Pour réduire la pauvreté, la croissance ne suffit pas !

Publié le 15 juin 2018

Au moment où des signes inquiétants se font jour du coté du gouvernement pour diminuer les aides sociales au motif que la croissance viendra compenser ces diminutions. Il est intéressant de prendre connaissance de l’analyse de Denis Clerc, fondateur du journal « Alternatives économiques » qui a publié avec Michel Dollé, « Réduire la pauvreté. Un défi à notre portée ».

L’économiste explique que réduire la pauvreté, c’est possible, mais il faut pour cela réduire le temps de travail et mettre en place des politiques structurelles (formation, accueil de la petite enfance, etc.) et donc que l’Etat intervienne contrairement à la logique libérale actuelle.

Voici l’article que Denis Clerc vient de publier sur le site de l’Observatoire des inégalités :

« Dans une période de grogne collective, la voix de ceux qui en ont une couvre un peu trop la détresse des inorganisés, des exclus, des méprisés, des oubliés que sont les personnes en situation de pauvreté. « Pas grave  », diront certains : « la croissance est de retour, donc les créations d’emplois, donc moins de pauvreté ». Quand la marée monte, tous les bateaux montent avec elle, les barques comme les yachts, disent les économistes qui croient aux bienfaits de la croissance.

Pourtant ils se trompent, surtout lorsque rien n’est fait pour contrecarrer ou réduire les inégalités issues du fonctionnement du marché. Ainsi, entre 1996 (première année pour laquelle l’Insee a produit des chiffres détaillés de niveau de vie pour chacun des dixièmes de la population de France métropolitaine) et 2015 (dernière année disponible), le niveau de vie médian – celui tel que la moitié de la population dispose de moins et l’autre moitié dispose de plus – a progressé de 20 % une fois l’inflation déduite (comme tous les chiffres de niveaux de vie qui suivent). Pendant la même période, le nombre de pauvres – au seuil à 60 % du niveau de vie médian – a progressé entre temps de 700 000 (+ 8 %).

Dans notre système économique, en effet, lorsque la croissance est au rendez-vous, les mieux placés pour bénéficier de ses fruits sont ceux dont les compétences sont recherchées par les entreprises en croissance, et ceux qui disposent d’un patrimoine (mobilier ou immobilier) dont les revenus (loyers et dividendes) augmentent avec l’activité. Les moins bien placés, en revanche, ne recueillent que les miettes du festin. Ainsi, entre 1996 et 2015, le niveau de vie moyen du dixième le moins favorisé a progressé de 16 %, celui du dixième le plus favorisé de 28 % : + 100 € par mois pour ceux-là, + 1000 € par mois pour ceux-ci.

Pour que l’amélioration du niveau de vie engendre une réduction de la pauvreté, il faut que cette amélioration bénéficie davantage au bas de l’échelle qu’à ceux qui sont dans le haut. C’est très rarement le cas en période de croissance économique, et cela ne se produit que lorsque l’État s’en mêle : ainsi entre 1997 et 2002, le niveau de vie a progressé de 13 % en moyenne, mais de 17 % pour le cinquième le plus pauvre. Résultat : une diminution du nombre de personnes en situation de pauvreté (- 550 000 personnes essentiellement grâce aux nombreuses créations d’emploi, dont une partie due aux 35 heures).

En d’autres termes, pour réduire la pauvreté, ce n’est pas tant la croissance qui compte, que les politiques publiques permettant aux moins favorisés d’améliorer leur sort. Les plus efficaces ne sont pas forcément celles recourant à des aides monétaires. Par exemple, parmi les 2,8 millions de moins de 18 ans en situation de pauvreté, près de la moitié (44 %) vivent dans des ménages dont aucun des adultes présents n’est en emploi. Aider ces adultes à renouer avec l’emploi (par la formation, l’accompagnement, la mobilité ou la création d’emplois aidés) est la seule politique qui vaille à long terme : leurs enfants seront moins dépourvus et eux-mêmes seront plus fiers de gagner leur vie que de dépendre de l’aide sociale. Autre exemple : dans les familles monoparentales dont le chef est une femme inactive (sans emploi et n’en cherchant pas), le taux de pauvreté dépasse 70 %, le plus souvent parce que la charge d’enfants est incompatible avec un emploi. Pouvoir accéder sans coût majeur à une crèche ou à une assistante maternelle, ou pouvoir rechercher les enfants à l’école après l’heure normale de sortie de l’école permettrait à nombre d’entre elles de concilier emploi et responsabilité familiale.

Comment parvenir à créer des emplois pour ceux qui en sont aujourd’hui privés et qui, du coup, restent dans la pauvreté ? La meilleure solution serait de réduire la durée du travail, de sorte que, malgré un nombre global inchangé d’heures ouvrées, davantage de personnes accèdent à l’emploi. Le précédent des 35 heures montre que c’est difficile (mais pas impossible) et que cela implique de ne pas alourdir le coût de travail, afin d’éviter des suppressions d’emploi du fait de surcoûts pour l’employeur. Un des remèdes envisageables pourrait être d’inciter les salariés qui le souhaitent à passer à temps partiel en leur assurant une compensation financée par la collectivité dès lors que l’employeur procèderait à des embauches pour maintenir le même niveau de travail. Un peu « d’ingénierie sociale » pourrait ainsi permettre de réduire la pauvreté même dans une société de croissance faible ou nulle. À condition que des politiques publiques adaptées soient à la manœuvre afin de dessiner le contour d’une société d’inclusion moins obnubilée par la croissance à tout prix. »

L’observatoire des inégalités a fait une étude qui démontre que les inégalités de niveau de vie continuent d’augmenter.

Mots-clefs : , ,

Le commentaires sont fermés.