Administrer n'est pas gouverner

Si on procédait à quelques changements ?

A la mi-temps, une équipe doit généralement faire l'objet de quelques remaniements, a fortiori après avoir connu quelques heurts et changé d'entraîneur (le secrétaire général ayant eu une promotion régionale...).

Dès la campagne municipale de 1995, l'ADES avait souligné la nécessité de réorganiser d'urgence l'appareil municipal et en particulier de reconstruire un service public dynamique capable de mettre en oeuvre les nouvelles orientations politiques. En proposant son propre projet d'organisation de la mairie, l'ADES avait alors indiqué qu'il s'agissait-là d'un dossier-clé, égalant en gravité celui des problèmes financiers ; nous ajoutions alors que nous n'aurions certainement pas assez d'un mandat pour que les remèdes apportés produisent leurs premiers résultats. Trois ans après, alors que nous devrions commencer à recueillir les fruits de nos efforts, nous ne pouvons que dresser le constat de notre incapacité à prendre les problèmes à bras le corps.

L'usure d'une organisation municipale d'un autre âge

Pendant les années soixante-dix, les services municipaux ont été le fer de lance de la modernisation d'une Ville qui avait su saisir sa chance. Constitués au moment où les collectivités publiques commençaient à s'autonomiser de la tutelle étatique, ces services ont fait que Grenoble a été très tôt en ordre de bataille par rapport aux autres villes de même taille, se dotant d'une administration modernisée et d'un personnel qualifié en mesure de saisir les opportunités offertes par les nouveaux territoires urbanisés.

La dernière décennie, en revanche, a été celle d'une intervention publique en repli et d'un service public amaigri. Ce repli a été renforcé à Grenoble par une gestion politique néo-libérale réduisant le rôle des collectivités locales (départ de nombreux cadres, non renouvellement de certains postes, embauches de personnels contractualisés dans une relation étroite aux entreprises privées). Souvenons-nous des propos de l'ancien maire, pour qui privatisation et Ville maigre allaient de paire. Cet affaiblissement des services a été accentué par le vieillissement des agents ainsi que par une organisation administrative restée d'un autre temps. Aucune réflexion sérieuse n'a été envisagée pour conduire une véritable modernisation du système politico-administratif local alors que, dans le même temps, ailleurs, en France et en Europe, les gouvernements urbains s'engageaient dans des réformes radicales.

Quelques propositions pour "un service public fort et moderne"

Au moment des élections municipales de 1995, la nouvelle majorité s'était engagée à reconstruire, selon ses propres termes, "un service public fort et moderne". Trois ans après force est de constater que la Ville de Grenoble n'a pas engagé les mesures projetées. Les choses ont été assez bien administrées, mais on n'a jamais correctement gouverné, et ce qui n'est pour le moment qu'une grave erreur, peut bien se muer en faute politique majeure.

En conséquence, quatre chantiers devraient être lancés sans tarder : la redistribution des pouvoirs et des compétences au sein de la municipalité, la réorganisation et la modernisation des services, l'innovation en matière de démocratie locale et enfin, last but not least, la transformation de la région urbaine grenobloise en une collectivité de plein exercice.

1-Une redistribution des pouvoirs et des compétences

L'organisation politique municipale grenobloise se caractérise aujourd'hui par un éclatement sans précédent des compétences entre les membres de la majorité municipale. Conséquence : plus personne ne sait qui fait quoi. La nouvelle organisation doit assurer à la fois une bonne articulation entre le délibératif et l'exécutif et un solide maillage des compétences sectorielles et territoriales. C'est l'orientation qui a la faveur de la plupart des pays européens et qui avait inspiré notre programme municipal de 1995.

Il faut tout d'abord intégrer les activités sectorielles dans de grands blocs de compétences (6 dans notre projet) pour faciliter la mise en cohérence des divers projets municipaux. Ces grands blocs de compétences sont placés sous la responsabilité de maires-adjoints à qui il est interdit de siéger dans les organismes de gestion déléguée. Regroupés autour du maire, ils forment un exécutif pluriel et collégial, responsable devant l'assemblée délibérative. Une telle disposition permettrait d'éviter le pouvoir "absolu" du maire, une caractéristique de la démocratie locale française et dont Grenoble a tant eu à souffrir dans un passé récent 1.

Cette organisation confie ensuite une compétence territoriale à une vingtaine d'élus de quartier qui sont garants, sur le terrain, d'une bonne intégration des politiques sectorielles. Portant le titre d'adjoint ou de conseiller délégué, ils sont les interlocuteurs directs des habitants des quartiers. Ces élus ont le pouvoir de "convoquer" sur le terrain les maires-adjoints et les élus à compétence sectorielle.

Enfin, les compétences sectorielles sont confiées à la vingtaine d'élus majoritaires restant qui s'inscrivent dans les grands blocs de compétences, cordonnés par les maires adjoints. Ils sont les seuls à pouvoir présider les grands organismes de gestion déléguée.

2- Une territorialisation des services et un renforcement des fonctions stratégiques

En trois ans, la déconcentration des services n'a pas avancé d'un pouce et il a fallu attendre le séminaire du printemps 1998 pour que cette question soit timidement abordée. Les expériences les plus novatrices datent... du dernier mandat Dubedout (77-83). Il y a 20 ans !

L'organisation suggérée ici propose une forte déconcentration des services municipaux chargés de l'accueil du public et de la gestion quotidienne des quartiers. Il s'agit de constituer de vrais services de proximité sous la responsabilité de personnels qualifiés (cadre A) ayant une certaine polyvalence et une vraie capacité d'écoute du public. Il est souhaitable que ces services de proximité soient regroupés dans un même lieu avec d'autres services publics (à négocier avec l'Etat, le département et d'autres établissements publics) afin d'offrir aux citoyens une plate-forme de services publics intégrés 2.

Inversement, les services dits "stratégiques", dont certains sont actuellement dispersés, doivent être regroupés dans la mairie afin de constituer un pôle de management permettant un réel pilotage des politiques municipales.

3-Une pratique effective de la décentralisation et de la démocratie locale

Les projets de décentralisation politique et de renforcement de la démocratie locale sont restés lettres mortes. Là encore la majorité est restée très en deçà des avancées de la période Dubedout et, paradoxe des paradoxes, parfois en deçà des pratiques qui avaient cours sous l'ancienne municipalité. Plus de quinze ans après les lois de décentralisation, le pouvoir municipal grenoblois est, pour le moins, resté frileusement centralisé et bureaucratisé.

Pour y remédier, la nouvelle organisation suggérée propose la création dans chaque quartier d'instances de négociation ouvertes aux représentants des habitants et des associations du quartier. Ces instances pourraient être placées sous la présidence de chaque Union de quartier, la Ville mettant à leur disposition des praticiens capables de les aider dans la formulation de leurs propres projets.

Des représentants de ces instances de quartier sont réunis en un grand conseil communal (dans l'esprit d'un comité économique et social) chargé d'émettre un avis sur les grandes orientations et les grands projets municipaux. Ce conseil émet aussi des avis sur les projets sectoriels à cheval sur plusieurs quartiers. Ces avis font l'objet d'une publication dans la presse locale et municipale.

4-Vers une région urbaine, collectivité territoriale de plein exercice

S'il est un domaine où le débat aurait dû être organisé d'urgence, c'est bien celui concernant l'organisation des pouvoirs à l'échelle de l'agglomération et de la région urbaine. A l'heure où les métropoles se lancent de véritable défis à l'échelle européenne et mondiale, Grenoble en est resté à une intercommunalité d'un autre âge qui laisse de côté des compétences stratégiques que sont la fiscalité, l'économie et l'emploi, l'urbanisme et l'écologie urbaine, l'habitat et le peuplement... En l'absence d'une initiative radicale en ces domaines, le risque est certain de voir la région urbaine grenobloise entrer dans une spirale de fragmentation "à l'américaine".

La nouvelle majorité grenobloise n'a guère pris d'initiatives en la matière. Là encore la bonne administration des choses, si nécessaire qu'elle soit, ne peut remplacer un projet politique pour la cité de demain. Les occasions n'ont pourtant pas manqué ces dernières années pour bousculer certaines routines (révision du schéma directeur d'urbanisme, étude du plan de déplacement urbain, arbitrages dans la localisation de quelques grands équipements). Elle n'ont guère été saisies. Des opportunités non négligeables vont se présenter (projets gouvernementaux sur la réforme des collectivités locales, crise des finances locales y compris dans les communes qui se sentaient à l'abri du besoin, négociations de contrats de développement avec l'Etat et la Région, etc.). Passerons-nous encore à côté, gouvernés par des orgueils campanilaires qui ressemblent à des sabordages en pleine mer ?

Pour la ville-centre, l'heure est certainement venue de faire des propositions aux autres communes afin de promouvoir la collectivité territoriale de plein exercice qu'exige le gouvernement de la région urbaine grenobloise.

Claude Jacquier


1. Nulle part dans les autres pays de l'Union européenne un maire ou un président de collectivité locale ne détient dans ses mains l'exécutif, le délibératif et des pouvoirs de police. Un tel cumul n'existe pas même au plus haut niveau de l'Etat. Le pays de Montesquieu s'offre ce privilège exorbitant en compagnie de cet autre pays, berceau de la démocratie, la Grèce.
2. Une possibilité offerte par la politique de la ville et qui a été mise en uvre dans certaines villes (voir Chambéry et ses hôtels de quartier).