Les différents modes de gestion des services publics locaux

Nous critiquons fréquemment la manière dont les services publics locaux sont gérés et les choix faits dans leur mode de gestion : régie ou délégation de service public. Voici un document résumant les avantages et les inconvénients des différents modes de gestion des services publics locaux, analyse fondée sur des expériences pratiques.

A- Régies

Deux sortes de régies dépendent du code général des collectivités territoriales :

  • les régies à autonomie financière
  • les régies à personnalité morale et autonomie financière.

Comme dans les collectivités locales, l’ordonnateur (celui qui décide de la dépense) n’est pas le comptable (celui qui paye effectivement).

A-1 Régie à autonomie financière

Exemple la Régie d’assainissement de l’eau à la Métro

C’est la structure qui est la plus proche de la collectivité. C’est l’exécutif de la collectivité qui la dirige. Son budget est annexé au budget de la collectivité.

Avantage : la proximité de la collectivité qui gère le service en direct. Le tarif du service public est décidé par l’assemblée délibérante et peut être changé à tout moment en fonction des réalités de la gestion du service. Les marchés publics, la qualité et le coût du service, la gestion du personnel sont décidés et contrôlés par l’assemblée délibérante. Un conseil d’exploitation comprenant des représentants des usagers est consulté obligatoirement sur toutes les grandes orientations

Inconvénient : parfois les intérêts de l’exécutif ne sont pas totalement en faveur du service en régie. Par exemple, lorsque le budget principal de la Métro était en grande difficulté, le Président (D. Migaud) n’a pas hésité à ponctionner 3 M€ dans la caisse de la régie assainissement pour renflouer le budget principal. Or ces 3 M€ avaient été payés par les usagers du service de l’assainissement. Ceci aurait été beaucoup plus difficile, voire impossible, si la régie de l’assainissement avait eu la personnalité morale.

A-2 Régie à personnalité morale et autonomie financière

Exemple la Régie des Eaux de Grenoble-REG ou la Régie du téléphérique

Il s’agit d’un établissement public juridiquement indépendant de la collectivité. Elle est administrée par un conseil qui est nommé par l’assemblée délibérante (conseil municipal, conseil de communauté, conseil général…). Elle dispose d’un budget à part et vote ses tarifs, en général chaque année. Si ses statuts l’autorisent, elle peut gérer des services publics d’autres collectivités sous contrat de délégation de service public. Le contrôle politique du service public se fait par l’intermédiaire du conseil d’administration émanation de l’assemblée délibérante. Cette régie n’est donc pas contrôlée directement par l’assemblée délibérante de la collectivité ; la collectivité peut néanmoins passer une convention avec sa régie pour fixer leurs rapports et contrôles. A la REG un comité des usagers de l’eau discute régulièrement avec la régie des budgets et des tarifs avant d’être votés par le conseil d’administration.

Le législateur (libéral) a considéré comme des services publics industriels et commerciaux (SPIC) les services publics de l’eau, de l’assainissement, du gaz, de l’électricité et du chauffage urbain (mais ce n’est pas le cas du service public des eaux pluviales par exemple), avec l’obligation de les gérer soit en régie soit en délégation de service public et non dans le budget général de la collectivité. De plus, dans ce cas, le coût du service doit obligatoirement être équilibré par les tarifs facturés aux usagers, et il n’est pas possible réellement de fixer des tarifs sociaux, la loi ne le permettant que dans des cas particuliers.

A noter que les réunions des conseils d’administration ou des conseils d’exploitation ne sont pas publiques. Les emplois créés dans les régies pour les SPIC sont de droit privé, mais les fonctionnaires peuvent y être détachés, il n’y a donc aucune difficulté à faire revenir en régie des SPIC en délégation en ce qui concerne les personnels, la loi imposant de reprendre les personnels du délégataire.

Par contre des services publics administratifs peuvent être gérés en direct par la collectivité. Dans ce cas le coût du service public peut ne pas être complètement répercuté sur les tarifs (c’est le cas par exemple de la restauration scolaires, des équipements publics…). C’est le système des tarifs dépendant des quotients familiaux.

B- Gestion par une structure commerciale (qui dépend du code du commerce)

Dans ce cas la gestion du service public est « délégué » à travers un contrat : il s’agit d’une délégation de service public (qui peut prendre la forme d’affermage ou de concession, mais aussi de contrat de partenariat public-privé). La société délégataire qu’elle soit société à capitaux entièrement privés, société d’économie mixte à capitaux majoritairement publics, ou société publique locale à capitaux entièrement publics, est une société anonyme soumise à son assemblée d’actionnaires. Il n’y a pas de séparation entre l’ordonnateur et le comptable qui sont, suivant les cas, le président, le directeur général ou le président-directeur-général.

B-1 Société publique locale (SPL)

C’est une création récente (par alliance de la droite et de la « gauche ») acceptée par le droit européen. C’est une société anonyme par action avec actionnaires 100 % publics. Il faut au minimum deux actionnaires publics. Elle doit être contrôlée par ses actionnaires comme si elle dépendait directement d’eux. Ce sont ses actionnaires (publics) qui lui délèguent la gestion d’un service public (délégation de service public – DSP). Donc tout est décrit dans le contrat passé entre l’autorité délégante (les collectivités) et la SPL (la société) : les tarifs, les relations entre la SPL et ses actionnaires, le règlement du service… Mais comme pour les autres contrats de DSP ces conditions, y compris les tarifs, ne peuvent être décidés qu’une fois par l’assemblée délibérante de la collectivité lors de la signature du contrat, puis évoluer par indexation.

Dans le secteur de l’aménagement il existe la SPLA (société publique locale d’aménagement, exemple la SPLA SAGES à Grenoble, ancienne SEM SAGES). A la différence d’autres sociétés commerciales qui gèrent en délégation les services publics, dans le cas des SPL, il n’y a pas d’appel d’offre public pour décider à qui donner la délégation (loi dite Sapin, qui n’est pas une véritable mise en concurrence mais qui rend plus transparent le choix fait par l’exécutif de la collectivité).

La SPL est gérée comme une société commerciale classique, même si elle est dirigée par une assemblée d’actionnaires et un conseil d’administration ne comportant que des élus de la collectivité. Elle est donc soumise à l’impôt sur les sociétés, aux impôts et taxes des sociétés privées, à des taux d’emprunts supérieurs à ceux de la collectivité, passe des marchés privés (sans grand contrôle de mise en concurrence), verse des dividendes aux actionnaires (les collectivités y retrouvent un intérêt pour leur budget principal en faisant ainsi payer aux usagers des impôts cachés). La SPL peut très bien, comme à Brest, sous-traiter l’essentiel de son activité à des groupes entièrement privés (externalisation). Le personnel de la SPL est de droit privé et il est recruté par la direction sans recours aux appels de candidature du secteur privé : certains parlent de nouveau clientélisme. Les élus nommés au conseil d’administration de la SPL peuvent s’allouer des indemnités ou jetons de présence (alors que c’est impossible dans une régie…). Les représentants des usagers sont exclus des organes de gestion.

B-2 Société anonyme d’économie mixte locale (SAEML ou SEM-société d’économie mixte pour faire plus court)

Exemples : la SEM GEG née de la privatisation par Carignon et Gascon en 1986 de la Régie municipale du gaz et de l’électricité ; SEM CCIAG (chauffage urbain), SEM Alpexpo ; SEM Minatec ; SEM Grenoble Habitat, SEM Innovia.

C’est une société commerciale dont les actionnaires privés sont minoritaires et dont les actionnaires représentant les collectivités locales ne doivent pas avoir plus de 85 % des capitaux. Théoriquement les actionnaires publics ont le pouvoir, sauf que le plus souvent, les actionnaires privés se sont assurés une minorité de blocage (plus du tiers des actions) et prennent parfois le pouvoir réel devant des représentants des élus qui laissent faire. L’exemple le plus marquant de cette dérive est la SEM Compagnie de chauffage (CCIAG), présidée par un élu du conseil municipal de Grenoble mais dont le directeur général (celui qui a le vrai pouvoir de gestion) est un salarié de l’actionnaire privé.

B-3 Société commerciale privée

La gestion du service se fait à travers un contrat de délégation du service public (exemple de la COGESE Lyonnaise des Eaux de 1989 à 2000 à Grenoble pour le service de l’eau et de l’assainissement).

C- Association loi 1901

La gestion du service se fait à travers une convention ou un contrat de délégation du service public. Les associations loi 1901 sont soumises à des règles de gestion très peu contraignantes et cette situation ouvre la possibilité de nombreux abus, si le contrôle n’est pas strict.

D- Avantages de la gestion en régie sur la gestion par une structure commerciale

En régie, un contrôle étroit par la collectivité se décline ainsi :

  • pas de contrat de délégation entre la régie et la collectivité, donc une grande souplesse pour que la collectivité (et non le privé) adapte la gestion à l’évolution de la situation (et non des profits au privé).
  • pas de limite dans la durée pour fixer les paramètres économiques et financiers de la gestion du service public. Exemple dans la gestion de l’eau, la Régie des Eaux de Grenoble ne se fixe aucune limite dans le temps pour décider du renouvellement de ses réseaux et les amortissements, contrairement à une gestion sous contrat où l’équilibre économique est calculé sur la durée du contrat.

Grande souplesse pour la fixation des tarifs : les régies peuvent décider de changer les tarifs à n’importe quel moment, sans avoir à négocier des avenants au contrat de délégation.

Souvent les gestionnaires des régies sont plus désintéressés que ceux des structures commerciales car ils ne sont pas indemnisés.

Les régies n’ont pas à rémunérer les capitaux des actionnaires, ni à payer des impôts (d’Etat) sur les bénéfices, ni les impôts locaux sur les entreprises (ancienne taxe professionnelle). Si on prend le service public du chauffage urbain à Grenoble, ce sont des dizaines de millions d’euros qui ont été utilisés à rémunérer les actionnaires, payer les divers impôts. Dans cette période de crise sociale, mettre ces dépenses dans les tarifs d’un tel service public est particulièrement antisocial.

Autre différence, qui n’est jamais évoquée, qui explique pourquoi certains élus préfèrent le structures commerciales : elles peuvent rémunérer le président du conseil d’administration et les administrateurs, ce que ne peuvent pas faire les régies.