Nano, bio... - technologies : pour un vrai débat citoyen et une meilleure utilisation de l'argent public


Février 2005

Nanosciences et nanotechnologies, ouvrir un vrai débat citoyen

Les nanosciences et les nanotechnologies sont des développements scientifiques et techniques issus des recherches menées à l'échelle atomique ou moléculaire (le milliardième de mètre), que ce soit en physique, en chimie ou en biologie.

Depuis les années 1990, il y a prise de conscience des potentiels très importants du croisement d'applications entre la microélectronique, la biologie et les techniques de l'information. Cela se traduit par des investissements gigantesques dans la recherche pour des applications civiles ou militaires, et des multinationales puissantes entendent dominer ce nouveau marché à haute valeur ajoutée.

Ce n'est pas la première fois que l'inquiétude ou la peur des dérives éventuelles ou des effets secondaires indésirables et imprévus se font jour devant l'émergence de nouvelles technologies : le nucléaire, les OGM, le clonage... Ces réactions sont salutaires car elles remettent en cause le dogme scientiste, qui soutient que la science et la technique sont toujours bonnes et porteuses d'un progrès linéaire prometteur d'un avenir radieux à l'humanité.

Toute invention humaine est comme la langue d'Esope, la meilleure et la pire des choses. Tout dépend de ce qu'il en est fait et donc du pouvoir de contrôle de la société sur les applications des recherches publiques et privées.

Les nanotechnologies couplées à la biologie et aux innovations dans les technologies de la communication sont porteuses d'aspects intéressants dans les domaines de l'échange d'information, de la santé, de la surveillance de l'environnement. Elles laissent parallèlement entrevoir des utilisations très négatives et dangereuses pour l'avenir de l'humanité, notamment si les recherches arrivaient un jour à maîtriser la complexité des phénomènes qui ont mené au vivant.

Parmi les questions posées à la société

Les nanoparticules pourraient se disperser dans l'environnement et nuire à la santé. Ceci n'est pas nouveau (cf l'amiante, la pollution atmosphérique par les poussières, les aérosols...). Il y a des solutions pour s'en protéger à condition que la société prenne les précautions suffisantes. Cela exige des études de nocivité et une réglementation adéquate, mais cela ne se fera que sous la pression des citoyens car ce n'est pas à l'ordre du jour des programmes de recherche, malgré les avertissements du passé.

La miniaturisation des systèmes électroniques permet de fabriquer des systèmes communicants par ondes radio. Miniaturisés, ils peuvent servir dans le domaine médical ou pour le contrôle de la traçabilité de produits, mais aussi dans des applications militaires telles les drones ou le contrôle de l'activité et de la vie privée des individus à leur insu, ce qui serait inacceptable. L'encadrement ou l'interdiction de telles applications doit être rapidement édictée au niveau mondial et un strict contrôle de la mise sur le marché de telles puces doit être organisé.

Nous sommes par contre loin, aujourd'hui, de pouvoir créer des assemblages aussi complexes qu'une cellule vivante, des assemblages qui pourraient alors se reproduire et se multiplier et échapper au contrôle de ses créateurs. Autant les réalisations simples actuelles sont déjà impressionnantes, autant atteindre la complexité du monde vivant est pour l'instant exclu. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'en préoccuper dès maintenant, mais cela demande des réflexions et des actions différentes des cas précédents. De ce point de vue les nano-biotechnologies posent à terme des questions beaucoup plus redoutables que les simples nanotechnologies. Une évolution de la loi bioéthique d'août 2004 serait nécessaire pour encadrer ces recherches.

Construire le débat démocratique à tous les niveaux

Sur l'ensemble de ces questions, le débat qui devrait avoir lieu dans la société est bien mal parti. L'exemple grenoblois est d'ailleurs une caricature : les thuriféraires des nano (chercheurs, industriels et politiques) avancent les yeux fermés expliquant que tout est sous contrôle. Face aux réactions négatives, ils se déclarent prêts au débat alors qu'ils ont déjà pris leurs décisions. Nous devons construire la critique de ces attitudes sans verser dans la caricature ce qui serait entrer dans leurs jeux. Dans les instances délibérantes, seuls les élus écologistes persistent à ne pas participer à cette dérive antidémocratique en refusant d'accepter, sans réfléchir, des décisions très contestables (soit des dépenses publiques au profit d'intérêts privés sans contrepartie - Alliance, SEM Minatec - soit des aides à des développements posant des problèmes éthiques importants : Biopolis, nanobio...).

Quelles sont les pistes pour avancer et permettre à la société d'éviter les inconvénients et les catastrophes potentiels ?

Il n'est pas réaliste de croire qu'il est possible d'interdire les recherches sur la complexité du vivant, cette quête du savoir est inhérente à l'humanité. Par contre, réfléchir à quelles applications sont acceptables ou ne le sont pas, quelles sont les priorités, à qui cela sert vraiment, nécessite des débats plus larges et le cadre des décisions doit être clairement défini.

Pour construire un vrai débat, il convient d'abord de reconnaître que les peurs face à de nouvelles technologies sont des signaux d'alerte essentiels et positifs. Le doute est constructif et la certitude est bien souvent mère des totalitarismes.

Ce n'est pas faire de l'antiscience que de s'interroger sur les risques et les dégâts du progrès scientifique. Il faut admettre qu'il existe plusieurs rationalités dans la société et que l'attitude des chercheurs, ingénieurs et industriels, repoussant d'un revers de la main ces interrogations, sont condamnables et surtout contre-productives.

Il est donc important de tirer les leçons de ce qui s'est passé sur le dossier du nucléaire ou des OGM pour ne pas tomber dans les mêmes travers. Il devrait y avoir de manière permanente une négociation sociale sur les développements technologiques, et ceci doit se faire à tous les niveaux : locaux, régionaux, européen et mondial.

Ceci pourrait démarrer par l'organisation de forums organisant le débat contradictoire entre acteurs différents : chercheurs, industriels, technologues, institutions, associations, grand public... L'organisation de ces forums doit être financée sur des fonds publics afin de garantir leur indépendance des lobbies industriels. La tenue de ces forums est à programmer avant les prises de décision et il faudra du temps pour "digérer" ces discussions qui promettent d'être compliquées et riches. Les responsables politiques ont à s'interdire de prendre des décisions sans que ces forums aient élaboré un certain nombre de conclusions éclairant l'état du débat citoyen, et définis les précautions possibles en matière d'éthique et de sécurité.

La Métro et le Conseil Général mettent aujourd'hui en place des débats qui seront probablement condamnés à l'impuissance politique dès le départ, puisqu'ils ne visent qu'à justifier les décisions déjà prises.

Nous proposons que des échanges aient lieu afin que des associations diverses, de scientifiques, de citoyens mettent en place un forum dédié à ces débats et que les institutions publiques (collectivités, organismes de recherche...) le finance. Ce forum citoyen doit pouvoir se mettre en place en toute indépendance des enjeux politiciens et économiques. La responsabilité des décideurs politiques est d'écouter la société et de prendre en compte les questions posées en terme d'intérêt général et en terme de risque d'ordre éthique ou accidentel.

Et pour conclure ces réflexions préliminaires, gardons à l'esprit la belle formule de Rabelais dans Pantagruel qui résume tout cela : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme".

ADES février 2005