On peut dire que le service public de la télé a commis une grave erreur en diffusant le documentaire « Villeneuve le rêve brisé » projeté le 26 septembre dans l’émission « Envoyé spécial » sur France 2. Au-delà des réactions de nombreux habitants qui se sont sentis trahis, tellement ce qui se présente comme un documentaire était en réalité une fiction dont le scénario a utilisé des habitants de la Villeneuve ravalés au rang de comédiens amateurs qui jouent des rôles parfois fort éloignés de leur situation quotidienne. Des femmes interviewées se sont aussi senties piégées et envisagent de porter plainte. Bref, il n’est pas inutile de revenir sur la manière dont ce film a été préparé.
Alors qu’il est était prêt depuis des mois, le documentaire qui prend prétexte de l’anniversaire de l’assassinat de Kevin et Sofiane, ne mentionne pratiquement jamais leurs noms ni ce tragique événement. Manière pour le moins scandaleuse de rendre hommage à ces jeunes.
Passant eux aussi sous silence cet anniversaire, les discours de protestation et notamment celui du premier adjoint Safar à Grenoble se sont préoccupés exclusivement de la médiatisation d’une image salie de la Villeneuve, de la ville et donc des édiles.
La journaliste, auteur de ce documentaire, travaille pour une agence de presse « Ligne de Mire » qui collabore avec des chaines de télévision et en particulier pour l’émission « Envoyé spécial » sur France 2. Chargée de réaliser un documentaire d’environ 30 minutes sur le quartier de la Villeneuve, elle a débuté ses contacts de différents acteurs du quartier il y a plus de 9 mois…
A certains, elle a précisé qu’elle était très intéressée par la mue de ce quartier « utopique » qui après avoir connu un certain brassage social s’est transformé au cours de la décennie 80 en quartier ghetto avec nettement moins de mixité. A d’autres, elle a dit s’intéresser aux commissions d’attribution de logement au cours de la période Carignon. Des questions très intéressantes, mais non traitées dans le film !
Au cours des prises de vue, la journaliste a reconnu que le contact avec les jeunes était bien difficile mettant cela sur le compte d’une couverture médiatique de ces quartiers jusqu’ici calamiteuse. Elle voulait faire un reportage d’information raisonné. Donc on a échappé à pire !
Le résultat est très éloigné de l’ambition de départ. La réalité de ce quartier a été volontairement tordue et dramatisée sans doute pour faire de l’audience et certaines scènes où apparaissent des jeunes laissent à penser qu’il y a eu mise en scène volontaire, voire une manipulation (délibérée ou non ?).
Un habitant de la Villeneuve a écrit une lettre aux deux productrices d’ «Envoyé spécial » après qu’elles se soient justifiées à la radio. En voici un court extrait :
« Suite à l’écoute de votre magnifique justification sur France bleue Isère…
Imaginez que nous venions dans votre bureau pendant quinze jours sur l’échec de l’utopie journalistique et que nous ne trouvions pas les moyens (refus d’être filmés, interviewés etc…) de faire autre chose qu’un film qui vous montre toutes les deux devant la machine à café en train de déblatérer gentiment sur vos collègues. On aurait sans doute été contraints d’arranger un peu la réalité pour que cela soit crédible. Imaginez que nous ayons eu les moyens de diffuser ce « reportage » sur le territoire national aux heures de grande écoute… Vous ne seriez peut être pas tout a fait ravies ? Si ? Non… Vous ne nous diriez pas franchement merci. Et nous, nous dirions mais c’est la réalité que ces dames ne veulent pas voir… »
En la circonstance, le service public a réellement failli en diffusant un film aussi partial qui prétend rendre compte intelligemment de la réalité comme un documentaire. Entre film scénarisé et documentaire construit la frontière déjà poreuse n’existe plus. Est-ce un cas isolé ou est-ce que, malheureusement, cela tend à devenir la règle soumise à la dictature de l’audimat ? Pour la réalisatrice comme pour les productrices, s’agissait-il de faire de l’audience à tout prix en déformant la réalité de quartiers délaissés constamment stigmatisés ? D’autres approches étaient possibles, plus constructives et qui, sans passer sous silence les difficultés que tout le monde connaît, auraient pu montrer les potentialités de ce quartier au lieu de l’enfermer dans une caricature. Après le fameux discours de Grenoble de Sarkozy en juillet 2010 après quelques émeutes orchestrées, l’assassinat de deux jeunes l’an dernier en 2012, dans les conditions que l’on sait, ce film sonne comme un nouvel acte d’accusation de ce quartier et sa diffusion sur une chaîne de service public une condamnation sans procédure d’appel. Trop c’est trop !
Nous rappelons que le contribuable paye la redevance audiovisuelle et comme l’impose la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans son article 14 : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi… ». Il y est dit aussi et surtout que « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Relire la déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’août 1789 s’impose désormais à tous.
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