Le temps n’est plus aux analyses et aux dénonciations. L’heure doit être à des propositions concrètes et précises. En effet, les gens attendent autre chose qu’une simple dénonciation des errements des gouvernants étatiques et locaux. Ils attendent des réponses tant dans le domaine de la sécurité résidentielle des personnes et des biens qu’en ce qui concerne leur avenir socio-professionnel, pour eux et leurs enfants. Compte tenu de la situation, compte tenu de l’absence de propositions autres que sécuritaires (nomination d’un super-préfet policier), il semble essentiel aujourd’hui, de proposer une alternative à ce qui a été fait et, pourquoi pas, faire de la Villeneuve, un territoire où on invente une politique urbaine soutenable qui soit une référence pour l’ensemble des quartiers de la ville et de la région rurbaine. Au risque de démonétiser encore plus le politique, et de laisser encore une fois libre cours aux fanfaronnades sécuritaires et souvent racistes, l’ensemble de la communauté politique grenobloise devrait rapidement, donner un signe fort sur ce qu’il convient de mettre en œuvre dans le domaine institutionnel à l’échelon local. Après tout, si Grenoble est une ville aussi innovante qu’on le dit, il est temps de le montrer, ici et maintenant, sans attendre des solutions étatiques qui ne viendront jamais. L’histoire de Grenoble a été aussi et surtout celle-ci : prendre en compte la réalité telle qu’elle est et inventer localement des réponses adaptées.
Lors de sa création au début des années soixante-dix, la Villeneuve a été un espoir, sans doute démesuré, qui a suscité une déception sans doute à la hauteur de cette démesure. Dès 1983, à peine dix ans après la construction des premiers bâtiments, la municipalité Carignon dans laquelle figuraient quelques représentants de l’actuelle majorité, avait contribué à jeter l’opprobre sur cette réalisation en en faisant un territoire d’assignation à résidence pour les populations délaissées. Les critiques qui accablent ce quartier aujourd’hui, mêmes les plus favorables (Libération jeudi 22 juillet 2010), continuent dans ce registre assorti de commentaires sympathiques, «regretteurs» de ce temps d’avant où des habitants bien comme il faut étaient en phase avec ce projet urbain. Ce temps-là, mythifié, ne reviendra pas et nous sommes contraints, comme toujours, à «faire avec» la réalité telle qu’elle est aujourd’hui. D’autant que tout n’est pas à jeter dans ce territoire de la Villeneuve, loin s’en faut, tant du côté de l’habitat qui reste exemplaire à plus d’un titre que des communautés qui y sont présentes et s’y activent. La Villeneuve n’est en rien le ghetto qu’on nous dépeint, surtout si on le compare à d’autres quartiers de la politique de la ville en France ou ailleurs en Europe et dans le monde. Quand je cherche quelque chose à montrer de positif et de remarquable sur le plan architectural et urbanistique dans cette ville à mes collègues étrangers, je leur présente la Villeneuve ! What else ? Les slogans excessifs qu’utilisent ceux qui n’ont pas grand-chose à dire si ce n’est de stigmatiser des lieux et des gens pour des raisons trop évidentes, n’aident en rien l’analyse de la réalité des territoires urbains et interdisent d’envisager des projets crédibles pour le futur. C’est de l’irresponsabilité politique. La responsabilité politique consiste à prendre en compte la complexité de ce territoire et à essayer de trouver une sortie par le haut, solution utile pour d’autres et éventuellement pour repenser le fonctionnement de cette ville et de sa région rurbaine tout entière.
Rappelons ici quelques éléments d’analyse. Un territoire, quel qu’il soit, comprend trois composantes essentielles au cœur du développement soutenable : des lieux (environnement), des gens (social) et des institutions (économie) en charge de leur régulation (politique) dont l’assemblage produit une atmosphère particulière, une atmosphère qui peut être favorable ou défavorable aux initiatives des acteurs locaux. Or les évènements violents qui se sont déroulés à la Villeneuve à la suite du braquage du Casino d’Uriage et la mort violente de celui qui a commis cet acte délictueux n’ont guère de choses à voir avec les lieux construits (faire tabula rasa n’est en rien une réponse), ni avec les gens qui y résident ou y travaillent (on ne peut heureusement, comme disait Berthold Brecht, dissoudre le peuple). En revanche ce qui s’est passé a beaucoup à voir avec le dysfonctionnement de nos institutions (Etat, collectivités territoriales, partis, syndicats et associations, structures familiales, les politiques et les techniciens, les manières de décider et d’agir). Disons-le tout net, la Villeneuve, mais aussi toutes nos sociétés «rurbaines» sont «malades» de leurs institutions. Là résident les principales pathologies. Nos institutions cloisonnées, empilées et corporatisées comme jamais, conçues à une autre époque pour d’autres missions, de moins en moins en prise sur la réalité sociale car moins représentatives, de moins en moins présentes sur le terrain (retrait progressif des agents qui devraient plus que jamais être en étroit contact avec la population au quotidien) sont dans l’incapacité d’imaginer et de mettre en œuvre les régulations nécessaires. Un exemple parmi d’autres, les institutions politiques continuent de donner le pouvoir à une représentation vieillissante, bien insérée professionnellement, essentiellement mâle, souvent rurale (sénat, assemblée nationale, conseils généraux et, dans une certaine mesure, conseils régionaux), souvent au dessus des lois alors que les populations urbaines, jeunes, issues de l’immigration, féminines, souvent exclues du monde du travail sont dramatiquement sous-représentées et stigmatisées. On sait quelles ont été, dans le passé, les conséquences du creusement de tels fossés entre représentations politiques et pays réel ! Telles étaient les conclusions essentielles du rapport Dubedout «Ensemble, refaire la ville» en 1984 qui inaugurait la politique de la ville. Personne n’a véritablement entendu le message et la politique de la ville s’est perdue dans les procédures «usine à gaz» d’opérations inaugurables, ciblées sur le bâti (ANRU) souvent au détriment du social.
Instruit par l’expérience internationale en ce domaine et par une expérience associative avec des publics très précarisés, il me semble plus que jamais nécessaire de mettre l’accent sur la réforme des institutions comme le recommandait déjà le rapport Dubedout… il y a un quart de siècle ! Une telle réforme ne mobilise pas nécessairement des moyens supplémentaires. Il s’agit de redéployer le personnel des services sur le terrain dans le cadre d’équipes intégrées en lien étroit avec les communautés locales (approches coproduites avec les gens, ascendantes –bottom-up- et non descendantes –top-down comme c’est trop souvent le cas), tout cela pouvant préfigurer une nouvelle organisation moins dispendieuse du service public (à l’heure de la réduction des budgets) et d’un fonctionnement plus efficace (un service public au service du public).
Pour l’immédiat, concernant la Villeneuve, la proposition pourrait être la suivante : créer une solide équipe de développement regroupant des professionnels de tous les services (Etat et collectivités locales), ce que l’on appelle en Europe une «Task Force» ou une «Local Action Team», sous la responsabilité des autorités publiques. Cette équipe aux compétences élargies aurait un rôle d’impulsion et de coordination des services traditionnels (Etat et collectivités locales) qu’elle pourrait mobiliser prioritairement, en tant que de besoin. En coproduction avec la diversité des acteurs et des communautés de la Villeneuve, elle aurait pour objectif d’élaborer un programme pluriannuel d’interventions ciblé tout particulièrement sur les enfants, les adolescents et les jeunes en relation avec les parents (notamment les familles monoparentales, les femmes et les mères, mais aussi et surtout les hommes et les pères), la priorité étant de renforcer la présence en première ligne d’adultes des diverses communautés et de professionnels avec pour mission d’encadrer ces publics, leur permettre de trouver un chemin dans les complications de la vie sociale et professionnelle et de reconstruire de la citoyenneté au sein de ce territoire. C’est une œuvre de longue haleine, 10 à 15 ans au moins, sur une échéance qui dépasse un mandat politique.
La décision doit être prise, ici et maintenant ! Cela relève avant tout des élus locaux. Les responsables de la ville et de la région rurbaine (Métro, Conseil général de l’Isère, Conseil régional) doivent reprendre l’initiative et anticiper car nous l’avons vu, l’Etat ne sait agir qu’ex-post et dans les pires conditions. Les élus locaux, quelle que soit leur appartenance politique, sauront-ils s’autoriser à prendre, enfin, les mesures qui s’imposent et à s’engager sur la voie des mutations nécessaires ? L’urgence est là ! Attendre serait une faute politique majeure !
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