Athanor ou l'alchimie des marchés illégaux

En annulant une partie des délibérations du SIEPARG (devenu la Métro) relatives à la chaîne de traitement des déchets, le Conseil d'Etat vient de nous donner raison. Lentement, près d'une décennie après, la Justice est passée, mais le mal est fait. Rappel et perspectives avec Raymond Avrillier.

Le Rouge & le Vert : Cet arrêt du Conseil d'Etat arrive après un long, très long combat ?

Raymond Avrillier : Oui, il a fallu dix ans ou presque, puisque la première décision illégale date de décembre 1990, pour obtenir l'annulation d'une partie seulement des délibérations du SIEPARG 1. Des décisions de réhabilitation, d'agrandissement de l'usine d'incinération et d'extension du centre de tri qui ont été prises sans mise en concurrence aux seules fins de favoriser la Compagnie Générale des Eaux (aujourd'hui Vivendi), à travers ses filiales. Dix ans et cinq recours ont été nécessaires dans ce dossier.

Le R & le V : Concrètement comment cela s'est-il passé ?

R. A. : Dans les années 1989-1990, nous avions constitué un collectif "Déchets Urbains-Appel Urgent" qui s'opposait à la construction d'une deuxième usine d'incinération. Une deuxième usine "baladeuse" puisque plusieurs sites d'implantation avaient été pressentis, d'abord Pont de Claix puis Noyarey dont le maire, Vincent Rivier, était un ami proche de A. Carignon. Un marché avait déjà été conclu avec Vivendi-La Générale des Eaux pour l'usine de Noyarey. Finalement sous la pression des habitants et du Collectif, le projet n'a pu aboutir. Mais les choses étant déjà ficelées avec Vivendi, le SIEPARG, dans une belle unanimité UDF-RPR, PS, PC, a voté l'agrandissement de l'UIOM 2 de l'Ile d'Amour avec passage de 2 à 3 fours, et a retenu TNEE 3 sans mise en concurrence pour un montant de 310 M.F.. Concernant l'extension du centre de tri, construit en 1988 par OTVD 4 et qui donnait déjà des signes de fatigue après à peine deux ans de fonctionnement, le SIEPARG a choisi le même constructeur, là encore sans mise en concurrence pour un marché de 60 M.F.. Aujourd'hui, le Conseil d'Etat a annulé le jugement du 25 octobre 1994 du Tribunal Administratif qui rejetait mes requêtes et annulé du même coup les délibérations de décembre 1990 et décembre 1991. Les premières autorisaient le président du SIEPARG R. Magnin à signer une convention avec la SEM GID 5, pour la maîtrise foncière de l'opération de l'Ile d'Amour, et à conclure pour les autres des marchés avec TNEE et OTVD. Reste que les marchés sont toujours là et la Métro se trouve dans l'obligation de saisir le juge du contrat pour faire constater la nullité des marchés.

Le R & le V : Cela ne s'est jamais vu mais peut-on imaginer qu'un grand groupe rembourse une collectivité territoriale ?

R. A. : Là en l'occurrence, il y aura de toute façon un chèque de Vivendi aux contribuables du SIEPARG, c'est une obligation. Ceci étant, la question est de savoir combien il restera à lui devoir. De toute évidence moins que ce que l'on a déjà payé puisque les surcoûts sont prouvés. Ici, pour l'UIOM, le centre de tri, l'usine de compostage et le traitement des fumées, on a engagé 900 M.F.. A Cergy Pontoise ou à Nantes, lorsqu'il y a mise en concurrence la chaîne complète de traitement de déchets neuve coûte 300 M.F. avec Vivendi. Il y a quelque chose qui cloche.

Le R & le V : Concernant les remboursements ne risque-t-on pas là encore d'attendre 10 ans ?

R. A. : Évidemment cela fait partie des problèmes que l'on rencontre sur ce type de dossier, c'est également le cas pour l'eau, le gaz et l'électricité, le stationnement, la 2e ligne de tramway, l'affichage Decaux et d'autres. La présence des écologistes permet de faire annuler des délibérations illégales passées en détournant les règles des marchés publics au profit de certaines entreprises. Au passage, il serait opportun que certains juges de Grenoble s'interrogent quant au délit de favoritisme sur ces dossiers. Pour enfreindre ainsi les règles des marchés publics il doit bien exister d'autres enjeux. Toujours est-il qu'une fois les délibérations annulées il reste les contrats des marchés qui sont la loi entre les parties. En la circonstance tout dépend beaucoup des partis. Il va donc falloir que l'on obtienne de la Métro, mais je crois qu'on l'obtiendra, la saisine du juge du contrat pour constater la nullité de ces marchés. Ensuite la Métro et Vivendi débattront, à dire d'experts, sur le montant réel des travaux, sans les surcoûts.

Le R & le V : Une saisine qui n'a pas eu lieu à Grenoble dans le dossier de l'eau.

R. A. : Oui cela ne s'est pas fait dans le dossier de l'eau et c'est ce que nous demandons. On voit bien là que ce sont les partis qui n'ont pas voulu saisir le juge du contrat. La Métro l'a fait, elle, non pas sur la construction de l'UIOM, mais sur son exploitation, à notre demande. En effet, nous nous sommes aperçus que le centre de tri était exploité par OTVD sans qu'il n'y ait jamais eu de délibération et sur la base d'un contrat passé en 1988 pour une durée de 25 ans à raison de 30 M.F. par an soit, pour le contribuable, une facture totale de 750 M.F. et ce, uniquement pour l'exploitation. Sur cette affaire, la Métro a donc saisi à notre demande le juge du contrat depuis un an et demi et à ce jour, nous attendons toujours le jugement.

Propos recueillis par J.-M. C.


1 SIEPARG : Syndicat intercommunal d'études programmation et aménagement de la région grenobloise, devenu la Métro
2 UIOM : Usine d'incinération des ordures ménagères
3 TNEE : Tunzini-Nessi entreprise d'équipements
4 OTVD : Omnium de traitement et de valorisation des déchets
5 SEM GID : Société d'économie mixte Grenoble Isère développement (Conseil général majoritaire)