A 480, vers une augmentation importante du trafic induit par l’augmentation de capacité

Publié le 22 mars 2019

Les spécialistes des transports et déplacements expliquent grâce à l’expérience que lorsqu’il y a augmentation de capacité d’une voirie, il y a un trafic automobile induit supplémentaire et lorsqu’il y a une diminution de capacité il y a une évaporation (ou déduction) du trafic. Voir par exemple l’étude réalisée pour Lyon « Induction et évaporation de trafic : revue de la littérature et études de cas »

M. Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste à l’Université de Lille, décrit aussi ce phénomène dans des conférences, voir par exemple celle-ci en janvier 2018 à Rouen.

Et en mars 2019 il a rédigé une note très intéressante sur le projet d’élargissement de l’A480 : « le trafic induit par l’élargissement de l’A480 et l’aménagement de l’échangeur du Rondeau dans la traversée de Grenoble »

Elle met en cause les estimations fournies lors de l’enquête publique qui limitaient (au doigt mouillé) les augmentations de trafic prévues à 6 % à long terme issues de modélisations en fait incapables d’estimer les trafics induits. Il conclut : « ce projet d’élargissement est « une fuite en avant », dans les deux sens de l’expression : il ne résout pas la congestion à la source et incite à franchir des distances plus grandes en voiture. Il n’est donc pas conforme à l’engagement de la France en faveur de la transition écologique et énergétique comme aux « objectifs fondateurs du PDU » grenoblois visant à « Contribuer à la lutte contre le changement climatique, à la sobriété et à la transition énergétique ». Enfin, les financements prévus pourraient être beaucoup mieux utilisés en développant les alternatives à l’autosolisme. »

Voici des extraits de cette note :

« Des modèles de trafic imparfaits

Pour gérer la circulation, les « ingénieurs trafic » ont progressivement mis au point des modèles de plus en plus élaborés, capables notamment d’évaluer, en cas d’augmentation ou de réduction de la capacité du réseau viaire, les reports de trafic à la fois dans l’espace (sur la voie créée ou élargie ou à l’inverse sur d’autres voies), dans le temps (à l’heure de pointe ou à l’inverse plus tôt ou plus tard) ou modaux (vers la voiture ou à l’inverse vers les autres modes). Ces modèles dits à quatre étapes1 sont si sophistiqués, mobilisent tant de savoir-faire accumulé en plusieurs décennies dans divers pays, reposent sur la collecte de si nombreuses données, que leurs concepteurs en sont légitimement fiers… et finissent par croire que leurs modèles sont infaillibles. Et pourtant, ces modèles ne parviennent pas à tout expliquer.

Quand la capacité de la voirie est accrue (par une nouvelle voie ou l’élargissement d’une voie existante) pour répondre à une demande (c’est-à-dire pour « fluidifier le trafic »), on constate que l’infrastructure finit par attirer un trafic supérieur à ce qu’avait prévu le modèle.

Les scientifiques parlent de « trafic induit ». Ce n’est pas une théorie mais un simple constat abondamment documenté.

À l’inverse, quand la capacité de la voirie est réduite (par fermeture d’une voie ou réduction du nombre de files), on constate qu’une partie du trafic disparaît et que le modèle est incapable de l’expliquer. Ce phénomène est l’exact symétrique du trafic induit et devrait donc être appelé le « trafic déduit ». Mais l’expression « trafic évaporé » s’est imposée. Là encore, ce résultat n’est pas une théorie mais un simple constat, maintes fois établi.

L’existence du trafic induit et du trafic déduit

Ces deux phénomènes symétriques ont été repérés dès les années 1960. Mais comme ils mettent en échec les modèles, il a fallu beaucoup de temps pour que les ingénieurs trafic admettent leur existence et, encore aujourd’hui, ils évitent d’y faire référence (comme c’est le cas pour l’A480, on le verra). C’est au cours des années 1990 qu’ils ont dû se rendre à l’évidence. Pour trancher la question, le gouvernement britannique avait créé une commission chargée de vérifier l’existence de ce trafic induit. Après avoir analysé des dizaines de cas, ses conclusions ne laissèrent plus aucun doute4. La Conférence européenne des ministres des transports (CEMT) s’est alors emparée de ces résultats et leur a donné un retentissement mondial. Le trafic induit étant prouvé, le trafic évaporé devait inévitablement aussi exister et des travaux similaires sont parvenus facilement à le démontrer, quelques années plus tard, des dizaines d’exemples à l’appui.

En France, l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de la Transition écologique et solidaire tient évidemment compte des trafics induits et déplore même, dans une note récente portant sur l’analyse de 104 projets d’infrastructures routières, que « les études elles-mêmes ne prennent presque jamais en compte les trafics induits par la création ou la transformation de l’infrastructure, ni les reports modaux possibles ».

 L’explication de l’existence du trafic induit et du trafic déduit

Le trafic induit existe parce que les automobilistes profitent de la nouvelle infrastructure pour se déplacer plus souvent et surtout afin d’utiliser les gains de temps pour aller plus loin.

À plus long terme, ils en viennent à localiser leur emploi ou leur logement dans des lieux plus éloignés. De même, le trafic déduit existe parce que certains automobilistes renoncent à se déplacer et surtout s’organisent autrement en rationalisant et en écourtant leurs déplacements pour ne pas perdre trop de temps. À plus long terme, ils en viennent à localiser leur logement ou leur emploi plus près.

Les modèles de trafic à 4 étapes ne sont donc pas faux (et restent fort utiles pour analyser le trafic), mais échouent à expliquer une partie de ce qui se passe. Concrètement, on constate qu’en moyenne, le trafic induit correspond à une augmentation du trafic de l’ordre de 10 % à court terme et de 20 % à plus long terme, par rapport à ce que prévoit le modèle. Et inversement pour le trafic déduit.

A noter qu’il existe des modèles plus sophistiqués – les modèles LUTI (land use transport integration) – capables de prendre en compte les interactions entre le développement des infrastructures et l’étalement urbain. C’est pourquoi, l’Autorité environnementale les recommande.

Mais parce qu’ils sont particulièrement « complexes et coûteux à développer », reconnaît-elle, ils ne sont utilisés que pour de très grands projets. »

Application au cas de l’A480

Il ne fait aucun doute que l’élargissement de l’A480 et le réaménagement de l’échangeur du Rondeau engendreront un trafic induit, car le projet a bien pour objectif de « Fluidifier la circulation et diminuer le temps de transport des usagers », comme l’affirme le site de la Métro et malgré les « verrous » censés subsister. Dès lors, on ne voit pas pourquoi un tel projet échapperait miraculeusement au phénomène. Mais le modèle à 4 étapes utilisé à l’échelle de l’agglomération grenobloise comme le modèle de simulation dynamique du trafic VISSIM utilisé pour analyser plus finement le réseau ne sont pas des modèles LUTI et sont donc incapables, par construction, de déceler et de mesurer le trafic induit.

En conséquence, si le projet est réalisé, au bout de quelques mois, au mieux quelques années, l’A480 sera à nouveau saturée et les 300 millions d’euros investis n’auront servi qu’à augmenter le trafic dans la Métropole grenobloise et toutes les nuisances associées. Concrètement, les gains de temps permis par l’élargissement attireront un trafic supplémentaire, sur des distances plus longues, jusqu’à saturer à nouveau l’autoroute. Comme l’expliquait l’urbaniste Marc Wiel : « la vitesse fait le trafic », car les gains de temps sont toujours utilisés finalement pour aller plus loin.

Ce projet d’élargissement est « une fuite en avant », dans les deux sens de l’expression : il ne résout pas la congestion à la source et incite à franchir des distances plus grandes en voiture. Il n’est donc pas conforme à l’engagement de la France en faveur de la transition écologique et énergétique comme aux « objectifs fondateurs du PDU » grenoblois visant à « Contribuer à la lutte contre le changement climatique, à la sobriété et à la transition énergétique ».Enfin, les financements prévus pourraient être beaucoup mieux utilisés en développant les alternatives à l’autosolisme.

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