Politique de la ville : faire enfin de la politique !

Le contrat de ville de l'agglomération grenobloise doit être signé au début de l'année 2000 entre la Métro, les communes de l'agglomération, l'Etat, le conseil régional et le conseil général. C'est un dossier important qui engagera les partenaires signataires pour la durée du plan (2000-2006) dans la réalisation d'une "politique territorialisée de développement solidaire et de renouvellement urbain" de l'agglomération 1.

Une politique de développement urbain solidaire...

La politique de la ville a toujours eu deux objectifs majeurs étroitement imbriqués. D'une part, apporter des réponses adaptées aux problèmes des populations de certains quartiers, nombre de ces difficultés étant le résultat de la ségrégation à l'échelle des agglomérations. D'autre part, et plus fondamentalement, cette politique a pour objectif de transformer le système de gestion urbaine, un système qui est souvent la cause des problèmes rencontrés.

Ciblée dans un premier temps sur les quartiers (le développement social des quartiers-DSQ), la politique de la ville s'est élargie à l'ensemble des agglomérations (cf. les contrats de ville en préparation). Par delà la mise en oeuvre de mesures exceptionnelles concernant la vie urbaine (habitat et urbanisme, économie et emploi, social, éducation et culture, prévention de la délinquance et citoyenneté, etc), les contrats de ville d'agglomération ont surtout pour objectif de mieux utiliser les moyens existants (personnels, équipements, financements) au bénéfice des populations et des territoires urbains qui en ont le plus besoin.

Tout cela, bien évidemment, ne se décrète pas dans nos sociétés où personne n'est prêt à partager et à redistribuer spontanément richesses et avantages acquis. Tout cela demande du temps, de la patience et de la volonté, parfois de la contrainte face aux corporatismes urbains de tout poil. La réussite du contrat de ville dépend de la volonté des élus d'affronter ces divers corporatismes pour "vendre" cette exigence de solidarité à "l'électorat qui compte" au sein de la cité. Bref, par delà les procédures, la politique de la ville est avant tout, essentiellement, une affaire politique.

...qui a du mal à voir le jour dans l'agglomération grenobloise...

Là est peut-être bien la faiblesse de la politique de la ville grenobloise. Elle est restée beaucoup trop "technicienne" (manipulation de mesures financières et de procédures) en se contentant du statu quo politique : maintien de la balkanisation de la ville, renforcement des corporatismes résidentiels, non-reconnaissance des habitants de ces quartiers comme des citoyens à part entière.

Le précédent contrat de ville (1994-1998) a été, de ce point de vue, une caricature. Huit communes sur les 23 de la Métro ont été signataires et, pour l'essentiel, il s'agissait des communes et des territoires où se concentraient déjà les logements sociaux. Belle manière d'organiser la solidarité entre les plus pauvres. Aucun développement solidaire n'a alors pu voir le jour à l'échelle de l'agglomération, cela malgré le changement politique de 1995.

Le nouveau contrat de ville a été d'emblée situé à l'échelle de l'agglomération et, avec la transformation de la Métro en communauté d'agglomération, la "politique de la ville" est devenue une de ses compétences obligatoires. Particularité, la Métro est donc désormais en droit de mettre en oeuvre cette politique en mobilisant tous les domaines de compétences. En effet, la politique de la ville étant interministérielle, avec cette compétence obligatoire, la Métro s'est dotée de la compétence des compétences et donc de toutes les compétences. La question est maintenant de savoir si ses élus vont se saisir de ces nouvelles dispositions qui conditionnent le développement durable de l'agglomération.

...tant que ne sont pas comblées certaines déficiences

Comme le montrent toutes les évaluations, cette politique ne peut être efficace si le Maire (ou le président de l'exécutif intercommunal) ne fait pas de cette exigence de solidarité une priorité majeure de son mandat. Dans la commune de Grenoble et dans l'agglomération, cela a peu été le cas avant les élections de 1995, et ne l'a guère été après. Or, le respect de cette priorité politique par la ville centre et par la Métro est une ardente obligation si l'on veut mobiliser les autres "partenaires" (Etat, Région, conseil général, organismes HLM, CAF, ANPE, etc) et les habitants.

La mobilisation des services de l'Etat et du conseil général (budgets sociaux) est essentielle. Jusque-là, il faut bien le dire, "l'Etat isérois" a été très indigent, et sa participation dans les groupes de travail a été anecdotique. Le conseil général, aspiré par ses traditionnelles pesanteurs rurales, a délaissé les territoires urbains, les conseillers généraux urbains (17 sur le territoire de la Métro, dont 11 de gauche) ayant bien tardé à s'organiser pour qu'il en soit autrement (création d'une commission "politique de la ville" en décembre 1999).

Enfin, on ne peut pas prétendre faire du développement solidaire en l'absence des principaux intéressés, les habitants. Là encore, il ne s'agit pas seulement de faire de la concertation sur des projets venus d'ailleurs, il s'agit bien d'associer les citoyens aux décisions qui les concernent. Les urbains, notamment ceux qui habitent dans les quartiers d'habitat social des communes, déjà sous-représentés dans les instances municipales, n'ont guère été associés à l'élaboration du contrat de ville. La première tâche est d'instaurer ce civisme de base et tout d'abord, de permettre à tous de s'exprimer réellement par le vote (lutte contre l'abstention, droit de vote pour les étrangers).

La politique de la ville réclame sinon du génie (car à l'impossible nul n'est tenu), au moins un peu de courage. Les élus de l'agglomération doivent montrer qu'ils en ont !

Claude Jacquier


1 Circulaire du Premier ministre du 31/12/98