Un message de Barcelone

Publié le 27 octobre 2017

Jérôme Soldeville, conseiller municipal de Grenoble nous a transmis un message de Barcelone, où il est allé pour suivre ce qui se passe à côté de chez nous et qui nous interpelle fortement.

« Un petit message de Barcelone, où je me trouve en ce moment pour m’informer sur le terrain de la situation. Puisque dans ADES il y a « démocratie », vous ne m’en voudrez pas de m’étendre sur le sujet.

Une crise politique, institutionnelle et démocratique gravissime y est donc en cours, dont on voudrait être certain que nos gouvernants, et nos concitoyen-nes saisissent bien tous les tenants et les aboutissants. 

Je me permets tout d’abord de réagir au scandaleux éditorial du Monde d’hier que vous avez peut-être lu, qui avec d’autres organes de presse, soit stigmatisent les Catalans (« la bulle »), soit montrent une incompréhension crasse de la situation, ou versent carrément dans la propagande éhontée.

Quoique l’on pense par ailleurs de l’indépendance, le 1er octobre dernier des citoyen-nes européen-nes sous la menace, des électeurs et des électrices comme on l’a vu parfois très âgé-es, ont été traîné-es hors des bureaux de vote, matraqué-es et gazé-es. Dans de telles conditions, que 43% des Catalan-es se soient exprimé-es tient de l’exploit démocratique, si l’on compare au poussif 39% aux législatives de juin, alors salué par Le Monde comme une prouesse jupitérienne. 

Ceci posé, que peut-on constater depuis Barcelone ? Un soutien impressionnant et quasi général des citoyen-nes aux deux prisonniers politiques Jordi Sanchez et Jordi Cuixart qui ont été embastillés pour « sédition » (sic) et une préparation à la résistance civile de la fonction publique, afin d’empêcher l’application de l’art. 155 de la constitution espagnole, dont le contenu est d’ailleurs très flou, qui va permettre à Madrid de nommer un « vice-roi » en remplacement du président de la Generalitat Puigdemont et de prendre le contrôle de la presse, de la police catalane, etc. 

Sans entrer dans les détails d’une histoire de la péninsule ibérique, généralement pas bien connue en France, tout cela rappelle des temps très difficiles, où la répression était le quotidien des nations espagnoles (Rajoy annonce d’ailleurs vouloir s’en prendre aussi aux droits de la Navarre…). Car, au contraire de la France, l’Espagne (les Espagnes, faudrait-il plutôt écrire), est un Etat « plurinational ». Parmi ces nationalités, certes les plus connues la Catalogne et le Pays Basque, mais aussi l’Andalousie, la Galice, etc. Ces entités ne sont en rien comparables aux provinces françaises de l’époque féodale. Chez nous la Grande Révolution a unifié le pays en départements et en communes librement administrées à leur échelon jusqu’à l’instauration des préfets par Napoléon. Rien de cela en Espagne où depuis le Moyen Âge chaque entité a conservé ses particularismes. 

Le 1er ministre Rajoy, ordonnateur de cet empêchement démocratique « au nom de la loi », inédit depuis le compromis de 1978 (qui montre d’ailleurs maintenant ses limites, au point que l’on me parle ici de la persistance d’un « franquisme structurel » agissant en Catalogne comme un profond repoussoir), dirige depuis 20 ans le Parti Popular, une organisation politique corrompue jusqu’à la moelle et issue du franquisme: il a été convoqué en juillet pour témoigner devant le tribunal dans le cadre du procès dit « Gürtel » sur des pots-de-vin versés à des élus en échange de juteux contrats publics. Du côté de la famille royale, ce n’est pas beaucoup mieux, elle aussi secouée par divers scandales. C’est en fait tout l’édifice de la monarchie « franquiste constitutionnelle » qui est fragilisé, ce qui créé un contexte favorable au mouvement séparatiste catalan. Le président Puigdemont a déclaré le 10 octobre dernier que la Catalogne serait un Etat indépendant « sous forme de république », ce qui évidemment flatte nos sentiments républicains. 

Je trouve sidérant dans ce contexte l’appui inconditionnel de tous les dirigeants européens à Rajoy (à l’exception du 1er ministre belge). Une lecture de ces événements dramatiques peut être la volonté de Juncker et de la commission de conserver ses relais les plus efficaces dans la mise en œuvre des politiques d’austérité, transcrites par les gouvernements espagnol et français. Il est troublant que Macron s’apprête de son côté à remettre en cause la loi décentralisation de 1982 et l’autonomie des collectivités. 

Pourtant, il est évident que des possibilités de discussion et d’évolution constitutionnelle peuvent exister. Un État fédéral ou une confédération serait une bonne option. Pourquoi simplement ne pas accorder aux Catalans les mêmes droits qu’aux Basques, puisque le blocage remonte au refus de cette évolution en 2010 ?

« Catalunya en Comu », le parti d’Ada Colau, se prononce quant à lui pour « une république catalane dans une confédération espagnole ». Le choix du gouvernement de droite est tout autre, celui de la répression à la mode franquiste. 

J’ai visité aujourd’hui le beau Memorial democràtic de la Generalitat de Catalunya consacré à la défense des valeurs démocratiques et à la pluralité politique du pays : et bien, cela fend le cœur que nous les laissions tomber, alors qu’ils défendent de manière non violente des valeurs identiques aux nôtres ! Le gouvernement espagnol a annoncé vouloir mettre en œuvre l’art. 155 dès samedi. En 2017, en Europe, à six heures de train de chez nous, comment est-ce possible de ne pas réagir ? »

Barcelone le 24 octobre 2017

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