
Une étude de l’Institut Terram (auteurs, Jérôme Fourquet, Sylvain Manternach et Chloé Tegny), dresse le portrait d’une France remodelée depuis dix ans par les plateformes de réservation de meublés de tourisme dont Airbnb. Si les zones touristiques classiques sont largement concernées par ce phénomène, de nouvelles géographies touristiques se dessinent. Cette étude insiste sur la raréfaction des logements permanents et se termine par la question qui n’est donc plus de savoir si les vacances doivent être accessibles à tous, mais comment garantir cette accessibilité sans creuser davantage les inégalités déjà existantes.
Conclusion :
« La location via Airbnb s’inscrit dans un contexte de transformation profonde des pratiques touristiques, où les vacances occupent une place centrale dans les modes de vie contemporains 15. Le fait que près d’un Français sur deux (46 %) déclare partir aujourd’hui plus souvent que ses parents au même âge en témoigne. Cette tendance confirme que le départ en vacances est devenu un marqueur de qualité de vie et d’intégration sociale. Mais la réalité demeure contrastée : 17 % estiment partir aussi souvent que leurs parents au même âge, et plus d’un tiers (37 %) déclarent partir moins, signe que l’accès effectif aux vacances reste profondément inégalitaire.
Cette fracture souligne une tension croissante entre l’idéal de « vacances pour tous » et les contraintes économiques qui pèsent sur une part significative de la population.
Dans une économie mondialisée, marquée par la consommation statutaire amplifiée par les réseaux sociaux, la démocratisation des transports aériens et la diversification des offres touristiques, partir en vacances demeure un objectif fort, mobilisant des arbitrages budgétaires parfois drastiques. Quatre Français sur dix déclarent déjà réduire leurs dépenses liées aux loisirs du quotidien (cinéma, sorties, restaurants…), à l’habillement ou aux produits de beauté. Près de sept sur dix se disent prêts à le faire pour maintenir ce qu’ils perçoivent comme un besoin essentiel. Plus d’un tiers rognent sur l’aménagement du logement ou l’épargne, et près des deux tiers (64 %) affirment avoir déjà sacrifié au moins un poste de dépense pour préserver leurs vacances. Ces arbitrages traduisent l’existence d’une véritable « économie de la débrouille 16 », durable dans les pratiques sociales : achat d’occasion, troc, location entre particuliers, do-it-yourself… Elle touche particulièrement les femmes – en particulier les moins de 35 ans et les familles monoparentales –, les professions intermédiaires, les catégories modestes, les étudiants ou encore les locataires.
Dans ce paysage, les plateformes comme Airbnb s’inscrivent comme l’un des instruments de cette économie d’adaptation. La plateforme permet à certains ménages de voyager plus souvent, parfois à moindre coût et avec davantage de souplesse que l’hôtellerie traditionnelle. Mais cette accessibilité accrue n’est pas sans contreparties : tensions sur les marchés immobiliers, raréfaction des logements permanents, accentuation des phénomènes de gentrification dans certains territoires touristiques.
Ainsi, le succès d’Airbnb révèle une contradiction : il illustre l’aspiration universelle aux vacances, devenues un besoin social fondamental, sinon un « droit aux vacances », mais il met aussi en lumière les fractures sociales et territoriales qui s’opposent à sa pleine réalisation. La question qui se pose désormais n’est donc plus de savoir si les vacances doivent être accessibles à tous, mais comment garantir cette accessibilité sans creuser davantage les inégalités déjà existantes.
15. Sur ce sujet, on pourra se reporter aux travaux de Jean Viard, comme Penser les vacances (L’Aube, 1992) ou L’An zéro du tourisme. Penser l’avenir après la Grande Pandémie (L’Aube, 2022).
16. Voir Jérôme Fourquet, La Vitalité de « l’économie de la débrouille » : symptôme du désarrimage des catégories populaires et (en mineur) des aspirations à une alter-consommation, Fondation Jean-Jaurès, 29 février 2024. »
