Trafic de drogue, un constat d’impuissance de la justice à Grenoble

Publié le 25 août 2017

Les propos du procureur de la République, rapportés par le Dauphiné Libéré du 26 juillet ont marqué cette période estivale. M. Jean-Yves Coquillat y déclare notamment : « De toute ma carrière, je n’ai jamais vu une ville aussi pourrie et gangrenée par le trafic de drogue que Grenoble. C’est bien simple il y a des points de revente quasiment partout. Cela ne se limite plus aux quartiers sud, cela touche le centre-ville et certains quartiers historiques…Pour traiter l’intégralité des trafics, il faudrait 300 policiers à la Brigade des stups, mais même dans cette configuration, c’est mon Parquet qui ne serait pas à même de suivre ». A Marseille l’effort important de la police est rendu inefficace par les moyens totalement insuffisants de la justice (voir le Monde du 23 août). Le constat est clair, et on pourrait alors croire que le procureur va proposer des solutions vigoureuses pour combattre cette économie parallèle qui prend de plus en plus d’importance car le nombre d’acheteurs croit très vite comme au niveau national ; jamais il n’y a eu autant de consommateurs de cannabis dans notre pays.

Le marché de la drogue s’est développé dans tous les quartiers de la ville, d’abord au Sud et maintenant au Nord comme le signale le procureur. Malheureusement on tombe des nues en lisant le procureur qui stigmatise les habitants en les suppliant de déposer des plaintes afin que la justice puisse travailler sur des faits. Or des plaintes sont déposées et rien ne se passe ; il n’y a qu’à prendre l’exemple du marché de la drogue au vu et au su de tout le monde en plein centre-ville à proximité de l’Hôtel de Police, Place Edmond Arnaud autour et dans l’ODTI. Des plaintes sont déposées systématiquement par les responsables de cette association, en vain. Dans de nombreux quartiers des habitants sont menacés s’ils déposent plainte. La proposition du procureur est donc illusoire d’autant plus qu’il n’a pas les moyens de traiter les plaintes déposées.

Cette intervention du procureur n’est ni plus ni moins qu’un constat d’échec et d’impuissance de l’Etat comme il le reconnaît lui-même : « On ne peut plus, à l’heure actuelle, se contenter de dire que la sécurité est une fonction régalienne de l’Etat » !

Et pourtant la loi est très claire et le procureur devrait être le premier à la rappeler et exiger des moyens lui permettant d’agir efficacement : « La sécurité est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives. L’Etat a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes et des biens. » (Code de la sécurité intérieure, article L. 111-1)

Nous voilà au cœur des problèmes, des dizaines d’années de politiques libérales ont amputé les moyens de l’Etat qui est alors incapable d’assurer le minimum exigé par la Constitution et la loi. D’un autre coté le parlement vote des lois sans s’assurer des moyens de les mettre en application. Notre Etat de droit est miné par le bas par les maffias et par le haut par le gouvernement et les majorités parlementaires successives.

Rappelons la loi qui n’a pas été appliquée : « Constituent des orientations permanentes de la politique de sécurité publique : 1° L’extension à l’ensemble du territoire d’une police de proximité répondant aux attentes et aux besoins des personnes en matière de sécurité… » (article L. 111-2 du code de la sécurité intérieure).

Dans son programme électoral, Emmanuel Macron, proposait : « Seul un modèle de police renouvelé, proche du terrain et présent partout sur le territoire, permettra de réduire la délinquance et d’améliorer les relations avec la population… 4 leviers seront actionnés simultanément : mettre en place une police de sécurité quotidienne, renforcer nos forces de police, lutter contre les pratiques abusives en matière de contrôle d’identité et améliorer notre renseignement pour mieux lutter contre le terrorisme. » Le ministre de l’intérieur a récemment indiqué que cette police de sécurité quotidienne sera mise en place dès la fin de l’année. Attendons de voir ce qu’il en sera dans la réalité. Mais on peut douter de l’importance des moyens mis en œuvre car il est prévu d’importantes suppressions de postes dans la fonction publique. Il est à craindre que ce ne soit qu’un effet d’annonce.

Il est effectivement souhaitable qu’il y ait un profond changement dans l’organisation et le fonctionnement des forces de police et le retour à une police de proximité permettrait une meilleure coopération entre police nationale et polices municipales et la police retrouverait un contact plus direct avec les populations

Comment casser le système mafieux du trafic de drogue ? Les faits sont là, la politique de répression actuelle est un échec total. Il est temps d’ouvrir le débat sur les conditions d’une légalisation du cannabis et l’expérimentation d’une organisation de circuits officiels de vente (coffee shop) qui casseraient une partie importante de l’économie souterraine actuelle. Il semble qu’une majorité des forces politiques grenobloises soit favorable à une réflexion rapide à ce sujet. A droite et à l’extrême droite on continue à croire à une solution répressive, il n’y a rien à attendre de ce côté de l’échiquier politique.

Il ne faudrait pas se contenter de la légalisation, il faudrait aussi proposer une politique de santé publique en direction des usagers des drogues et de développer des actions conjointes entre police et justice (pour le répression) et des actions de prévention associant les élus locaux, les associations, l’éducation spécialisée, les acteurs de la santé, les usagers des drogues…

La question de la consommation et du trafic des drogues est complexe et ne peut se résumer à répression /légalisation. C’est un mal plus profond qu’il faut regarder en face. Que faire de certains jeunes qui n’ont d’autres horizons que l’argent facile vite gagné, des mineurs déscolarisés embauchés par les maffieux pour faire le guet… Notre société est bien malade, minée par le chômage de masse et la pauvreté et les discours simplistes de certains responsables politiques sont totalement à côté de la plaque.

Il est utile pour alimenter la réflexion, de consulter les travaux de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) qui a pour objet d’éclairer les pouvoirs publics, les professionnels du champ et le grand public sur le phénomène des drogues et des addictions. https://www.ofdt.fr/ .

L’OFDT note des évolutions dans l’organisation du commerce des drogues qui démontre que les trafiquants évoluent vers les dernières méthodes commerciales permises par le numérique :

« Face à ce climat de violence et de présence policière accrue du fait de l’état d’urgence, les usagers les plus insérés socialement répugnent de plus en plus à se rendre dans les lieux de deal, ce qui a conduit les trafiquants à continuer de «développer une stratégie consistant à aller vers les consommateurs»: prise de commandes par SMS, approvisionnement des clients dans des «drive» adossés à une cité où les clients peuvent s’approvisionner sans quitter leur véhicule, voire commandes de produits sur internet et livraison postale des marchandises. Une sorte d’«ubérisation» du trafic de drogue ».

 

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