction de leurs conclusions, que l'étude d'impact proprement dite pourrait alors être entreprise, avec comme cahier des charges minimal que doit reprendre le projet de PDU :

16.4- Le PDU doit préciser, afin de garantir au mieux la crédibilité des résultats d'études, que ces études seront réalisées de façon indépendante, publique et contradictoire, en excluant notamment tout prestataire pouvant avoir des intérêts liés avec des sociétés autoroutières ou de travaux publics.

La révision du PDU, si elle était entreprise en 2005, conformément aux assurances qui ont été données par le maître d'ouvrage, serait alors l'occasion de faire connaître largement tous les résultats de cette démarche et de permettre de prendre la décision d'intégrer, ou non, ce projet de rocade dans le PDU, en toute connaissance de cause, et non pas de façon très partielle et biaisée comme c'est le cas à ce jour.

La Commission émet enfin une vive recommandation en ce qui concerne l'avis important que sera appelé à donner le SMTC, maître d'ouvrage du PDU, dans le cadre de la consultation publique, actuellement lancée, relative au schéma directeur.

En effet, ce dernier, pour tenir compte du projet actuel du PDU, a intégré le projet de rocade nord 3. Et ce, d'ailleurs, en apparente contradiction avec les choix stratégiques qui avaient été adoptés fin 1998 (toujours valides) 4. Dans le cas où le SMTC ne reprendrait finalement pas le projet de rocade dans le PDU approuvé ou bien l'inscrirait comme "projet à étudier", il est essentiel qu'il le notifie aussitôt au Syndicat mixte pour le schéma directeur, de façon à ce que celui-ci en tienne à nouveau compte, dans un sens contraire cette fois 5.

Sinon, du fait même que la LOTI prescrive que les PDU doivent être compatibles avec les schémas directeurs, le prétexte pourrait aisément être trouvé pour maintenir, sous ce seul motif, le projet de rocade dans le PDU, avec toutes les conséquences que le rapport de la Commission a pu mettre en évidence.


1 De nombreuses erreurs ont été commises sous couvert de multimodalité, y compris en matière de transports collectifs : ainsi la gare TGV de Satolas a une fréquentation quotidienne de 500 à 600 voyageurs, alors que celle de Grenoble, qui est arrivée à saturation avec une fréquentation joumalière de 12 000 à 15 000 personnes, est en attente de financements pour faire face à ses nouveaux enjeux .
 
2 Maître d'ouvrage qui n'est toujours pas défini, d'ailleurs.
 
3 Il est à noter à cet égard que le dépliant de 6 pages relatif au projet de schéma directeur ("Demain... 2020"), diffusé dans toutes les boites aux lettres de la RUG, mentionne comme légende du projet de rocade nord "Voie rapide à envisager" (page 6). Le dépliant de 16 pages, à la diffusion bien plus restreinte, précise, quant à lui, et ce conformément aux plans du projet de schéma directeur : "voie rapide à prévoir" (p. 135). La différence est de taille, d'où les préoccupations de la Commission et sa recommandation .
 
4 Référence 69 du rapport d'enquête, page 38.
 
5 Cela ne devrait pas poser de problème pratique particulier, compte tenu que le Président dudit Syndicat mixte est le Vice-président du SMTC, chargé du PDU, et, par ailleurs le Premier Vice-Président de la Métro, chargé des déplacements.