Un glissement insidieux et insistant vers le révisionnisme historique, ou le rapprochement idéologique entre la droite et l’extrême droite !

Publié le 9 février 2018

Serait-ce un signe des temps, d’un glissement idéologique, d’une pensée réactionnaire et traditionaliste désinhibée face aux questions de l’immigration, de l’islam ou du mariage pour tous ; on note ces dernières années un regain d’intérêt pour des auteurs d’extrême droite comme Rebatet ou Céline. La récente tentative – fort heureusement avortée – de publication des pamphlets antisémites écrit par ce dernier en témoigne.

Toujours dans l’actualité récente, le choix du Haut comité aux commémorations nationales de commémorer en 2018 les 150 ans de la naissance de Maurras, directeur de la revue d’extrême droite « L’action française », a provoqué un tollé et a finalement obligé la ministre de la culture à reculer. Toutefois la question demeure : comment ce choix d’honorer la mémoire d’un homme condamné à la prison à perpétuité en 1945 pour « haute trahison et intelligence avec l’ennemi » a-t-il pu être fait ? La République serait-elle devenue masochiste au point de vouloir célébrer la naissance de l’un de ses pires ennemis ?

Autre illustration de cette désinhibition, à Grenoble lors d’un conseil municipal (21/12/2015) on a pu entendre le conseiller municipal LR M. Chamussy citer le même Maurras à propos de l’interdiction « mortifère » (sic) de circulation sur le boulevard Agutte-Sembat (Votez, je vote, votons tous. La devise de notre Action française est d’agir, d’avancer, de manifester « par tous les moyens, même légaux. ») tout en prétendant d’ailleurs citer Léon Blum, que Maurras souhaitait voir « fusillé, mais de dos » !

Ce climat falsificateur et révisionniste touche-t-il aussi le département de l’Isère et son président LR Jean-Pierre Barbier ? On peut le craindre en lisant l’Isère Mag de janvier-février 2018, dans lequel on peut trouver une présentation d’une exposition sur l’école de formation des cadres de l’État français, dite « École d’Uriage » entre 1940 et 1942, qui par la suite deviendra  l’école des cadres de la milice française, police de l’État fasciste de Vichy, où l’on emprisonnait et torturait les Résistants ; une création qui fut justement saluée en ces termes par Maurras : « Avec le concours de [cette] pure et solide police, nous pourrons chez nous frapper d’inhibition toute velléité révolutionnaire et toute tentative intérieure d’appuyer les hordes de l’Est, en même temps que nous défendrons nos biens, nos foyers, notre civilisation tout entière. » (L’Action française du 3/3/1943).

C’est un choix de découpage chronologique qui est tout sauf neutre, dont on voit qu’il oppose la première période, celle de l’école des cadres du régime de Vichy à la seconde, correspondant à celle des cadres de la milice, alors qu’elles sont toutes deux indissociables du régime collaborationniste de Vichy, la seconde période d’Uriage s’inscrivant en définitive dans la continuité de la première. Les élèves de l’Ecole d’Uriage dans la première période adhéraient à des degrés variés à la Révolution nationale de Pétain et certains finirent même par rejoindre la France combattante de de Gaulle.

Un passage éclaire ce choix : « Le retour de Pierre Laval au pouvoir en avril 1942, l’envahissement de la zone sud par les Allemands et la politique collaborationniste ont éloigné des « uriagistes » humanistes et antitotalitaires de la doctrine pétainiste ». Fichtre, il y aurait donc quelque chose de bon dans la Révolution nationale de Pétain et nous l’ignorions ?! Depuis Robert Paxton au milieu des années 70, les historiens ont pourtant démontré le caractère indissociable de Vichy et d’une collaboration activement recherchée par l’État français. Mouvement historiographique qui a abouti au discours du Vél d’Hiv de Jacques Chirac du 16 juillet 1995, où pour la première fois un président de la République reconnaissait la responsabilité pleine et entière de l’État français dans la déportation des juifs.

Comment alors pouvait-on être un soutien « humaniste » de la « doctrine pétainiste » après la loi du 3 octobre 1940, portant statut des juifs, l’une des plus dures d’Europe, dans laquelle Pétain, qui partageait l’antisémitisme de Maurras, a été directement et personnellement impliqué ! Ou encore, après la loi sur les dénaturalisations, mise en place dès le 22 juillet 1940, un mois à peine après la naissance du régime de Vichy, qui envoyait vers un destin tragique des milliers d’apatrides !

J.P. Barbier n’essayerait-il pas de nous vendre également un maréchalisme « new look » à travers l’opposition entre Laval et Pétain, laquelle s’inscrit dans un ensemble de représentations très présentes dans l’extrême droite qui sont articulées autour de la figure d’un Maréchal mythique, en usant de la rhétorique connue du bon monarque entouré des mauvais conseillers et du prétendu double jeu mené par « un vieux renard » ?

Plus prosaïquement, nous sommes certainement en train d’assister au rapprochement sur le terrain idéologique et historique de la droite et de l’extrême droite. Et la page du gaullisme est définitivement tournée à droite.

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