35 heures

Réduction du temps de travail en Isère
6 mois après la loi, où en est-on ?

20 accords de réduction du temps de travail (RTT), tous "offensifs", c'est-à-dire créant des emplois supplémentaires, ont été signés en Isère depuis la loi Aubry du 13-06-98, dont 6 sur Grenoble et 2 autres sur l'agglomération.

Ces accords, réduisant le temps de travail de 1 894 salariés, devraient permettre la création de 145 emplois -dont 40 sur Grenoble- soit un taux de 7,65%, un peu supérieur au minimum légal de 6%. A cette allure il faudrait plusieurs dizaines d'années pour "résorber le stock" des demandeurs d'emplois en Isère !

Le bilan est donc modeste, à la fois en nombre d'accords et en nombre d'emplois créés, mais le rythme s'accélère et se situe déjà à 2 fois l'impact de la loi Robien. C'est la conséquence logique d'une loi qui, sous des dehors contraignants, est en fait purement incitative1.

En Isère comme ailleurs, les patrons des grandes entreprises, notamment de la métallurgie (qui inclue les constructeurs informatiques), ont tendance à "faire la grève" de la négociation, se retranchant derrière les positions du MEDEF2 ou les résultats -calamiteux et provocateurs- de l'accord de branche Métallurgie, qui a bien révélé toutes les carences de la loi Aubry.

En effet sur les 20 accords signés en Isère, un seul l'a été dans une entreprise de plus de 500 salariés, la majorité se concentrant dans des PME et même des TPE (très petites entreprises) (cf. tableau).

Nb d'accords

Nb de salariés

 6

 moins de 10

 5

 10 à 50

 3

 50 à 100

 2

 100 à 250

 2

 250 à 500

Bilan des accords en Isère

Ces accords sont majoritairement signés (11/20) par des salariés spécialement mandatés par des syndicats (CFDT en général) pour les négocier, faute de délégué syndical présent dans l'entreprise, ce qui est cohérent avec la faible taille des entreprises. Espérons qu'à l'avenir les négociateurs des entreprises de 10 à 50 salariés sauront provoquer des élections de délégué du personnel -qui peut ensuite être désigné délégué syndical- ce qui présente plus de garanties dans le temps pour les salariés.

Les formes de RTT sont très diverses : quotidienne, hebdomadaire, annualisation du temps de travail, jours de repos supplémentaires, ou combinaison de ces modalités. Hélas la quasi-totalité de ces accords ne franchit que le premier pas : la RTT s'arrête à 35 heures hebdomadaires, alors que l'impact sur l'emploi et le changement des conditions de vie est bien supérieur à 32 h.

Le salaire est intégralement préservé, sauf dans 2 cas. Mais 2 accords "gèlent" les salaires pour 2 ans.

Bref un bilan en demi-teinte, a fortiori si l'on tient compte de la totale passivité du secteur public en matière de RTT : il ne se passe rien, actuellement, dans les fonctions publiques d'Etat, territoriale ou hospitalière.

Mais la situation pourrait évoluer rapidement au 1er semestre 1999 : plus d'une centaine d'entreprises sont en phase de diagnostic avec des consultants payés par l'Etat. Et pour toucher le maximum d'aides financières elles doivent signer un accord avant le 30 juin 1999...

D'autres, notamment les grandes de la métallurgie, ne souhaitent pas actuellement signer des accords "Aubry" qui apportent des aides mais sont contraignants. D'une part elles ont des difficultés (ou réticences...) à établir la transparence des temps réellement travaillés, notamment pour les cadres ; or pour l'inspection du travail c'est une condition préalable à toute aide publique. D'autre part le patronat des grandes entreprises est tenté par une RTT "light" sans les contreparties des aides en embauches obligatoires, en transparence des temps de travail, en droit de regard de l'administration et des syndicats sur une "chasse gardée" patronale, l'organisation du travail : on réduit d'une ou deux heures hebdomadaires en excluant des pauses dans le calcul des temps de travail, voire des jours fériés et le tour est joué, on "respecte" la nouvelle durée légale de 35 h sans créer un seul emploi. C'est ce qui s'est passé chez Rossignol, où les syndicats ont dû accepter, sous la pression d'un plan social supprimant 165 emplois sur 800, de signer un tel accord pour sauver 27 emplois.

Mais la situation évoluera peut-être dans le bon sens si la pression sociale interne, favorisée par le rapprochement CGT-CFDT au niveau national, monte de plusieurs crans...

Car c'est l'un des aspects de la situation actuelle en Isère : la mobilisation des salariés dans les entreprises, contrairement à la forte implication des structures syndicales et administratives, peine à démarrer... alors que les chômeurs se remobilisent et que certains petits employeurs semblent vouloir saisir l'opportunité de la RTT pour revaloriser la mauvaise image de métiers durs, comme la CAPEB dans le bâtiment !

La RTT à la mode Aubry peut donc conduire à tout, au meilleur comme au pire !

P. M., Groupe de travail "Emploi" de l'ADES

Lire aussi notre dossier "réduction du temps de travail"


1 cf. Le Rouge & le Vert n°65, p11
2 ex CNPF

 

35 heures tout chaud !

Aboutissement de longues discussions commencées début 1998, avant même la parution de la loi Aubry, la Compagnie de chauffage intercommunale de l'agglomération grenobloise (CCIAG), sous l'impulsion de son président Vincent Fristot, a mis en place la semaine des 35h depuis le 1er décembre 1998.

Le Rouge & le Vert : Avez-vous pris des risques en anticipant sur la parution de la Loi Aubry ?

Vincent Fristot : Au début de l'année 1998, nous avons engagé une procédure d'état des lieux, c'est-à-dire un état des services et des possibilités existantes en matière de réduction du temps de travail (RTT) au sein de l'entreprise. Notre connaissance des grandes lignes de la loi Aubry nous a permis d'avancer. Bien sûr d'un point de vue économique, on ne pouvait pas établir de calculs détaillés de l'impact de la réduction du temps de travail, mais on savait que la Compagnie de chauffage pouvait bénéficier d'abattements de charges sociales estimés à 9 000 F par an et par salarié. Or il se trouve que dans la convention définitive ces abattements s'élèvent à 10 000 F la première année, nous n'avons donc pas pris de grands risques.

Le R & le V : Quel accueil le personnel a-t-il réservé à cette proposition de réduction du temps de travail ?

V. F. : Il est vrai que sur cette question, il n'y avait pas de demande pressante du personnel. L'initiative est venue de la direction qui espérait aboutir à un accord le plus rapidement possible avec l'ensemble du personnel et des syndicats CGT, FO et CGC. On peut dire que l'accueil à été positif sur le principe. Après l'état des lieux, le personnel a été étroitement associé au travail de fond et chaque responsable de service a proposé la mise en place d'une nouvelle organisation. Tout au long de ce processus, de janvier à septembre, il n'y a eu ni blocage ni rapport de force.

Le R & le V : Et ce, malgré la modération des hausses de salaires fixée à 1% pendant plusieurs années ?

V. F. : Oui car nous avons toujours affiché notre engagement de créer des emplois. Le plafonnement de la hausse de salaire était lié à cet engagement. De plus, le personnel a désormais une idée très précise de notre démarche volontariste en matière de création d'emplois, puisqu'au cours de l'année 1996-97 nous avions déjà mis en place des cessations progressives d'activité et des conventions ARPE1.

Le R & le V : Cet accord a-t-il modifié quelque chose dans l'entreprise ?

V. F. : Je crois qu'il faut distinguer plusieurs niveaux. Même s'il n'y a pas de répercussion sensible sur les méthodes de travail, le cycle de travail du personnel posté est modifié à raison de jours de repos supplémentaires sur une période de 6 semaines. En revanche pour le personnel administratif, nous avons rendu obligatoire la présence de tous, 2 jours par semaine les mardi et jeudi, pour favoriser la communication de l'information. Pour les autres jours, toutes les formules sont possibles, le personnel peut prendre une journée ou une demi journée à sa convenance. Quant à l'ambiance générale, il paraît difficile après seulement quelques semaines d'application de déceler un quelconque changement. Au-delà de petits ajustements du début, je reste tout à fait confiant pour la suite.

Le R & le V : 10 emplois crées, soit 6,2%, c'est finalement un peu plus que les 6% prévus par la Loi. N'auriez-vous pas pu faire preuve de plus d'audace en passant par exemple aux 32 h ?

V. F. : L'estimation a été faite dans les 2 cas. Concernant les 32 h, le pari aurait été sûrement plus audacieux, mais à long terme. Il est clair que c'est une approche économique qui a présidé au choix des 35 h. On ne peut pas perdre de vue que notre activité, la vente de chaleur, est soumise à concurrence. Je pense en particulier à celle du gaz. Actuellement, le prix de cette énergie baisse et nous devions faire preuve de prudence pour éviter tout impact significatif sur nos prix. Aujourd'hui, la réduction du temps de travail n'a aucune incidence pour nos abonnés. À 32 h, le poids pour l'entreprise aurait été trop important.

Le R & le V : Si j'ai bien compris, les 32 h à la Compagnie de chauffage ce n'est pas pour demain ?

V. F. : Je ne crois pas que l'on puisse être aussi catégorique. En tout cas, personnellement je m'emploierai à mener les calculs en ce sens pour évaluer le moment où cela sera possible.

Propos recueillis par J.-M. C.


1 ARPE : allocation de remplacement pour emploi ("échange" d'un départ à la retraite contre une embauche)