Service public du chauffage urbain de Grenoble : la délégation au privé se fissure !

Publié le 14 septembre 2012

Le 17 juillet 2012, le tribunal administratif de Grenoble juge, enfin, que les tarifs du chauffage urbain de Grenoble sont illégaux depuis mars 1983 jusqu’au 1er juillet 2008 !

C’est le 29 octobre 2004 que le Conseil d’administration de la Compagnie de Chauffage Intercommunale de l’Agglomération Grenobloise (CCIAG) décide une brutale augmentation des tarifs (11%), au moment où le maire de Grenoble exige de différents services publics gérés par des établissements publics municipaux une modération de leurs augmentations des tarifs, notamment pour les loyers d’ACTIS et pour la Régie des Eaux. Mais pour le maire pas question de contraindre la CCIAG, société d’économie mixte qui est dirigée dans les faits par un grand groupe privé (Dalkia, filiale de Véolia, ex-Générale des Eaux), d’agir de même.

Raymond Avrillier qui était à l’époque administrateur de la SEM CCIAG en tant que représentant du conseil municipal de Grenoble vote contre cette augmentation injustifiée, demande au président de la CCIAG d’annuler cette décision, et demande au maire et au conseil municipal, responsables de ce service public, de revenir sur cette décision qu’il analyse comme irrégulière. Le maire et le président de la CCIAG refusent.

L’ADES qui est depuis longtemps locataire d’un local relié au chauffage urbain fait de même un peu plus tard.

Devant les refus de la CCIAG et du maire de revenir sur cette augmentation, Raymond Avrillier (le 28 février 2005) puis l’ADES (le 25 avril 2006) déposent des recours en annulation au tribunal administratif de Grenoble. L’ADES estimant que les tarifs sont illégaux depuis 1983, demande leur annulation.

Le tribunal administratif de Grenoble donne raison aux requérants :

« Considérant qu’aux termes de l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales…« Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. » ; qu’il résulte de ces dispositions qu’il n’appartient qu’au conseil municipal d’établir le tarif d’un service public communal ; que lorsqu’un service public communal a fait l’objet d’une délégation de service public, la détermination du prix du service ou du montant de la redevance ne peut être laissée à la discrétion du concessionnaire ;…le contrat se borne à fixer un montant maximum, ce qui a pour effet de conférer de fait au délégataire une liberté contraire au principe énoncé ci-dessus ; qu’en approuvant la signature d’un tel contrat, le conseil municipal de la commune de Grenoble a méconnu l’étendue de sa compétence ; qu’il en résulte que les clauses de nature réglementaire du contrat relatives à la fixation du tarif du service sont entachées d’illégalité et que la décision du 29 octobre 2004 par laquelle le conseil d’administration de la CCIAG a décidé l’augmentation de ce tarif illégal est elle-même illégale ; qu’ainsi, M. AVRILLIER est fondé à demander l’annulation de cette décision du 29 octobre 2004 et du refus implicite de rapporter cette décision »

Et pour le recours de l’ADES, même sanction :

« qu’il en résulte que ces clauses de nature réglementaire relatives à la fixation du tarif du service sont entachées d’illégalité et que l’ADES est dès lors fondée à demander l’annulation du refus implicite du conseil municipal de Grenoble d’en prononcer l’abrogation ; »

Conclusion de ces jugements : les tarifs du chauffage urbain étaient illégaux depuis le 7 mars 1983, jusqu’au 1er juillet 2008, date de mise en place de nouveaux tarifs qui sont aussi contestés et qui vont être jugés bientôt. Et l’augmentation de 11 % de 2004 est illégale.

Les usagers de ce service public essentiel qui estiment avoir été lésés par des tarifs illégaux pourront le faire valoir devant le juge judiciaire. Notamment ils peuvent utiliser la décision récente (octobre 2011) du maire de limiter la marge avant impôt de ce service à 1,5 M€ et contester les tarifs des saisons 2003/2004 à 2007/2008, sauf celle de 2006/2007.

Saisons
de chauffe
2003/2004 2004/2005 2005/2006 2006/2007 2007/2008
Marge
avant impôts du chauffage urbain en M€
2,631 3,245 6,467 1,09 5,502

Pour l’histoire :

C’est le 15 mai 1961 que la ville de Grenoble accorde une concession de chauffage urbain à l’ancêtre de la CCIAG alors composée uniquement d’établissements publics. Cette concession est renouvelée pour 25 ans par une délibération du 24 février 1983, à laquelle prend part Michel Destot alors conseiller délégué…  à l’information municipale.

A partir de mars 1983, la majorité de droite (dont B. Betto) prend en main cette délégation de service public et décide, avant le vote de la loi Sapin de 1992 qui organise une certaine concurrence pour les délégations de service public, de prolonger jusqu’en fin 2017 la durée du contrat. La société d’économie mixte tombe sous l’emprise de la Compagnie Générale de Chauffe (filiale de la Générale des Eaux, qui deviendra Dalkia filiale de Véolia). Le président (conseiller municipal et député RPR) et le directeur (Compagnie Générale de Chauffe) ont, du temps de M. Carignon, abusé des biens de la CCIAG.

Donc de 1961 à maintenant, il n’y aura pas eu de mise en concurrence pour la gestion de ce service public et la majorité actuelle (Destot-Betto) se prépare à prolonger encore la délégation au-delà de 2018 !

Il aura fallu presque 8 ans à la justice pour se prononcer sur une décision manifestement illégale. Ce dysfonctionnement de la justice est préjudiciable à un bon fonctionnement du service public et permet à l’administration de n’en faire qu’à sa tête sans être sanctionnée.

Ces illégalités ont été obtenues dans le silence des instances de contrôle qui n’existent pas à Grenoble et ont fait supporter aux usagers des tarifs illégaux. Les préfets successifs n’ont pas rempli leur mission de contrôle de la légalité. La Chambre Régionale des Comptes n’a plus les moyens de remplir correctement ses missions et le service de la ville chargé du contrôle de la gestion déléguée, service que nous avons imposé en 1995, n’a pas la liberté de faire ce travail pourtant indispensable.

Et maintenant :

Suite à ces recours, la ville a été obligée, en jouant sur le délai anormal d’instruction, d’essayer de refondre profondément les tarifs par avenants en 2008. Mais les usagers ont subi de nouvelles augmentations et ont alors collectivement protesté en créant le collectif pour un chauffage juste et solidaire.

Ce collectif entame une action en justice pour se faire rembourser le trop perçu par la CCIAG durant ces dernières années, estimant que les marges auraient dues être limitées à 1,5 M€.

L’ADES et ses élus ont poursuivi les recours contre toutes les décisions tarifaires qui se sont succédées (juillet 2008, octobre 2010 et octobre 2011).

Les tarifs de juillet 2008 devraient être jugés dans les semaines qui viennent. Il y a de fortes chances qu’ils soient annulés puisque la puissance tarifaire affectée à l’abonné (qui permet de définir le niveau d’abonnement) n’est pas définie dans le contrat mais décidée unilatéralement par la CCIAG, et pas par le Conseil municipal. La Ville craint tellement cette annulation qu’elle profère un gros mensonge en affirmant au tribunal administratif que la puissance tarifaire est égale à la puissance souscrite qui, elle, est définie dans le contrat. Ceci est faux, comme le démontre les rapports faits au Conseil d’Administration de la CCIAG pour la saison 2010/2011 :

  • Puissances totales raccordées souscrites = 831,645 MW
  • Puissance totale tarifaire = 582 MW, ce qui n’a rien à voir avec la puissance souscrite !

Nous espérons que le juge administratif ne se laissera pas aussi grossièrement tromper.

Mais ce que craint le plus la majorité municipale c’est que, comme pour l’eau, les avenants de 2008 soient considérés comme de nouveaux contrats. En effet le tribunal pourrait considérer que ces avenants bouleversent l’économie du contrat d’origine et qu’en conséquence, ils auraient dû faire l’objet d’une nouvelle délégation avec mise en concurrence.

Si le tribunal administratif prononce un tel jugement, la perspective de la prolongation de la durée de la délégation va disparaitre et la mise à plat de la gestion de ce service sera à l’ordre du jour.

L’ADES milite pour que ce service soit enfin géré, au même titre que celui de l’eau, par une régie publique, pour qu’il n’y ait plus cette ingérence de puissants intérêts privés qui gèrent une société d’économie mixte dans une logique purement capitaliste au détriment des intérêts des usagers.

Remarques :

Les jugements du 17 juillet 2012 sont importants pour d’autres raisons aussi :

  • c’est la première fois en France qu’un administrateur de SEM engage un recours contre une décision du conseil d’administration dont il est membre au titre du conseil municipal : le jugement reconnaît son intérêt à agir ;
  • c’est la première fois en France qu’un locataire, usager final du service public de chauffage urbain, engage un recours en annulation de tarifs de ce service : le jugement reconnait son intérêt à agir alors même que l’abonné est le propriétaire.
  • l’avocat de la ville est en même temps l’avocat de la CCIAG, ce qui démontre que la ville de Grenoble confond ses intérêts avec ceux de Dalkia.

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