Politique de la ville, des propositions

Publié le 13 mars 2015

Politique de la ville en questionsAu moment où des réflexions se font jour sur la politique de la ville (le 5 mars à la Métro et le 6 mars au comité interministériel des villes), Claude Jacquier, spécialiste de ces questions, propose une mise en œuvre de stratégies intégrées de développement soutenable communautaire (recommandation de l’Union européenne depuis près de 20 ans, mais ignorées en France). Le terme communautaire s’appliquant aux communautés de territoires, ce qui n’a rien à voir avec un quelconque communautarisme. Il plaide notamment pour que l’ensemble des services de la ville et de ses satellites reconfigurent leurs moyens d’interventions pour les rendre plus efficaces et que des partenariats se forment avec d’autres communes par exemple Echirolles pour ce qui concerne la Villeneuve.

« Pour des stratégies intégrées de développement soutenable communautaire. Place aux innovatrices et aux innovateurs dans les métropoles.

Face aux multiples défis environnementaux, sociaux, économiques, culturels et politiques que le pays et les territoires rurbains ont à affronter et que les évènements récents ont rappelé douloureusement, il est urgent que le Gouvernement définisse un cadre d’action approprié permettant aux autorités locales et, tout particulièrement, aux métropoles qui viennent d’être créées, de lancer les stratégies intégrées de développement soutenable qui s’imposent et que recommande l’Union européenne depuis plus de vingt ans. Il n’est plus possible d’aborder ces défis avec les recettes du passé et avec des réponses segmentées en silos que les politiques nationales et les dérives institutionnelles et administratives ont imposées et laissées se multiplier (combien de ministères et d’administrations, combien de vice-présidents et d’adjoints dans les collectivités territoriales, combien de services cloisonnés, combien de ces fameux «dispositifs ad hoc» inefficaces ?).

Disons-le aussi tout net, s’il est de la responsabilité de l’Etat et l’Union européenne d’offrir un cadre législatif et réglementaire favorable ainsi que des financements incitatifs additionnels, ces niveaux de pouvoir ne sont guère en mesure, à cause de leurs logiques procédurales bureaucratiques, segmentées et descendantes, de faire émerger les innovations que ces défis exigent. Plus que par des réformes territoriales aujourd’hui à l’agenda, c’est par le démantèlement des «usines à gaz» bureaucratiques et corporatistes, gaspilleuses de temps et d’argent, qui plus est alourdies par une mésinterprétation de la politique de la ville, que doivent être accomplies les vraies mutations structurelles de ce pays, conditions d’efficacité de l’action et d’émergence d’innovatrices et d’innovateurs en tous domaines.

Les villes et les métropoles, les acteurs opérationnels de terrain, publics et privés, les entreprises et les associations ainsi que surtout les citoyennes et les citoyens sont en capacité de «faire avec» les réalités complexes d’aujourd’hui et de coproduire des innovations pour faire surgir des projets de développement soutenable en mesure d’intégrer les nombreux domaines d’activités bien trop cloisonnés pour être efficaces.

Jusqu’ici l’Etat et les villes en France n’ont guère mis en œuvre la politique de la ville selon ses principes originels qui consistaient à réformer les institutions, souvent par contournement, et à peser sur les logiques bureaucratiques à l’origine de trop nombreux maux sociétaux. En effet, ces maux ne sont en rien, comme on l’a trop souvent prétendu, le fait de lieux «criminogènes enclavés» qu’il faudrait raser et de «gens de peu», mécréants, qu’il faudrait «dissoudre». Nous sommes engagés dans de multiples transitions et l’heure est, dans les régions rurbaines, au recyclage de ces assemblages à chaque fois singuliers de lieux, de gens et d’institutions qui composent les territoires dont nous avons hérités avec leurs atmosphères si particulières. L’heure est aux TRUSTs, aux Territoires RUrbains Soutenables en Transition (en anglais Transitional RUrban Sustainable Territories) capables d’exploiter au mieux la dialectique des appareils et des réseaux (frameworks and networks) existants.

Au cœur de ces régions rurbaines, les métropoles peuvent être les territoires de l’opérationnalisation de vraies réformes. Cette opérationnalisation passe par ce que nous appelons le programme «RUSÉ», un programme ciblant quatre dimensions majeures des stratégies portés par les développeurs territoriaux et les articulant au mieux :

  • la production et la redistribution des Ressources monétaires et non monétaires à travers des activités et des emplois combinant, sur les territoires, les différentes formes d’économies (marchande, redistribution, domestique, sociale-solidaire-communautaire et économie de braconnage), à l’heure de la redistribution planétaire des chaines de valeurs (coproduction généralisée de la valeur ajoutée par les producteurs et les consommateurs de l’économie de services et de l’e-économie) ; la mobilisation ciblée sur les métropoles des nouveaux financements européens ITI (Integrated Territorial Investments), CLLD (Community-led Local Development) serait bienvenue.
  • la promotion d’une nouvelle Urbanité dans ces régions rurbaines dépassant ainsi la vieille opposition dix-neuviémiste «ville-campagne», les impasses de la périurbanisation et du délaissement de certains territoires ; la création de programmes intégrés de revalorisation territoriale doit permettre d’activer autrement les 40 milliards d’aides et de taxations immobilières tout au long de la chaine de l’habitat (recyclage du patrimoine, programmes groupés mixtes de réappropriation des territoires, accession/coopération/location en direction des jeunes ménages 30-40 ans désolvabilisés, surtout les femmes, et en s’appuyant sur l’organisation et le développement communautaires) ; il faut revisiter et recycler le vieux dicton médiéval : «L’air de la ville rend libre».
  • la prise en compte des enjeux de Sécurité collective qui ne se limitent pas à la tranquillité publique et à la lutte contre la délinquance mais qui, à l’heure des changements socio-éco-climatiques, doit intégrer la prise en compte, au quotidien, de tous les risques inhérents aux modes passés de développement rural et urbain,
  • l’enjeu de l’Éducation (surtout les 15 premières années initiales avec les parents) en insistant sur toutes les modes de formation et tout particulièrement sur l’apprentissage, aujourd’hui en crise (voir l’exemple suisse) ; il faut réactiver autrement les financements de la formation professionnelle (30 milliards d’euros) en la couplant à un recyclage de l’éducation populaire.

Pour ce faire, le Gouvernement doit s’appuyer principalement sur les 10 métropoles, en insistant moins sur la création d’instruments nouveaux que sur la réelle intégration des outils opérationnels existants : organismes d’habitation et d’aménagements, services de fourniture d’énergie et de chauffage, CCAS, missions locales, éducation et formation, santé, culture et sports, …) afin de mettre en œuvre, territoires par territoires, des stratégies intégrées de développement soutenable. Foin de beaux discours et d’affichages médiatiques, ce qui pêche gravement aujourd’hui, c’est l’opérationnalisation de ces stratégies sur le territoire. Grenoble et la Métropole des Alpes se proposent donc pour expérimenter de «nouvelles manières de faire avec» ces défis sur leurs territoires.

Grenoble a toujours été une terre d’innovations (la houille blanche, une énergie renouvelable avant la lettre, les cinq mutations de sa base économique en 150 ans, les mouvements coopératifs et mutualistes, la résistance d’une rare ville compagnon de la libération, les associations et unions de quartier, le planning familial, l’accueil des étrangers, etc.). Cette région a surtout innové en anticipant sur les politiques nationales en matière de développement des territoires : aménagement de la montagne, lancement de la restauration de l’habitat ancien, invention de politiques d’accueil des immigrés, expérimentation de politiques de revitalisation des grands ensembles, élaboration d’autres modes d’habiter dont l’habitat autogéré, … Le temps est venu de prolonger ce mouvement dans la région rurbaine en confiant aux opérateurs des communes et de cette métropole, notamment à leurs organismes d’habitation, le rôle de «chef de projet» des stratégies intégrées de développement soutenable sur les territoires les plus propices à susciter et à entraîner des mutations.

D’ores et déjà, au sein de la commune de Grenoble, avec ACTIS Office Public de l’Habitat (12 000 logements dont 50% en ZUS), avec la SEM Grenoble Habitat (accession à la propriété, immobilier d’entreprise et logements locatifs) dans laquelle la commune de Grenoble est majoritaire, avec les services (éducatifs, culturels, sanitaires et sportifs) ainsi que les divers organismes du groupe ville (CCAS, SEM d’Aménagement, gestionnaires d’eau et d’énergie), une reconfiguration des moyens d’intervention est en cours afin de démultiplier les capacités opérationnelles et de les rendre plus efficaces.

Une telle restructuration des outils envisagée sur les territoires de Grenoble pourrait être étendue dans un partenariat avec d’autres communes et notamment avec la commune d’Echirolles sur laquelle se déploie le territoire de la Villeneuve inscrite au PNRU 2. Une telle intégration des services autour de responsables de projet opérationnel pourrait préfigurer et permettre d’expérimenter, dès maintenant, les outils dont cette Métropole aura besoin lors du transfert des principaux services vers la métropole en janvier 2017. Rien ne vaut la mise en œuvre de projets intégrés de développement soutenable pour anticiper et préparer au mieux les réformes à venir. Le Gouvernement et ses administrations ministérielles pourraient favoriser financièrement et réglementairement une telle réforme structurelle, préfiguratrice de généralisations ailleurs et une source d’économies substantielles que tout le monde cherche pour les finances publiques. Le retour sur investissement est ici garanti et la perspective d’une meilleure performance globale des outils communaux et métropolitains pourrait être enfin assurée.

N’attendons pas un nouveau cataclysme dans nos métropoles pour mettre en œuvre de telles réformes. »

Mots-clefs : ,

Le commentaires sont fermés.