Qui a ruiné Grenoble : la corruption (suite)

Publié le 21 octobre 2016

balance justiceEntre 1983 et 1995, les Grenoblois ont payé cher, très cher la gestion de la droite sous la houlette du maire corrompu. Poursuivons notre chronique des faits de corruption jugés concernant Grenoble.

Comme le précise l’arrêt définitif de la Cour d’Appel de Chambéry le 10 juin 1998 : « Attendu que la concession du service de l’eau de la ville de GRENOBLE a ainsi été effectuée, non après mise en concours de plusieurs candidats, examen des prestations fournies par chacun d’eux, et choix de celui présentant le maximum d’avantages pour les consommateurs tant au point de vue de la qualité des services rendus qu’à celui de leur prix, comme cela aurait dû l’être, mais uniquement parce que la COGESE, via le groupe MERLIN et la Société Lyonnaise des Eaux était en mesure de procurer au Maire les dons et avantages à usage personnel… »

Ainsi un jugement nous introduit à l’histoire de l’appartement du Boulevard Saint Germain, un des cadeaux que le maire corrompu a obtenu en contrepartie de la privatisation de l’eau.

Le 29 novembre 1985, un article de Patrick BONAZZA et Bruno SEZNEC paru dans l’Express indique qu’Alain CARIGNON vient de trouver un appartement à Paris, dans une partie des bureaux qu’occupait le maire de Bordeaux Jacques Chaban-Delmas, au 286, boulevard Saint-Germain. L’appartement est au 4ème étage, il a sept pièces principales pour 280 m2. Il est situé à proximité de l’assemblée nationale et du siège du RPR. Alain CARIGNON voulait un appartement à Paris pour ses besoins personnels et développer ses activités parisiennes ; il connaissait celui du boulevard Saint-Germain. A la fin de l’année 1985, il demandera à Marc-Michel MERLIN de le lui acheter en lui précisant qu’en échange « [vous ferez] partie de la compétition pour la concession du service des eaux de la ville. » L’idée sera d’utiliser une couverture juridique pour dissimuler les véritables occupants de l’appartement ; elle se concrétisera rapidement, en deux étapes.

La première étape passe par la constitution de l’association MODERNITÉ RÉGIONALE. Le 14 janvier 1986, la société IMMOBILIÈRE DU BOULEVARD SAINT-GERMAIN va acheter l’appartement aux propriétaires de l’époque pour 5 millions de francs, majorés de 706 108 francs (travaux, agencements) et de 356 022 francs (mobilier). Ce sera l’unique objet de cette association. Le capital de cette société (6 millions de francs) est réparti entre des membres de la famille de Marc-Michel MERLIN et sa SOCIÉTÉ DE CONTRÔLE MERLIN. De leurs côtés, Alain CARIGNON et Jean-Louis DUTARET, son avocat, vont créer le 18 février 1986 l’association MODERNITÉ RÉGIONALE, le premier étant président, le second trésorier. La société de Marc-Michel MERLIN louera donc l’appartement à l’association du maire de Grenoble et de son complice avocat. Alain CARIGNON se logera presque gratuitement car si le loyer prévu était de 32 000 francs par mois, pratiquement, aucun de ces loyers ne sera versé et il restera un arriéré de 726 800 francs sur 1 026 800 francs à payer, sommes au 31 décembre 1987.

Cette magouille risquant d’attirer l’attention de l’administration fiscale, en raison de l’importance des loyers impayés, les corrompus mettront en œuvre la deuxième étape : la société WHIP. Cette société écran est constituée entre Jean-Louis DUTARET (qui en sera le dirigeant en fait), des membres de sa famille et des proches d’Alain CARIGNON. Elle rachètera l’appartement à l’IMMOBILIÈRE DU BOULEVARD SAINT-GERMAIN le 19 décembre 1988, pour un total de 7 609 000 francs (bien immeuble : 6 700 000 francs + bien meuble : 300 000 francs + droits d’enregistrement et frais : 609 000 francs). Pour financer l’acquisition Marc-Michel MERLIN s’adressera personnellement à sa banque, la LYONNAISE DE BANQUE, en menaçant de clôturer tous ses comptes si n’était pas octroyé un prêt à la WHIP, société pratiquement inconnue des banquiers (prêt de 7 609 000 francs au taux de 9,30 % remboursable en 15 ans). Les enquêteurs retrouveront un document très suggestif de la banque : « Dossier délicat à caractère politique – objectif : se faire couvrir les échéances en retard sans faire de vagues et inciter le client à vendre pour qu’on se tire. Ne pas faire de vagues. » Pour rembourser ce prêt, et pour prendre en charge les salaires des collaborateurs de l’équipe parisienne d’Alain CARIGNON, la WHIP facturera de 1988 à 1993 des honoraires fictifs de 9 373 060 francs à des sociétés du groupe MERLIN et de 2 220 000 francs à la LYONNAISE DES EAUX.

Pour mener leur enquête, les enquêteurs interrogeront entre autres témoins la concierge de l’immeuble, des voisins ou la décoratrice pour l’aménagement intérieur. Ils consulteront les notes de téléphone et d’électricité pour savoir si l’appartement était régulièrement occupé et par qui ? Ils retrouveront trace des courriers adressés à Alain CARIGNON à l’adresse du 286, boulevard Saint-Germain, ils analyseront l’utilité réelle des prestations facturées par la WHIP, etc. Tout ceci n’empêchera pas Alain CARIGNON d’affirmer devant la cour d’appel de Lyon du 09 juillet 1996 : « [j’ignorais] que ce bien avait été acquis dans des conditions délictueuses. »
Thierry F… expliquera aux enquêteurs : « à plusieurs reprises, j’ai dit à Marc-Michel MERLIN que les prétentions d’Alain CARIGNON étaient excessives. (…) Marc-Michel MERLIN me disait qu’il était important pour la SDEI d’avoir le contrat de concession de la ville de Grenoble. »

Telle était la probité de notre chevalier blanc qui s’essaie maintenant à la chasse à l’homme sur les murs de Grenoble !

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