Les illusions dans la politique d’urbanisme à Grenoble

Publié le 15 février 2013

En paroles, tout le monde semble d’accord pour une politique d’urbanisme et de construction de logements qui vise seulement à maintenir la population à Grenoble et non pas à l’augmenter. Par contre les divergences profondes apparaissent dans la mise en place pratique d’une politique qui assurerait ce maintien.

A ce sujet, la majorité municipale, le maire et l’adjoint à l’immobilier en tête sont restés sur des analyses qui datent et s’avèrent maintenant erronées. Voici le début d’un dossier qui sera développé dans les mois à venir.

Le PLU de Grenoble voté en 2005, a été élaboré durant les années précédentes. A l’époque, les données des recensements indiquaient une forte évolution dans l’occupation des logements.

Durant la période 1975-1990 le nombre de logements (résidences principales) à Grenoble est resté à peu près constant (environ 65 000) et la population de la ville a diminué fortement de 166 000 à 150 000 habitants. A partir de 1990 le nombre de logements a fortement augmenté de 65 000 à 80 000 environ en 2008, permettant un nouvelle hausse de la population jusqu’à 157 000. Voir le graphique ci-dessous :

1960-2010PopMenagesGrenoble

En 1975 on comptait en moyenne 2,6 habitants par logement, ce chiffre a décru régulièrement jusqu’à atteindre 2 en 1999, il est en train de se stabiliser. Cette forte évolution est causée par des phénomènes de décohabitation, des séparations, de vieillissement… Ces évolutions sociétales entraînant une diminution importante de la population pour un nombre de logements identiques, il fallait donc construire assez de logements pour enrayer cette évolution.

C’est principalement sur ces données et analyses qu’ont été élaborés les chiffres de construction de logements nécessaires à Grenoble pour maintenir la population. Le PLH (Plan Local de l’Habitat) et le SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale) ont emprunté le même chemin, sans s’appuyer sur une analyse approfondie des phénomènes de périurbanisation accélérée.

Une donnée importante n’avait pas été prise en compte lors de l’élaboration du PLU de 2005, il s’agit du dérapage violent du prix de l’immobilier.

Il avait été tout de même acté un coût d’accès au logement en progression sur l’agglomération avec des variations sensibles suivant les quartiers. Par exemple dans un quartier en mutation comme Berriat l’évolution était plus forte passant de 1128 €/m² en 2000 1600 €/m² en 2003 soit + 41,8 %. Les prix de l’immobilier avaient atteint un niveau d’équilibre (de plus ou moins 10%) durant près de 40 ans par rapport aux revenus des ménages, avant de s’envoler à partir de 2002.

Mais parallèlement à l’envolée de l’immobilier, il y a la cassure sociale française de la croissance des revenus des ménages. Entre 2000 et 2010, le niveau de vie moyen annuel des 10 % les plus pauvres a progressé de 5,3 % soit 400 euros, une fois l’inflation déduite. Le niveau de vie moyen des 10 % les plus riches a augmenté de 18,9 % soit 8 950 euros (source Observatoire des inégalités).

Cette hausse de l’inégalité de la croissance des revenus s’est traduite par un renforcement des inégalités d’accès au logement selon les ménages.

Voir le graphique montrant la liaison des prix des logements en France par rapport aux revenus des ménages (Source CGEDD d’après l’INSEE).

LogementsRevenusFrance

On retrouve la même évolution des prix dans l’agglomération : voici deux graphiques issus des « Cahier de l’Observatoire de l’habitat 2010-2011. Suivi des marchés immobiliers (août 2012) ».

2000-2011EvolPrixm2 2000-2011EvolPrixm2Revente

Jusqu’en 2000, le prix des logements évoluait à peu près comme le revenu des ménages, ensuite il va augmenter rapidement à partir de 2002-2003 et va plus que doubler en 5 ans  dans l’ensemble de la Métro.

De même les loyers ont dérapé dans l’agglomération depuis le début des années 2000.

Le graphique décrit l’évolution des loyers dans l’agglomération grenobloise (données issues de l’observatoire de l’habitat de la Métro). Prix du loyer moyen et prix du loyer moyen après un changement de locataire.

2000-2012EvolPrixLoyersGrenoble

Localement, la politique de soutien de la Ville de Grenoble et de la Métro aux secteurs économiques des polarités technologiques internationales (Grands groupes, ST…) a renforcé la pression des revenus « internationaux » qui ont conduit à faire une pression plus forte sur l’accessibilité au logement de Grenoble, de l’agglomération et au foncier de la Vallée du Grésivaudan en particulier.

Nationalement comme localement, l’immobilier comme le foncier sont devenus une rente (complémentaire aux revenus) bénéficiant soit aux propriétaires soit aux catégories sociales les plus aisées.

L’Allemagne par exemple n’a pas suivi ce modèle régressif et ségrégatif du pouvoir d’achat et le prix du logement est resté cohérent avec la croissance des revenus.

On peut noter que le début du dérapage vers 2002 est exactement la période où l’Etat a commencé à soutenir fiscalement l’activité de l’immobilier (loi Périssol). Il n’était pas évident au moment de la préparation du PLU de Grenoble que cette évolution des prix s’inscrive dans la durée, il pouvait s’agir d’une oscillation conjoncturelle comme il y en avait eu auparavant. Le déficit de soutien public à cette époque de l’Etat et de l’agglomération a pesé sur l’évolution des prix de l’immobilier.

Comme l’analyse l’observatoire de l’habitat de la Métro, le marché immobilier est tiré vers le haut par les ménages « les plus aisés ». Un article du Monde du 30 octobre 2011 expliquait que « La densification des centres-villes fait doubler le coût du mètre carré construit » et précisait : « « Les élus sont dans une impasse car, s’ils densifient leurs centres-villes, ils produisent pour les riches. Les classes moyennes et modestes, si elles n’obtiennent pas un logement social, n’ont alors pas d’autre choix que de s’installer plus loin, pour y trouver un terrain bon marché et des coûts de construction supportables », expliquait Jean-Charles Castel, du Centre d’études sur les réseaux, les transports et l’urbanisme (Certu). « Si vous doublez le nombre de mètres carrés constructibles sur un terrain, vous quadruplez son prix », résumait-il. »

De nombreuses études montrent que ce n’est pas la rareté de l’offre qui fait le prix du logement mais la demande d’acheteurs capables de payer un prix élevé et qui s’accaparent la rente immobilière.

Nous l’avons déjà souvent souligné, la politique de l’urbanisme et du logement à Grenoble favorise les riches et n’empêche pas le départ de nombreux ménages chassés par les prix en accession ou en location. Et ceci est amplifié par la vitesse à laquelle les opérations se succèdent.

Les chiffres des recensements successifs de l’INSEE montrent que la population de Grenoble est stabilisée malgré la forte augmentation du nombre de logements. Parallèlement à cela le nombre de logements vacants est en hausse dans l’agglomération et plus particulièrement à Grenoble. La densification à outrance ne résout pas le problème de la périurbanisation, au contraire elle l’aggrave. La politique menée actuellement est fondée sur des illusions qu’il faut analyser pour les combattre. Et sur un manque de cohérence urbaine à l’échelle de l’agglomération.

Ces illusions sont bien décrites dans un ouvrage récent chez Scrineo : « Grand Paris Sortir des illusions, approfondir les ambitions ». De Jean-Pierre Orfeuil et Marc Wiel. Même si ce livre critique le projet du Grand Paris, les illusions décrites s’appliquent aussi ailleurs et notamment dans l’agglomération grenobloise.

Page 193 : « Sortir des illusions qui nous abusent… et pour cela d’abord les comprendre. Le fondement des illusions communément partagées sur la réalité des moyens d’organiser le développement urbain réside dans la sous-estimation du rôle central joué par le marché foncier et immobilier… »

Les auteurs, spécialistes des transports et de l’urbanisme examinent successivement les illusions liées à la mobilité, les illusions liées à l’aménagement, celles liées au développement économique et enfin à l’environnement.

Ils précisent que « ces illusions ne sont pas toujours des erreurs en elles-mêmes, mais le deviennent souvent du fait de leur généralisation hors du contexte où certaines sont pertinentes. Elles bloquent la possibilité de renouveler nos approches urbanistiques ».

En ce qui concerne les illusions dans le domaine du logement et celles liées à l’aménagement, ils critiquent :

  • L’illusion habituelle : la pénurie de logement explique leur cherté.
  • Les logements sociaux contribuent à résorber la pénurie.
  • L’illusion du manque de terrains à construire
  • L’illusion de pouvoir contrer l’étalement urbain par la densification

Il apparait maintenant que le mécanisme de diminution de la population n’est pas seulement dominé par des évolutions sociétales mais par la fuite des ménages de Grenoble vers le périurbain. Les plus riches ayant déjà capté la rente foncière et les ménages les moins aisés pour se loger à des prix abordables (hors logement social) trouvent un bâti dévalué avec le risque de la précarité énergétique.

Conclusion, il faut repenser en totalité la politique du logement de la Ville de Grenoble fondée sur une construction accélérée de logements neufs à des prix beaucoup trop élevés et des loyers trop chers. Doublée d’un manque de politique publique de maîtrise foncière à l’échelle de la Région Urbaine.

C’est pourquoi il est essentiel de bloquer la politique actuelle qui nous conduit dans le mur. C’est ce que nous faisons, avec d’autres, en saisissant la justice contre les projets actuels. La vraie bataille contre la spéculation immobilière sera plus facilement gagnée si des mesures nationales sont prises rapidement pour contrer la rente immobilière. Mais d’ores et déjà une politique volontariste d’une commune et d’une communauté d’agglomération peut donner des résultats, à condition d’y réfléchir en prenant le temps. Ce sera un des enjeux importants de la prochaine campagne des élections municipales. A suivre…

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