Ce qui doit changer pour rendre au service public sa pensée stratégique

Publié le 24 juin 2022

Dans une note de juin 2022, le collectif « Nos Services publics » Collectif Nos Services Publics pointe ce qui doit changer pour rendre au service public sa pensée stratégique. Par manque de temps, d’effectifs ou de compétences techniques, les agents publics n’ont plus les moyens de réfléchir sur des enjeux de long terme comme la transition écologique. Le collectif identifie quatre obstacles principaux à l’existence d’une pensée stratégique dans l’administration : l’insuffisance des moyens humains, le peu d’intérêt porté aux travaux des structures publiques de réflexion existantes, le sous-financement de la recherche universitaire et la préférence accordée par le personnel politique au temps court plutôt qu’au long terme.
Sur la question des effectifs, Nos Services publics déplore en particulier la tendance à l’externalisation des missions ; ce recours à l’externalisation implique un amoindrissement des compétences techniques de la sphère publique.

Ce collectif est formé de centaines de fonctionnaires ou contractuel·le·s participant, au sein de l’administration, à la conception et à la mise en œuvre des politiques publiques de l’Etat, des collectivités territoriales, des hôpitaux, de la sécurité sociale…

« Une Première ministre chargée de la planification écologique ne suffira pas

Les dernières années ont été le théâtre d’événements dramatiques rythmant la vie politique de manière effrénée : le terrorisme, la pandémie et le retour de la guerre sur le sol européen – entre autres – ont justifié l’établissement d’un État de crise permanent. Dans ce contexte, la place d’autres débats urgents, mais qui s’inscrivent sur des tendances longues, comme le changement climatique, les mutations sociales ou démographiques ou encore la transformation du travail, ont eu plus de difficultés à se faire une place dans le débat public. Les dernières élections présidentielles ont été le point culminant de cette nouvelle logique : face à la guerre en Ukraine, le président sortant n’a pas jugé prioritaire de s’investir dans un débat d’idées avec les autres candidats. Les discussions sont restées en surface, tandis que le désintérêt des citoyen·ne·s pour le vote s’est approfondi.

Pourtant, ces questions de fond, qui sont déjà en train de transformer la société française de manière radicale, de même que les changements à venir nécessitent une préparation en conséquence. Les objectifs des services publics sont complexes : on peut ainsi citer la nécessité d’améliorer l’accès aux soins dans les pôles urbains tout en luttant contre les déserts médicaux, celle de développer l’accès aux transports à bas coûts tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre, ou encore celle d’assurer l’accès au logement tout en limitant l’artificialisation des sols.

Face à ces problématiques, les agent·e·s des services publics ont un rôle fondamental : clarifier et objectiver les controverses, apporter les éléments techniques pour permettre au politique de prendre une décision en connaissance de cause, au service du bien commun. Cependant, les absurdités dans l’action publique paraissent se multiplier et les décisions semblent trop souvent prises à la va-vite, en dépit du bon sens. La crise sanitaire aura été l’occasion de nombreuses illustrations : volte-face sur l’utilité des masques, déploiement d’attestations de déplacement trop complexes, politiques de gestion des risques en milieu scolaire déconnectées de la réalité.

S’il serait tentant de suggérer qu’il s’agit d’un simple problème de communication ou de vulgarisation de la décision publique, la réalité est plus complexe : le fonctionnement des administrations publiques ne donne pas à ses agent·e·s les moyens de faire leur travail correctement et de proposer des solutions réfléchies

La majorité des organisations consacrent du temps et des moyens à la pensée stratégique. Les entreprises privées disposent le plus souvent d’équipes de recherche et développement et construisent des stratégies d’innovation qui leur sont propres. Les cabinets de conseil ont fait de la vente de temps de cerveau l’essence-même de leur modèle économique. C’est la raison d’être des organismes de recherche que de sanctuariser le temps de la réflexion, de financer des ressources humaines dédiées car produire des réflexions originales et pertinentes constitue un travail en soi.

Pourtant les administrations publiques semblent échapper à cette logique, et rares sont les agent·e·s qui peuvent se targuer d’avoir l’espace pour mener des réflexions adaptées aux enjeux publics. Lorsque ces espaces existent, peu ont l’impression que leurs productions sont utilisées. Souvent, les idées de politiques publiques sont recyclées d’une politique à l’autre1 , et les administrations semblent de moins en moins capables d’analyser avec rigueur les propositions envoyées par les groupes d’intérêt. Plus inquiétant encore pour notre démocratie et la qualité de nos politiques publiques, ces derniers sont eux-mêmes en mesure de fournir directement des propositions de lois et amendements, des argumentaires construits ou même des idées d’instruments d’action publique, qu’une administration appauvrie n’est pas toujours capable de contester.

La nécessité de redonner au service public une capacité de pensée stratégique a été mise en avant lors des élections présidentielles à travers la proposition d’institutionnaliser une planification écologique, et désormais la nomination d’une première ministre en étant chargée. Cependant, un simple changement de gouvernance par le haut ne permettra pas d’atteindre cet objectif de planification stratégique sans réflexion profonde sur la structure des administrations publiques, que ce soit sur l’écologie ou dans les autres domaines d’action de l’Etat.

Face à cette problématique, le collectif Nos Services Publics a souhaité identifier les verrous au déploiement de processus de réflexion. Sur la base de témoignages d’agents publics membres du collectif, nous avons identifié quatre obstacles principaux à l’existence d’une réflexion stratégique au sein de l’administration :

  • L’insuffisance des moyens humains alloués à la réflexion et l’inadaptation des politiques de gestion des ressources humaines
  • La faible valorisation des espaces de réflexion internes existants
  • Un sous-financement et une mauvaise mobilisation de la recherche universitaire
  • La valorisation politique d’une action trop rapide

Sur la base de ces constats, nous formulons plusieurs recommandations afin de contribuer à redonner à l’administration sa capacité à penser les besoins des citoyen·nes. »

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