L’université de Grenoble est accusée d’aider indirectement l’armée russe

Publié le 14 février 2025

L’entreprise Lynred qui commercialise des capteurs de lumière infrarouge utilisés notamment par les militaires, est épinglée pour avoir fabriqué des composants utilisés par des drones militaires russes. Lyndred, anciennement SOFRADIR issue notamment du CEA-LETI a son site de production et de développement à Veurey-Voroize dans l’agglomération. Elle a des liens avec des laboratoires universitaires grenoblois et par exemple elle a tout dernièrement passé une convention de mécénat avec Polytech Grenoble INP – UGA. « Cette action qui s’est faite par l’intermédiaire de la Fondation Grenoble INP, marque une étape significative dans le rapprochement entre le monde académique et industriel, renforçant les liens entre formation et innovation. »

Des capteurs thermiques fabriqués par Lynred ont été récemment retrouvés dans des drones russes utilisés sur le champ de bataille ukrainien, après la mise en place des sanctions internationales à la suite de l’invasion à grande échelle de février 2022. Pour obtenir ces composants essentiels à la fabrication de ses engins volants, le complexe militaro-industriel russe, qui jusqu’alors était un client régulier de Lynred, utilise désormais un réseau international de contournement de l’embargo, explique un article de Médiapart.

Un autre article d’Informnapalm dénonce : des techniciens kazakhs entretiennent les avions russes Su-30SM en employant des équipements français de Thales et de Safran. Notre enquête révèle une stratégie qui permet à la Russie de maintenir ses bombardiers et chasseurs avec du matériel, des pièces détachées et des technologies françaises malgré les sanctions internationales.

Des documents et des témoignages montrent que la société kazakh ARC Group collabore avec l’armée russe pour maintenir les avions russes Su-30SM équipés d’avionique française de Thales et Safran. Les volontaires de la communauté internationale InformNapalm ont recueilli des documents et des témoignages.

Cette collaboration kazakho-russe illustre un arrangement sophistiqué qui permet aux Russes d’obtenir des technologies militaires de pointe en contournant les sanctions occidentales en vigueur, sous le couvert d’un entrepreneur militaire kazakhstanais.

Voici des extraits de l’article de Médiapart : « La firme, qui revendique de faire partie des leaders mondiaux de son domaine et qui bénéficie de nombreux financements publics français comme européens, est partenaire de l’Institut national polytechnique (INP) de l’UGA. Ce partenariat se concrétise par une chaire de recherche lancée en 2022, nommée « Deep Red » (« rouge profond ») et financée exclusivement par Lynred à hauteur de 750 000 euros sur cinq ans.

Son objectif ? Accompagner les étudiant·es, les chercheuses et des chercheurs afin de développer l’intelligence artificielle (IA) au service de l’imagerie infrarouge. Malgré les questions éthiques qui peuvent se poser, une collaboration de ce type entre le secteur universitaire public et une entreprise privée de haute technologie militaire n’a rien d’extraordinaire au cœur de la « Silicon Valley iséroise ». Ces coopérations sont d’ailleurs hautement valorisées par tous les acteurs concernés.

Le problème est ailleurs, et il est de taille : des capteurs thermiques fabriqués par Lynred ont été récemment retrouvés dans des drones russes utilisés sur le champ de bataille ukrainien, et ce bien après la mise en place des sanctions internationales à la suite de l’invasion à grande échelle de février 2022.

Pour mettre la main sur ces composants essentiels à la fabrication de ses engins volants, le complexe militaro-industriel russe, qui jusqu’alors était un client régulier de Lynred, utilise désormais un réseau international de contournement de l’embargo, notamment lié au réseau Zimenkov, vaste entreprise quasi mafieuse rattachée aux régimes russe et bélarusse (voir en boîte noire).

Nulle mention n’est faite de l’activité militaire de Lynred sur les différentes plateformes de communication liées à la chaire Deep Red, qui prend soin de mettre l’accent sur les activités de la société liées au domaine civil. L’entreprise est pourtant fortement concentrée sur l’industrie de défense.

Inquiets que de la recherche effectuée à l’université publique puisse être utilisée à des fins militaires, qui plus est par un pays agresseur comme la Russie, de nombreux collectifs issus de la société civile incluant syndicats étudiants et groupes d’universitaires, avaient écrit à l’INP et à l’UGA en mars 2024. Ils demandaient des explications sur ce partenariat, en particulier les détails sur le contrat liant Lynred et l’université…

« Même si l’institut est un organisme privé, il est rattaché à l’université, qui ne peut se défausser de sa responsabilité, explique Tony Fortin, chargé d’études à l’observatoire des armements, principal organisme indépendant de recherche et d’expertise français sur les armes. À partir du moment où ils refusent de donner les détails d’un partenariat, on peut considérer qu’il y a dissimulation. »

De son côté, le doctorant élu à la commission de la recherche de l’UGA Jérémie Klein s’offusque que la chaire existe toujours : « L’UGA a officiellement coupé tout partenariat avec la Russie après son invasion de l’Ukraine. Je trouve donc très hypocrite de conserver un partenariat avec une entreprise dont les composants servent toujours à armer la Russie. »

Questionnés par Mediapart, le président de l’UGA Yassine Lakhnech et l’administrateur général de l’INP Vivien Quéma se veulent rassurants. « Le mécène ne peut se prévaloir d’aucun droit de propriété sur les connaissances développées ou des éventuelles inventions », écrivent-ils dans une réponse commune, précisant que « les connaissances scientifiques résultant des travaux de recherche des chaires font l’objet de publications ouvertes, servant ainsi le domaine public ».



Sur le site de la chaire, les travaux présentés ont pour but l’amélioration de la détection infrarouge, notamment pour faciliter le repérage de piétons par les automobiles. « Si l’emploi des technologies infrarouges s’est bien sûr étendu dans les secteurs civils, ce n’est pas leur utilisation première, explique Tony Fortin. La détection infrarouge est d’abord une technologie militaire qui permet la vision de nuit, nécessaire pour les armées. »…

Comment s’assurer, dès lors, que les intérêts personnels et professionnels liés aux thématiques de défense de ceux censés garantir l’indépendance de la chaire n’interfèrent pas dans les orientations des sujets de recherche de la chaire ? Dans sa réponse à Mediapart, la direction de l’UGA et de l’INP préfère éluder cette question, tout comme elle a refusé de fournir les détails de la convention liant l’université à Lynred. L’entreprise a quant à elle préféré s’abstenir de tout commentaire…

Pour Camille Pagiras, présidente de l’Union étudiante de Grenoble (UEG), cette opacité est symptomatique d’une « université qui développe des partenariats avec des secteurs très militarisés qui se font dans une absence totale de contrôle ». L’étudiante évoque également l’impossibilité pour l’UEG d’obtenir les détails d’un partenariat entre l’université et l’entreprise Thales, copropriétaire avec Safran de Lynred. Ces deux géants de l’aéronautique viennent d’ailleurs d’être épinglés par le site d’enquête ukrainien Inform Napalm au motif que leur matériel équipe l’aviation russe via une société kazakhe.

« L’industrie de l’armement devrait rester en dehors de l’université, dont le rôle doit être à visée émancipatrice et de palier les problèmes du futur, et pas d’orienter les étudiants vers le domaine militaire en leur présentant ces débouchés comme les meilleurs », conclut Camille Pagiras. »

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