L’évitement scolaire : un effet « boomerang » de la labélisation en politique de la ville ?

Publié le 25 octobre 2024

Dans une étude publiée le 16 octobre, l’Institut des Politiques publiques (IPP) s’est intéressé aux effets de la politique de la ville sur les choix d’établissement scolaires. Cette politique permet d’attribuer des moyens supplémentaires à des zones défavorisées, appelées “quartiers prioritaires” (QPV) depuis 2014, dont le revenu est situé sous le seuil de pauvreté (à 60% du revenu médian). Mais elle peut aussi en contrepartie créer des effets de labellisation de nature à stigmatiser les établissements situés dans les zones ciblées.

L’étude révèle que cette politique entraîne une augmentation notable de l’évitement scolaire dans les collèges publics des QPV. Après la réforme de 2014 et le premier renouvellement de la carte des QPV en décembre 2023, on observe une augmentation de 3,5 points de la proportion de parents choisissant d’inscrire leurs enfants en 6ᵉ dans un établissement en dehors du secteur. En revanche, l’étude ne constate pas de changement dans les choix des parents dont les enfants étaient déjà scolarisés dans le secondaire, ce qui indique un mécanisme informationnel à l’origine de cette stigmatisation.

L’étude souligne que cet évitement varie en fonction du statut socio-économique et de la profession du parent référent. La désignation d’un quartier comme « prioritaire », entraîne une augmentation de 3,6 points de l’évitement vers l’enseignement privé parmi les familles favorisées. Bien qu’aucun déplacement vers le privé ne soit noté chez les familles défavorisées, une tendance vers d’autres collèges publics situés hors du quartier prioritaire est observée, atteignant 4,8 points de pourcentage.

Les effets de cet évitement sont considérés comme peu « réversibles ».

Résultats clés de l’étude :

Les collèges publics des quartiers entrés dans le périmètre la politique de la ville ont connu une hausse de l’évitement scolaire par rapport aux collèges des quartiers contrefactuels situés au-dessus du seuil de pauvreté.

  • À l’entrée en 6e, la proportion d’élèves scolarisés dans ces collèges a ainsi diminué de 3,5 points de pourcentage en moyenne, soit environ 6 élèves en moins relativement aux collèges contrefactuels
  • Cet évitement scolaire a concerné toutes les familles, mais les catégories socio-professionnelles plus modestes se sont davantage tournées vers les collèges publics et les catégories plus favorisées davantage vers les collèges privés.
  • À l’inverse, la sortie d’un quartier du périmètre de la politique de la ville n’implique pas de hausse de la scolarisation dans le collège de secteur. La stigmatisation territoriale créée par ces effets de labellisation apparaît donc peu réversible.

Notabene

La politique publique évaluée ici est celle de la géographie prioritaire et non de l’éducation prioritaire. Ces deux types de dispositifs se superposent sur le territoire. L’éducation prioritaire, qui dépend du ministère de l’Education nationale, fournit des moyens supplémentaires à des établissements scolaires identifiés comme socialement et scolairement défavorisés, dans l’objectif de réduire les écarts de performance scolaire. La politique de la ville, qui est inter-ministérielle, fournit des moyens supplémentaires à des quartiers identifiés comme économiquement défavorisés. La géographie prioritaire cible des quartiers, tandis que l’éducation prioritaire cible des établissements scolaires, dont certains sont aussi potentiellement situés dans le périmètre de la politique de la ville. Dans les deux cas, il s’agit de dispositifs qui visent, in fine, à aider les résidents et les élèves scolarisés défavorisés.

Cette note s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche financé par l’ANR (ANR-21-CE28-0004 ILSESD) et a bénéficié du soutien de la Chaire Politiques éducatives et mobilité sociale.

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