Le Conseil d’Etat annule le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre

Publié le 10 novembre 2023

Enfin une bonne nouvelle pour les défenseurs de la liberté d’association menacée par le ministre de l’intérieur qui avait dissout « Les Soulèvement de la Terre » par le décret du 21 juin 2023. Le Conseil d’Etat n’a pas suivi le rapporteur public et décide le 9 novembre 2023 d’annuler le décret du 21 juin 2023. Trois autres associations ont été dissoutes. Mais comme le dit le juriste Nicolas Hervieu à Médiapart : « Il s’agit en fait d’une victoire à la Pyrrhus. L’annulation de la dissolution a été accordée du bout des lèvres. Le Conseil d’État commence par dire qu’il y a bien eu des situations où les Soulèvements de la Terre ont légitimé des comportements violents. Mais, à la fin, il réalise une pirouette en appliquant un contrôle de proportionnalité dans lequel il estime que les provocations ont eu des effets réels mesurés et que donc la dissolution est excessive. »

Voici quelques extraits de l’arrêt du 9 novembre concernant les Soulèvements de la Terre :

« 4. Eu égard à la gravité de l’atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d’interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l’ordre public…

6. La décision de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait prise sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article…

9. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n’est d’ailleurs pas soutenu, que puissent être imputées au groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » des provocations explicites à la violence contre les personnes. Si le groupement a relayé à plusieurs reprises, avec une certaine complaisance, des images ou des vidéos d’affrontements de manifestants avec les forces de l’ordre, elle ne peut être regardée, au vu des éléments produits, comme ayant revendiqué, valorisé ou justifié publiquement de tels agissements. Par ailleurs, si, à l’occasion de différentes manifestations auxquelles participait le groupement, notamment celles organisées les 29 et 30 octobre 2022 et les 25 et 26 mars 2023 contre la construction de retenues de substitution à Sainte-Soline, plusieurs dizaines de membres des forces de l’ordre ont été blessés lors de heurts avec les manifestants, cette seule circonstance, alors même que certains des auteurs de violence se seraient réclamés des « Soulèvements de la Terre », ne constitue pas une provocation imputable au groupement au sens des dispositions citées au point 3.

10. En deuxième lieu, en revanche, il ressort des pièces du dossier que le groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » s’inscrit, à travers ses prises de position publiques, exprimées notamment par l’intermédiaire des publications éditées ou diffusées sur les réseaux sociaux, dans le cadre d’une mouvance écologiste radicale promouvant non seulement ce qu’il appelle « la désobéissance civile » mais aussi les appels à ce que le groupement dénomme « désarmement » des infrastructures portant atteinte à l’environnement et compromettant l’égal accès aux ressources naturelles telles que l’eau, c’est-à-dire des destructions ou dégradations visant à rendre ces infrastructures impropres à leur destination. Ce groupement, soit en en prenant l’initiative, soit en relayant des messages ayant le même objet émanant d’autres structures, a ainsi incité à porter des dommages à certaines infrastructures telles que les « méga-bassines », à mettre « hors d’état de nuire » des sites industriels jugés polluants, à arracher des plantations qualifiées d’« intensives » ou encore à détériorer des engins de chantier, alors qu’il ne pouvait ignorer que de tels appels à l’action étaient susceptibles de se traduire, et se sont traduits parfois, par des dégradations effectives. Il a également légitimé publiquement, à plusieurs reprises, notamment sur son compte « Twitter », de telles dégradations. Si le groupement soutient que ces prises de position participeraient d’un débat d’intérêt général sur la préservation de l’environnement et s’il en revendique la portée « symbolique », ces circonstances sont, par elles-mêmes, sans incidence sur leur qualification de provocation à des agissements violents contre les biens.

11. Il résulte de ce qui précède que l’auteur du décret a pu légalement estimer que les agissements du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » entraient dans le champ des dispositions du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure au titre de la provocation explicite et implicite à des agissements violents contre les biens.

12. Ainsi qu’il a été dit au point 6, la décision de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait prise sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne peut être légalement prononcée que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public par ses agissements. Si des provocations explicites ou implicites à la violence contre les biens, au sens du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, sont imputables au groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre », et ont pu effectivement conduire à des dégradations matérielles, il apparaît toutefois, au regard de la portée de ces provocations, mesurée notamment par les effets réels qu’elles ont pu avoir, que la dissolution du groupement ne peut être regardée, à la date du décret attaqué, comme une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public.

13. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, que le décret du 21 juin 2023 ayant prononcé la dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » doit être annulé. »

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