Septembre 1998

Comprendre et expliquer le dossier de l'eau

Ce texte présente les dernières évolutions du dossier de l'eau à Grenoble, en explique les tenants et aboutissants juridiques et politiques. Autant d'arguments à utiliser pour en discuter autour de vous...


Vulgarisation juridique
La situation à Grenoble
Conséquences
Que doit faire le Conseil municipal ?
Que doivent faire les usagers ?
Ce qui se joue dans ce dossier

Vulgarisation juridique

Voilà ce que fait une Ville lorsqu'elle veut déléguer la gestion d'un service public à une société privée ou une société d'économie mixte (SEM) (suite à tout un tas de procédures complexes, cf. loi Sapin anti-corruption) :

Lorsqu'un contribuable ou un usager estime qu'il y a des illégalités dans la délibération ou dans le contrat, il peut saisir le Tribunal administratif (TA) dans un recours en excès de pouvoir.

Dans ce cas, le TA n'a le droit d'annuler que la délibération et les clauses réglementaires du contrat. Il n'a pas le droit d'annuler les clauses contractuelles : c'est pourquoi le contrat reste après l'annulation de la délibération.

Lorsqu'un acte est annulé cela veut dire qu'il n'a jamais existé.

La remise en cause du contrat (en entier) ne peut provenir que de l'action des parties signataires devant le juge administratif (qui est le juge du contrat).

La situation à Grenoble

Le Conseil d'Etat a annulé le 1/10/97 la délibération du 30/10/89 autorisant la délégation de l'eau à la COGESE (1) mais pas les contrats, qui restent toujours là mais juridiquement affaiblis.

Le 7 août 1998, le TA a annulé les délibérations de 1996 (qui scellaient le nouvel accord Destot-Lyonnaise), au motif qu'il s'agissait d'un nouveau contrat (camouflé derrière un avenant) et qu'en conséquence il aurait fallut passer par la loi Sapin et mettre en concurrence diverses offres, en faire la publicité et être transparent sur le dossier.

Le TA annule également un avenant à ce nouveau contrat au motif qu'on ne peut pas faire un avenant à un contrat qui n'est pas passé par la loi Sapin.

Et enfin, il annule toutes les clauses réglementaires de ce nouveau contrat, au motif que le maire (Destot) était incompétent pour le signer en 1996 puisqu'il n'a pas été autorisé à le faire par une délibération (cette dernière ayant été annulée !).

Conséquences

Le nouveau contrat n'est plus qu'un squelette et il ne peut pas être amendé (tout nouvel avenant sera attaqué). Il ne peut donc pas retrouver de clauses réglementaires : plus de tarif, d'abonnements...

Comme il y a eu annulation de la délibération de 89, le maire (Carignon) était incompétent pour le signer à l'époque, donc les clauses réglementaires des anciens contrats ne peuvent pas être appliquées (elles ne sont pas opposables au tiers) : elles ne sont pas annulées car elles n'ont pas été attaquées à temps, mais elles sont inefficaces.

Cela signifie qu'il n'y a plus de tarif valable pour l'eau et l'assainissement depuis 1989 à Grenoble.

Que doit faire le Conseil municipal ?

Il a la responsabilité d'assurer la continuité du service public. Le 21 septembre, lors de sa prochaine séance, il devra prendre des mesures provisoires en attendant de trouver des solutions définitives (2).

L'ADES et ses élus proposent de prendre les décisions suivantes afin de sortir de cette crise dans la transparence, la légalité et de façon à ce que les intérêts des contribuables et des usagers soient sauvegardés :

Que doivent faire les usagers ?

La facturation est suspendue, jusqu'au 21 septembre. Il est encore trop tôt pour savoir exactement quelles vont être les décisions de la ville, mais il est à craindre que ce ne soient pas celles proposées par l'ADES, et qu'il va donc y avoir un nouveau bricolage pour continuer (fusse provisoirement) exactement la même situation.

Si vous recevez des factures après le 21 septembre, il est important de le signaler très rapidement à l'ADES, car il est essentiel de vérfier les tarifs appliqués, et qui encaisse les chèques.

Il est important de conserver toutes ses factures d'eau car un jour ou l'autre la justice sera rendue sur le passé et le délai de prescription semble être de 30 ans !

Ce qui se joue dans ce dossier

Il s'agit non pas de quelques centimes sur une facture grenobloise, mais bien d'un problème politique de fond dans notre pays. Les grands groupes (Vivendi, Lyonnaise et Bouygues) qui étaient les rois sont en train de voir leur pouvoir diminuer, lentement mais sûrement, sous la pression d'un très fort mouvement d'opinion .

La reconquête de certains espaces de démocratie locale passe par la diminution de l'emprise économique et financière (donc politique) de ces groupes sur les élus et les collectivités. Qui commande : les élus ou Meissier, Monod ou Bouygues ?

Dans de nombreuses villes et campagnes, la multiplication de la révolte des usagers entraîne l'obligation pour les élus de réagir et de reprendre leurs prérogatives (voir la récente étude de Que Choisir ? par exemple). Partout les grands groupes se battent derrière leurs contrats, en menaçant ici et là de demander les indemnités exorbitantes qu'ils ont imposées dans les contrats au cas où des élus voudraient leur demander des comptes. L'évolution de la jurisprudence les inquiète, car elle va systématiquement contre leurs intérêts.

A Grenoble, nous sommes le seul endroit où la corruption a été démontrée : les contrats de délégation sont la contrepartie d'abus de bien sociaux. Toutes les autorisations légales de mise en délégation ont disparues, et la Chambre régionale des comptes (juridiction financière) a émis un jugement démontrant le déséquilibre énorme des contrats en défaveur des contribuables et usagers.

La simple logique démocratique voudrait donc que ces contrats soient annulés, pour effacer la corruption de manière définitive et montrer que nous sommes dans un état de droit, et non une république bananière. Or un maire socialiste et une partie de sa majorité ont voulu se débarrasser de ce problème en montant, sous la pression d'un grand groupe, un bricolage avec pour conséquence la démonstration que la corruption a permis à une société de s'installer et d'imposer aux usagers des tarifs qui lui permettent d'empocher une surémunération de 600 millions de francs d'ici à 2014 !

Alors que sur un dossier beaucoup moins sulfureux (pas de corruption prouvée, pas d'annulation de décisions administratives et pas de Chambre régionale des comptes) par la simple application d'une volonté politique claire, Raymond Avrillier (avec le soutien de Didier Migaud, PS) a remis à niveau la gestion de l'assainissement intercommunal à la satisfaction de tous. Les usagers vont gagner (ou ne pas perdre) plus de 250 millions de francs sur la durée du contrat.

A la Métro, les élus ont fait leur travail, certains à Grenoble ne l'ont pas fait et s'entêtent à ne pas vouloir le faire.

Il est important que l'ADES ne lache pas ce dossier et le mène au bout. C'est une question de pratique politique : nous nous y étions engagés vis à vis des électeurs, il faut savoir tenir ses promesses.


1 COGESE : Compagnie de gestion des eaux du sud-est, filiale de la Lyonnaise des eaux, qui a récupéré le service des eaux après la privatisation de 1989
2 Lire l'intervention de Pierre Kermen, président du groupe des élus ADES, lors du conseil municpal du 21 septembre 1998
SGEA : Société de gestion de l'eau et de l'assainissement, filiale 100% Lyonnaise, à qui la SEM-SEG (société des eaux de Grenoble) délègue l'exploitation du service