Conseil municipal du 20 mars 2000 - Délibération n°11 sur la création de la régie municipale de l'eau

C'est le printemps à Grenoble pour la Régie municipale des eaux

Intervention des élus écologistes de l'ADES

L'eau de Grenoble a une mémoire. La mémoire de l'eau de Grenoble c'est celle d'une lutte de plus de dix ans contre la corruption et la spoliation d'un service public essentiel.

Le service municipal de l'eau et de l'assainissement, centenaire, a été spolié, une nuit du 13 au 14 juillet 1989, par les corrupteurs du groupe LYONNAISE DES EAUX, pour un maire corrompu. Les contrats de corruption - délégation du service public ont été signés le 3 novembre 1989 par M. Marc-Michel MERLIN pour la COGESE et M. CARIGNON pour la commune, avec la garantie de M. Guy de PANAFIEU pour la LYONNAISE DES EAUX.

En 1989, nous avons manifesté nombreux contre cette décision contraire aux intérêts des Grenobloises et des Grenoblois.

Raymond AVRILLIER, élu écologiste d'opposition alors, a été le seul à demander au Conseil d'État d'annuler la décision de 1989, ce que ce dernier fera le 1er octobre 1997 8 ans après la décision illégale.

Nous avons demandé l'exécution de cet arrêt par la saisie du juge du contrat pour qu'il constate la nullité des contrats du 3 novembre 1989, et par la fixation de tarifs réguliers depuis mai 1989 en baissant les tarifs obtenus par corruption.

En mars 1993, Raymond AVRILLIER a révélé que la campagne électorale de M. CARIGNON et ses colistiers en 1989 était renflouée par la LYONNAISE DES EAUX. Une association d'usagers, EAU-SECOURS, constituée en 1994, à l'initiative de Michel GILBERT et a confirmé les surfacturations de l'eau et de l'assainissement de Grenoble. Pierre MAS, qui nous a récemment quitté, en a été un acteur tenace.

Des responsables de la COGESE et de la LYONNAISE DES EAUX, ainsi que M. CARIGNON et ses conseils ont été condamnés en 1995 et 1996 pour corruption, abus de biens sociaux et recel, subornation de témoins (pour MM. CARIGNON et DUTARET).

La LYONNAISE DES EAUX et son PDG d'alors, M. Jérôme MONOD, ancien secrétaire général du R.P.R., toujours président du conseil de surveillance, ont clairement soutenu les corrupteurs ; le conseil municipal doit savoir que le 21 septembre 1995, M. Jérôme MONOD, PDG de la Lyonnaise des eaux, écrivait ceci à ses responsables :

"Le lundi 25 septembre prochain, à Lyon, débutera le "procès Carignon". Notre groupe va de nouveau se trouver attaqué et connaître une période de turbulences. Je tenais à vous faire part de l'état d'esprit de la Direction générale à la veille de ce procès.

Sachez que nous apporterons tout notre soutien aux personnes du groupe mises en cause pour des faits passés et cela, pendant et après le procès, car nous avons la conviction qu'ils ne se sont rendus coupables d'aucune infraction.

[...] Au nom de la Direction Générale, je vous remercie de contribuer quotidiennement au développement de Lyonnaise des Eaux et d'être, dans votre vie professionnelle et personnelle, les porte-parole de nos valeurs."

La ville de Grenoble a été reconnue recevable dans sa constitution de partie civile contre son ancien maire et les corrupteurs, par la Cour d'appel de Lyon le 9 juillet 1996, confirmée par la Cour de cassation en date du 27 octobre 1997. La Cour d'appel de Chambéry, par arrêt du 10 juin 1998, sur renvoi de la Cour de cassation en date du 27 octobre 1997, a reconnu que les usagers ont été victimes de ces agissements.

Mais concernant des délégations ou marchés obtenus par manoeuvres, dol, ou corruption, force est de constater que le bénéfice de ces manoeuvres est maintenu pour les sociétés privées au détriment des usagers et des contribuables 1.

Lors des élections municipales de juin 1995, les trois listes qui constituent notre majorité se sont engagées en ces termes :

Certains ont préféré oublier leurs engagements électoraux et s'engager dans une négociation avec la LYONNAISE DES EAUX qui avait obtenu ces contrats par corruption. Les bénéficiaires de la corruption ont compté sur la lenteur de la justice administrative et financière 2. Ils ont bénéficié d'une "indemnité de résiliation" de 86,2 M.F., un "rachat d'actions" de 21 M.F., et de la poursuite de leurs profits à travers le sous-délégataire SGEA. Les tarifs n'ont toujours pas été fixés en fonction du service rendu aux usagers et restent à ce jour, depuis mai 1989, entachés par la corruption.

En 1989, le consentement du conseil municipal a été vicié, les conseillers municipaux trompés. La responsabilité de la Ville n'est donc pas engagée par les signatures des contrats du 3 novembre 1989. C'est aux corrupteurs et au corrompu de supporter les conséquences de ces actes. La Ville n'a pas à assumer des responsabilités qui ne sont pas les siennes.

Les filiales de la LYONNAISE DES EAUX, en particulier la SDEI et la SEREPI actionnaires de la COGESE - SEG et de la SGEA, ont poursuivi durant ces huit dernières années leurs profits au détriment des usagers et des contribuables, à Grenoble et ailleurs : une centaine de millions de profits pour la SDEI et une quarantaine de millions de profits pour la SEREPI. La LYONNAISE DES EAUX a réalisée en 1998 plus de 4 milliards de profits. Les seigneurs de la finance misent sur une rentabilité des investissements dans le domaine de l'eau qui est, et sera, au cours des prochaines années, particulièrement élevé.

M. Jérôme MONOD (Chairman of the Supervisory Board, Suez Lyonnaise des eaux, France) est ce jour même le représentant de l'oligopole de l'eau à "The World Commission on Water for the 21st Century" organisée par la World Company (comme diraient les Guignols, disons même la Weaurld Company, ou l'Eau. M. C.) à La Haye cette semaine.

L'accès à l'eau est un droit humain et social de base, individuel et collectif, et non un bien économique soumis aux seules lois du marché et des multinationales.

Pour la régie municipale des eaux, nous avions donc proposé une autonomie financière, pour que ce soit le conseil municipal et non un conseil d'administration qui décide.

Nous avons beaucoup travaillé sur ce dossier et nous continuons. Ne chipotons pas notre plaisir, un peu long à venir.

Plus de dix ans après le bicentenaire de la Révolution Française, en ce premier jour du printemps de l'an 2000, vive le retour de la régie municipale des eaux de Grenoble, le retour aux sources, le retour de nos sources !

Mais tout n'est pas fini. Il faut organiser le conseil d'administration, la présidence, la direction, la concertation avec le personnel et les usagers, le retour des biens et des moyens d'une gestion municipale du service public. Seul le pluralisme et le contrôle public permettent de garantir une amélioration du service et des tarifs.

Il nous reste maintenant à réparer les fautes du passé, à fixer un juste prix de l'eau pour la gestion en régie, dans la clarté et la légalité.

Nous poursuivons notre engagement pour la promotion du service public au service des usagers, de la solidarité et de l'écologie.

Alors, nous pourrons mieux utiliser les ressources d'eau de Grenoble, de très haute qualité, distribuée sans traitement, pour le bien de tous et à un prix correspondant au seul service public, à Grenoble et, demain, dans l'agglomération.


1 (cf. La corruption dans les marchés publics. Rapports et conclusions de la 2ème conférence européenne des services spécialisés dans la lutte contre la corruption, Tallin, 27-29 octobre 1997 ; Conseil de l'Europe, 1998, 147 p.)
Les services judiciaires européens chargés de la lutte contre la corruption et le Conseil de l'Europe insistent sur la nécessité d'actions civiles en indemnisation des préjudices résultant des faits de corruption, l'obligation de saisie et confiscation des produits de la corruption (cf. Mme Marie-Odile WIEDERKEHR, directrice adjointe des affaires juridiques au nom du secrétaire général du Conseil de l'Europe, p. 13 in La corruption dans les marchés publics. Rapports et conclusions de la 2ème conférence européenne des services spécialisés dans la lutte contre la corruption, Tallin, 27-29 octobre 1997 ; Conseil de l'Europe, 1998, 147 p.)

2 La décision de délégation-corruption a été prise par 46 conseillers municipaux de droite de 1989 à 1995. Les décisions "négociées" après 1995 ont été prises par 35 conseillers municipaux de la nouvelle majorité. Ces décisions ont été annulées par la justice administrative saisie par les écologistes, MM. COMPARAT et AVRILLIER.

La défaillance de l'État, chargé du contrôle de légalité pourtant saisi depuis 1989 par les élus écologistes, a permis la corruption et les illégalités.