MC2 2004-2014, un sévère rapport de la Chambre Régionale des Comptes

Publié le 16 décembre 2016

Le 12 décembre la Chambre Régionale des Comptes vient de rendre public son rapport d’observations définitives sur la gestion de la Maison de la Culture de Grenoble (MC2) durant les années 2004 à 2014, c’est-à-dire sous la responsabilité de MM. Destot et Safar (président du CA de la MC2).

La synthèse du rapport, dans un langage diplomatique, donne déjà le ton :

«Dotée d’un budget de 13 M€ en 2014, la MC2 organise près de 250 représentations par saison consacrées essentiellement au théâtre, à la danse et à la musique et accueille plus de 110 000 spectateurs. L’action culturelle en direction de la population éloignée du spectacle vivant est active et la politique tarifaire, différenciée, cherche à fidéliser le public et à attirer les jeunes ainsi que les publics défavorisés Conformément à la mission de scène nationale dévolue à la MC2, la programmation reflète l’ensemble des genres du spectacle vivant et le nombre des créations tend à augmenter sur la période. 

Toutefois, en l’absence d’objectifs et d’indicateurs de résultat dans les projets élaborés par les directeurs successifs, de conventions d’objectifs pluriannuelles telles que prévues par le cahier des charges des scènes nationales et d’étude approfondie sur le public, il n’est pas possible de s’assurer que la MC2 remplit complètement les missions dévolues à un établissement de cette nature…

Le passage du statut associatif à celui d’établissement public n’a pas produit tous les effets attendus en matière de gouvernance et de gestion administrative et financière.

Le conseil d’administration de l’EPCC doit prendre une plus grande part dans les choix stratégiques de l’établissement et se réapproprier certaines compétences en matière de gestion et, pour sa part, le directeur doit rendre régulièrement compte des délégations qui lui sont accordées…

La gestion administrative doit progresser sur plusieurs aspects. Le directeur doit veiller à l’évolution de la masse salariale, qui représente en fin de période une part importante des charges de structure, et assurer une gestion plus rigoureuse des ressources humaines. Par ailleurs, les règles en matière de publicité et de mise en concurrence n’ont pas été respectées pour des achats dont le montant total atteint 3 M€ sur la période…

La situation financière de l’établissement est fragile en l’absence d’engagement statutaire de ses membres. Les handicaps initiaux, insuffisance de fonds propres et mauvaise estimation des frais de fonctionnement, n’ont pas été surmontés. Le niveau des fonds propres est resté insuffisant car les ressources disponibles ont été affectées à la couverture des charges de programmation et non pour reconstituer en partie les fonds propres. Ce choix a été d’autant plus préjudiciable que l’évolution des recettes suscite des inquiétudes : instabilité des subventions, stagnation des ressources de billetterie, accroissement de la part relative des ressources issues des tournées, lesquelles sont par définition instables et imprévisibles. »

Le rapport considère positivement certaines politiques culturelles, mais il relève de lourdes anomalies allant jusqu’à des illégalités manifestes dans la gestion de l’établissement par les directeurs successifs.

Le conseil d’administration, sous la présidence de M. Safar de 2004 à 2014, ne remplit pas son rôle ou en a été écarté par des ententes au-dessus de lui.

A plus de 20 reprises les magistrats de la CRC notent que le CA n’a pas exercé sa mission de contrôle de la bonne gestion des fonds publics de la 1ère scène nationale de France, et ce sur tous les aspects de la vie de cet établissement qui n’a toujours pas de convention d’objectifs et de moyens (convention obligatoire depuis 1997).

Le CA n’a pas validé un projet artistique, n’a pas contrôlé les recrutements ni voté le salaire (très confortable) du directeur, n’a pas contrôlé les frais professionnels, n’a pas validé les évolutions fortes de la masse salariale (notamment de celle des cadres, de 71% supérieure au barème de la convention collective), n’a pas contrôlé les marchés publics, ne s’est pas prononcé sur les conditions du départ du directeur du CDNA (Mr Osinski) qui a couté au total 930 000 € dont 450 000 apportés par le ministère de la culture mais aussi 480 000 apportés par MC2, etc…

Bref, mais que faisait le président du CA de la MC2 de 2004 à 2014 ? Le président d’un CA n’a pas tous les pouvoirs et la gestion d’un EPCC (Etablissement Public de Coopération Culturelle) est certes compliquée avec des tutelles multiples. Mais de 2012 à 2014 elles étaient toutes dirigées par le PS.

Et les dérives et carences manifestes ne se sont pas arrangées dans cette période.

Il sera aussi utile de connaître les dispositions prises par le nouveau conseil d’administration de l’EPCC, le conseil municipal de Grenoble et les autres tutelles, depuis 2015, pour remédier à ces anomalies et savoir si la gestion du Directeur tend à se conformer aux règles imposées à ce type d’établissement public.

Et enfin il sera intéressant de voir si et comment la Métropole, à qui la MC2 est transférée au 1er janvier 2017, entend s’assurer du respect des préconisations de la CRC.

Car en conclusion, la CRC fait six recommandations :

  1. Actualiser le projet artistique, le faire approuver par le conseil d’administration et l’assortir d’objectifs et d’indicateurs d’évaluation.
  2. Veiller à ce que le conseil d’administration exerce pleinement ses compétences statutaires.
  3. Revoir les modalités de la contribution financière annuelle des membres de l’EPCC de manière à garantir son autonomie financière.
  4. Dégager les ressources nécessaires pour reconstituer en priorité les fonds propres et financer les dépenses liées à la production.
  5. Contenir la progression de la masse salariale en formalisant notamment une politique de rémunération.
  6. Mettre en place une procédure formalisée en matière de commande publique.

Les 77 pages du rapport peuvent être téléchargées .

Voici quelques morceaux choisis de ce rapport (surligné par nous) :

« Le conseil d’administration n’a pas joué son rôle en matière de recrutement du personnel permanent, ce qui constitue une carence importante. Il n’a jamais autorisé les créations de postes, ce qui n’est pas sans conséquences sur la régularité des mandatements de la paie. Il n’a pas non plus disposé de l’information nécessaire lors du vote du budget… Le conseil d’administration ne s’est jamais prononcé sur la rémunération des directeurs, alors que le président n’a pas de compétence en ce domaine. Il a accordé des autorisations de détention de cartes bancaires professionnelles au directeur et à la secrétaire générale pour « frais de représentation » sans encadrer leur utilisation en termes de montant ou de type de dépenses.

Il n’a pas été amené à se prononcer sur la transaction conclue avec le directeur sortant du CDNA.

En matière de rupture conventionnelle, le conseil d’administration devrait veiller, dans un souci de bonne gestion, à encadrer les conditions dans lesquelles le directeur de l’EPCC peut conclure un contrat octroyant une indemnité de rupture supérieure au montant minimum garanti par l’article L. 1237-13 du code du travail.

Aucune procédure en matière de commande publique n’a été adoptée ni principes directeurs en matière d’achats de spectacles. Le conseil d’administration n’a pas davantage délibéré sur les conditions générales de passation des contrats, marchés et acquisitions de biens culturels.

La chambre observe que le conseil d’administration s’est dessaisi de prérogatives importantes, les limites financières indiquées étant élevées au regard du budget de la structure, ce qui revient, in fine, à déléguer la signature de l’ensemble des contrats en cause au directeur… La chambre observe également que le directeur ne rend jamais compte de l’utilisation de ses délégations au conseil d’administration.

le conseil d’administration a renouvelé le mandat du directeur dans sa séance du 20 juin 2008, à compter du 1er juillet 2009 et pour une durée de trois ans. Il l’a de nouveau renouvelé lors de sa séance du 17 juin 2011, pour trois ans à compter du 1er juillet 2012.

Toutefois, ces deux renouvellements n’ont pas été précédés d’une évaluation de l’action du directeur au cours de la période écoulée et ce dernier n’a pas présenté de nouveau projet, ce que prévoit pourtant l’article L. 1431-5 du CGCT.

un nouveau directeur a été nommé lors de la séance du conseil d’administration du 31 octobre 2012. Le conseil d’administration n’a pas établi de cahier des charges à l’attention des candidats, contrairement à ce que prévoit la loi.

Le jury s’est réuni le 17 septembre 2012 afin d’arrêter la liste des candidats présélectionnés, laquelle a été limitée à deux personnes sur les vingt-et-une candidatures reçues, contrairement à l’ambition initiale ; aucun compte rendu ne permet d’expliciter ce choix. Cette décision de limiter strictement le nombre de candidats retenus avant que ceux-ci ne puissent proposer un projet d’orientations artistiques et culturelles n’a pas permis de faire émerger une large pluralité de propositions. En outre, les organes délibérants des personnes publiques membres n’ont pas délibéré sur le choix des candidats retenus, contrairement à ce que prévoit le CGCT.

Les deux candidats ont disposé d’une note d’orientation afin qu’ils rédigent leur projet écrit. Cette note, dont l’auteur n’est pas identifié, n’a pas été validée par le conseil d’administration de la MC2.

La convention prévoit la possibilité d’accueillir le CDNA et le CCN et précise que « des conventions d’occupation du domaine public, soumises à redevance, devront intervenir à cet effet entre l’EPCC et ces occupants ». Cette formalité n’a jamais été effectuée et l’occupation est accordée à titre gratuit. Le directeur s’est engagé à y remédier.

L’article R. 1431-2 du CGCT dispose que les statuts de l’établissement « prévoient les apports respectifs et la part respective des contributions financières de chacune des personnes publiques membres de l’établissement ». Cette disposition vise à assurer la pérennité de la structure et de son financement. Elle n’est pas respectée en l’espèce, ce qui génère des difficultés récurrentes.

L’acte de cession déposé au greffe du tribunal de commerce de Grenoble le 10 février 2014 est signé en date du 15 novembre 2013. Cette date étant antérieure à celle de la délibération du conseil d’administration de l’EPCC autorisant cet acte, le directeur de la MC2 n’était pas mandaté pour signer ce document. En conséquence, l’ensemble des actes découlant de la cession de parts sociales est entaché d’irrégularités (dissolution, TUP).

La chambre observe, en outre, que le directeur lui a transmis lors de l’instruction un acte de cession des parts sociales modifié par rapport à l’acte déposé au greffe du tribunal de commerce de Grenoble puisqu’il est signé en date du 20 décembre 2013, soit postérieurement à la date de la réunion du conseil d’administration (il aurait donc été compétent pour signer l’acte de cession). La chambre considère qu’il s’agit d’une grave altération de la vérité.

Le contrat est signé entre M. Benitah, président de l’association et M. Osinski, directeur du CDNA. Chacun des deux signataires était en conflit d’intérêts apparent au moment de sa signature puisque M. Benitah était alors actionnaire du CDNA et que M. Osinski est le metteur en scène de cette création.

Le directeur du CDNA a bénéficié d’un protocole d’accord transactionnel lorsque le CDNA a été intégré au sein de la MC2, avec une indemnité de 26 k€.

  1. Angot n’avait ni mandat ni titre pour signer ce protocole d’accord, que ce soit en tant que gérant de la SARL ou représentant du conseil d’administration de l’EPCC. Le versement de la somme à M. Osinski a ainsi été opéré sur un fondement dont la régularité est contestable.

L’ensemble des montants engagés par le CDNA, la MC2 et le ministère de la culture à l’occasion du départ de M. Osinski s’élève ainsi à 930 k€.

La somme versée dans le cadre du protocole transactionnel peut donc s’apparenter à une libéralité supplémentaire. Or la MC2, en tant que personne publique, ne peut légalement consentir de libéralités, ce qui constitue un principe général du droit d’ordre public.

En conclusion, la chambre observe que M. Jacques Osinski, qui a bénéficié de l’ensemble des dispositifs d’accompagnement prévus par le ministère de la culture, a également obtenu une indemnité transactionnelle dénuée de fondement juridique. Le contrat de coproduction signé entre le CDNA, qu’il représentait, et sa propre compagnie lui a, au surplus, garanti une activité sur fonds publics. Le directeur de la MC2, qui avait obtenu délégation du conseil d’administration pour mener la fusion des structures, n’a pas explicitement informé les membres du conseil des conditions financières du départ du directeur du CDNA

L’agent comptable dispose d’un CDI de droit privé et est affilié à la convention collective du secteur, en méconnaissance de la réglementation applicable. Il s’agit d’une carence importante, dans la mesure où cet agent, bien qu’habilité à manier des fonds publics, ne saurait légalement le faire sous ce statut.

les personnels de l’équipe de direction bénéficient d’une rémunération très nettement supérieure aux planchers (+ 71 %, soit un différentiel de 85 k€ de masse salariale)

L’article 9 des statuts de l’établissement dispose que « le conseil d’administration doit se prononcer sur les conditions générales de passation des contrats, conventions et marchés ». Il ne l’a jamais fait alors que cela aurait permis d’entériner une procédure interne en matière de commande publique.

De nombreux achats sont effectués hors des procédures du code des marchés publics, directement en gré à gré avec des prestataires récurrents. La sollicitation de devis est insuffisante au regard des montants en jeu qui, cumulés sur quatre années du fait de leur permanence annuelle, sont supérieurs au seuil de procédure formalisée en matière de fournitures et services (207 k€). Au total, plus de 3 M€ de prestations sont concernés entre 2009 et 2014 par les carences relevées en matière de publicité et de mise en concurrence, …

En matière de conception graphique de documents de communication, l’établissement n’a pas davantage procédé à une mise en concurrence (125 250 € entre 2009 et 2013 confiés à un même prestataire).

Certains mécènes sont prestataires de service hors marché public : la société qui procède à la majeure partie des travaux d’impression de la MC2 (pour 80 k€ en moyenne par an) attribue annuellement 10 k€ au titre du mécénat et le prestataire téléphonique de l’établissement (pour 45 k€ par an en moyenne) a attribué 10 k€ de mécénat par an jusqu’en 2012.

La situation est d’autant plus critiquable qu’il s’agit de types de prestations dont la mise en concurrence est répandue et ne pose pas de difficulté.

La méthode de jugement des offres généralement utilisée par l’EPCC, qui restreint la possibilité pour une entreprise en cours de développement de pénétrer un marché, est donc irrégulière.

En outre, son application ne respecte pas le principe de transparence des procédures de passation…

La chambre a constaté que l’établissement privilégie les candidats sortants dans les notations lors du renouvellement des marchés, ce qui est illégal et ne permet pas une remise en concurrence périodique effective. »

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