Notre combat pour la remunicipalisation de l'eau

Notre mobilisation depuis des années sur ce dossier n'est pas une action particulière, mais bien un combat central pour l'écologie, la solidarité et la démocratie que nous devons et pouvons gagner à Grenoble.

C'est un combat pour l'écologie

L'eau c'est la vie, il ne s'agit pas d'un produit ou d'une marchandise quelconque, l'eau ne devrait pas pouvoir être privatisée. Le combat pour la qualité de l'eau est mondial et est un des grands problèmes pour l'humanité. Nous avons à Grenoble un trésor inestimable, une eau d'une rare pureté, dont la source est bien protégée par des investissements remarquables faits dans le passé par la collectivité.

Mais on a vu, à propos de la construction de l'autoroute A51, les inconvénients de l'écran de la privatisation. Les élus de la majorité (hors ADES) se sont sentis moins responsables de la protection de la ressource que si il y avait eu gestion directe et ne sont pas mobilisés contre l'implantation de l'autoroute en amont des champs de captage.

En ce qui concerne l'assainissement il y a aussi une lutte importante et incessante à mener pour la conservation de l'environnement et de la santé. Les magouilles financières du gestionnaire privé depuis 1985, sans aucun contrôle de la collectivité avec le silence complice de l'ensemble des forces politiques traditionnelles, ont entraîné une dégradation du service. La renégociation menée par Raymond Avrillier et Didier Migaud en 1996 a permis de remettre à plat les choses sur le plan financier mais la vigilance doit continuer. La qualité du service est en cause sur le plan environnemental (Aquapole n'a pas un bon rendement et ne répondra pas aux normes européennes en 2001), il y a urgence à agir et à définir une politique d'agglomération efficace. Les responsabilités sont trop éclatées entre les diverses communes et la Métro.

Là aussi la présence d'une gestion privée à seul but de profit est dommageable, les élus sont obligés de se battre à tous les instants pour que le tarif ne paye que le service et pas les profits. La Société dauphinoise d'assainissment-SDA, gestionnaire d'Aquapole, essaye de récupérer environ 50 millions de francs de provisions pour renouvellement, en estimant que le contrat ayant changé, suite à la renégociation, elle pouvait récupérer ces provisions faites dans le passé et payées par les usagers. Bien entendu, l'ADES soutient la position de la Métro qui s'oppose à cette magouille. Faire sortir la SDA de la gestion d'Aquapole ne sera pas une mince affaire, nous n'avons pas ici de décision de justice sur la corruption, mais sait-on jamais ?

La gestion directe est donc écologiquement souhaitable, elle peut être un des éléments qui favorise un développement durable.

C'est un combat pour la solidarité

Par définition un service public doit offrir un service de qualité pour les usagers au meilleur prix. La bataille pour le juste prix est fondamentale dans une période où de plus en plus de familles n'arrivent pas à boucler leurs fins de mois. On ne peut pas admettre qu'il y ait dans les factures d'eau des impôts cachés et des rémunérations illicites des capitaux privés. La facture d'eau n'est pas la bourse ! Or la gestion privée est en général nettement plus chère que la gestion publique directe. Parfois pour des raisons financières ou techniques, la collectivité n'a pas les moyens d'assurer ces gestions, mais très souvent elle peut l'avoir. A Grenoble, pour faire fonctionner la régie jusqu'en 1989, nous avions des personnels de haute compétence, ils sont toujours là dans la structure privée, ils peuvent revenir du jour au lendemain dans une nouvelle régie.

Nous ne nous battons pas pour des centimes mais pour des milliards qui sont chaque année détournés du portefeuille des familles au profit des stratégies mondiales des grands groupes. Les centimes surfacturés aux usagers sans qu'ils le sachent (la compréhension d'une facture d'eau est quasi-impossible) participent d'un mode de développement capitaliste très particulier. Ces grands groupes français (Générale, Lyonnaise...) se sont construits à partir d'une accumulation primitive grâce au système de délégation de service public de l'eau qui leur a permis, sans aucun risque, de devenir les géants mondiaux sur ce secteur et de partir à l'assaut d'autres domaines : les déchets, la communication... Ce sont les nouveaux oligopoles qui dictent leur loi et imposent des tarifs selon leur volonté.

Le combat pour le juste prix est un combat social de première importance, d'abord pour permettre aux familles de payer leurs factures, et ensuite pour lutter contre un système de développement économique qui tourne le dos au développement durable.

Le retour à la gestion directe fait partie d'un combat anticapitaliste pour faire sortir l'eau du système marchand dominant.

C'est un combat pour la démocratie

Dans notre pays, les interventions collectives des usagers sont rares. Or sur le problème de l'eau, à Grenoble et ailleurs, des mobilisations importantes ont lieu et se développent. Elles ont conduit à faire évoluer la loi (loi anticorruption par exemple) et même à poser le problème de la nationalisation de ces services. Dans un contexte de recul des nationalisations comme moyen de gestion économique de la société, il est important de souligner ce fait qui démontre une fois de plus que l'eau est un cas à part.

La bataille de l'eau prend une dimension citoyenne qui dépasse le simple corporatisme des usagers.

A Grenoble, c'est sur ce dossier que les divergences les plus importantes se font jour dans la majorité municipale car cela touche à la conception même de la démocratie et du service public.

Nos collègues jouent sur la distinction entre usagers et contribuables, ce qui peut paraître bizarre au commun des mortels qui est à la fois usager et contribuable et qui a les mêmes exigences de qualité et de service rendu, qu'ils soient payés par les impôts ou la facture d'eau. Pour nos collègues de la majorité il y a une hiérarchie entre les deux. Elus, ils sont les défenseurs des contribuables, les intérêts des usagers étant secondaires. C'est une drôle de conception du service public qui, par définition, est au service de l'usager. Ceci entraîne toutes les dérives possibles en admettant notamment qu'il peut y avoir des impôts cachés dans les factures d'eau ou que le gestionnaire privé est relativement libre de gérer comme il l'entend. Les arbitrages seront toujours rendus dans le sens du moindre effort pour le budget communal, même si cela doit coûter des millions aux usagers.

Pour nous, une collectivité qui à la responsabilité d'organiser des services publics doit défendre en même temps les intérêts des contribuables et des usagers.

D'où une différence du concept de délégation de service public. La loi française est très claire, elle peut encore être améliorée, notamment au niveau des contrôles de légalité et financier et des usagers. Mais globalement le cadre est correct. C'est la collectivité qui commande, qui reste le gestionnaire en dernier recours. C'est à dire qu'il ne devrait pas y avoir en pratique de privatisation mais seulement une sous-traitance de gestion. Dans les faits il y a trop souvent abandon de souveraineté des collectivités et privatisation cachée. Il y a là une divergence de fond qui se traduit dans la pratique par une absence de contrôle sur les satellites où les délégataires, qui laisse les intérêts privés prospérer grâce au service public. Beaucoup d'élus se considèrent comme des purs gestionnaires de la Ville, et pour avoir le moins de problèmes ils délèguent, externalisent, privatisent... et ne s'occupent que des secteurs intéressants pour leur réélection, c'est à dire tout ce qui peut développer le clientélisme...

Mais il y a plus grave : les grands groupes qui sont nés de ces délégations et qui en vivent comme des parasites, ont acheté l'abandon de souveraineté des collectivités, achetés directement des élus en finançant par des sommes colossales les campagnes électorales et les partis, dont l'indépendance s'en est ressentie. Ces groupes privés offrent des solutions clefs en mains aux élus dont l'esprit critique est émoussé... Et il est très difficile de faire le chemin à l'envers.

La gestion directe, dans ce contexte, est la seule garantie du contrôle public réel.

A travers la remunicipalisation de l'eau à Grenoble, nous posons la question du pouvoir, c'est à dire : qui décide : l'argent ou les élus et les citoyens ? C'est bien la démocratie qui est en cause et non seulement quelques centimes dans une facture d'eau.

Le développement durable contient aussi une vision démocratique, de ce point de vue la remunicipalisation en est un des aspects.

Une responsabilité particulière de Grenoble

La corruption a été démontrée : les contrats de 1989 sont issus de la corruption, les deux signataires sont des corrompus et des corrupteurs. Le maire de l'époque a vendu sa signature pour son enrichissement personnel direct et la défense de sa position politique. L'autre signataire, PDG de la COGESE et le la SDEI (voir historique), a acheté la signature du Maire. Il va de soi que la responsabilité de la Ville, personne morale, n'est pas engagée dans cette affaire. De plus la Chambre Régionale des Comptes a démontré que les contrats étaient très déséquilibrés en faveur du fermier. Donc que les craintes de certains de nos collègues de la majorité sur les indemnités à verser en cas d'annulation sont infondées. La Cour de Cassation a indiqué que ce sont les consommateurs qui ont payés les cadeaux de la corruption.

Conclusion

La Lyonnaise des Eaux est entrée par effraction dans l'eau de Grenoble, elle doit en sortir.

La laisser dans cette affaire directement où par SEM interposée, où elle fait toujours la loi, n'est pas acceptable, cela voudrait dire que la corruption a payé et que ce grand groupe aura fait capituler la justice, les élus, les usagers et les citoyens. Évidemment, pour des écologistes et alternatifs, ceci n'est pas acceptable. Et il n'y a pas de compromis possible, puisque par définition tout compromis dans cette affaire sera une compromission.

Si nous ne gagnons pas à Grenoble il est exclu de penser qu'ailleurs, où la corruption n'est pas prouvée et que les délibérations ne sont pas annulées, que les usagers, les élus et les citoyens puissent faire reculer ces grands groupes.

Le combat pour la remunicipalisation à Grenoble revêt donc une importance qui dépasse notre ville et beaucoup de regards sont tournés vers nous.

Mais avons nous les moyens de gagner ? Clairement oui, car les risques financiers encourus par la Ville sont minimes et les cartes dont disposent la Lyonnaise et ses filiales ne sont pas fortes. L'existence de la SEM peut être maintenant un atout dans notre jeu (la Ville y est majoritaire, elle peut donc sans difficultés décider de réintégrer le service de l'eau en gestion directe), à condition que nos collègues de la majorité le veuillent bien...

Où en sont-ils maintenant ? Après avoir déclaré que le statu quo était leur ligne intangible, nos collègues ont été obligés de demander des éclaircissements au Conseil d'Etat, par Ministre de l'intérieur interposé, sur la conduite à tenir.

Deux scénarios possibles

Les portes de sortie ne sont pas nombreuses : soit c'est l'annulation des contrats, soit la régularisation de la situation par une nouvelle délibération.

L'annulation des contrats demandée par la ville au juge du contrat (Tribunal Administratif)

Il y aura alors retour à la gestion directe par la mise en place d'une régie municipale à autonomie financière (ou morale et financière si nécessaire) et il y aura des expertises pour savoir s'il doit ou non y avoir des indemnités à verser à l'ancien fermier. Cela prendra des années et au bout du compte les sommes en jeu seront très faibles. Cette analyse résulte d'une expertise de l'avocat de la Ville en 1996, du rapport de la Chambre Régionale des Comptes de 1995 et des études faites par l'ADES.

La régularisation

Elle est risquée juridiquement, mais aussi financièrement.

Juridiquement il sera difficile, voire impossible, de régulariser des contrats issus de la corruption, même améliorés par les avenants, qui n'ont pas fondamentalement changé le contenu des contrats initiaux. Ces avenants sont attaqués en Tribunal Administratif et donc juridiquement menacés. De plus la Ville devra prendre une nouvelle décision d'affermage, puisque le principe même de la délégation a été cassé. Une nouvelle délibération réaffirmant le principe de la délégation à la SEM doit obligatoirement passer par la loi anticorruption (dite loi Sapin), et les dettes de la SEM provenant du précédent affermage ne pourront pas être remboursées dans les nouveaux tarifs, puisqu'elles ne participent pas à l'exploitation des services. Or les dettes de la SEM proviennent du versement des droits d'entrée illégaux du fermier à la Ville. Donc les actionnaires de la SEM actuelle (Ville plus Lyonnaise) devront prendre ces dettes à leur charge.

C'est pourquoi nous disons que l'annulation des contrats est la seule voie politiquement, financièrement et juridiquement tenable pour les usagers et les contribuables... et qu'il nous faudra l'imposer quoi qu'il arrive.

1995