Les conditions de travail en France expliquent l’ampleur de la mobilisation contre le recul de l’âge de la retraite

Publié le 5 mai 2023

Malgré le déni total dont fait preuve ce gouvernement – le plus dogmatiquement néolibéral et inféodé au CAC 40 que l’on ait connu – la question des conditions de travail réelles des Français.es émerge fortement dans le débat public. Enfin ! Car pour les spécialistes, inspecteurs ou médecins du travail ou syndicalistes, cela paraissait curieux de constater cette dégradation forte des conditions de travail sans que ce sujet soit jamais débattu.

Les causes sont claires, elles sont dues aux ravages causés par la gestion libérale depuis des années : précarisation des statuts des travailleurs (CDD, intérim, travailleurs des plateformes, pseudos entrepreneurs « indépendants »,…), dérégulation des cadres protecteurs (code du travail, conventions collectives, normes sociales,…) et diminution des agents chargés de les faire respecter (sous Macron le nombre d’inspecteurs du travail en poste a baissé à 1750 pour contrôler 2 Millions d’entreprises employant 20 millions de salariés… la France a plongé vers le bas du tableau européen en termes de ratio contrôleurs/contrôlés en droit social), pénurie de médecins du travail, impacts négatifs de la sous-traitance en cascade et des pratiques managériales productivistes, intensification des tâches avec la numérisation mal orientée,…

Le tout aboutit à des résultats concrètement mesurables hélas, la remontée des taux d’accidents du travail (visible malgré une sous-déclaration massive, plus de 800 morts par an, plus de 640 000 accidents du travail) bien pointée par des citoyens comme Mathieu Lépine sur son compte twitter. Et dans son livre qui vient de sortir « l’hécatombe invisible ». Sans compter l’impact désastreux sur le respect des règles sociales vu l’état de notre justice : dans une actualisation récente d’une enquête déjà faite il y a 15 ans le journal « Santé travail » révèle que seuls un petit tiers d’un échantillon de PV de l’inspection du travail a abouti à un procès ou un traitement judiciaire ! Les deux autres tiers sont classés sans suite ou « en instruction » sans nouvelles c’est-à-dire probablement empilés sur un bureau à prendre la poussière avant prescription…

Cette dégradation nette des conditions de travail a été aussi mesurée par une enquête européenne et un très bon article d’Alternatives économiques de Dominique Méda, Maëlezig Bigi et Agnès Parent-Thirion.

En 10 graphiques de comparaison avec l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas, aux niveaux de développement proches de la France tout est dit  car la France de Macron est systématiquement mal placée :

  • pour 37 % des actifs occupés français, leur travail était « insoutenable ».
  • alors que quatre critères de pénibilité ont été supprimés en 2017 par les ordonnances Macron (port de charges lourdes, postures douloureuses, produits chimiques et vibrations), la France est à la traîne en matière de contraintes physiques supportées au travail (66 % des salariés ont des mouvements répétitifs !)
  • les contraintes émotionnelles sont particulièrement fortes (24%) et des discriminations plus marquées (15%), notamment pour les femmes.
  • 52 % travaillent dans l’urgence (délais stricts ou courts)
  • 36 % ont le soutien de leurs collègues (contre 55 % au Danemark)
  • 51 % sont consultés sur leur travail avant prise de décision
  • 20 % travaillent sur leur temps libre et 37 % ont déjà travaillé en étant malades, on est loins de l’image des « flemmards » colportés par les ministres qui s’étonnent de voir des manifestants avec casseroles un après-midi
  • 38 % estiment que leur santé est menacée par leur travail, on est loins du « le travail c’est la santé » que macron promeut.
  • 49 % souffrent d’anxiété liée au travail (contre 7 % au Danemark!)
  • 45 % se déclarent reconnus, bien payés pour leur travail (contre 68 % en Allemagne)
  • Enfin l’index de qualité de l’emploi qui synthétise ces résultats, la France est en queue de peloton avec 39 % de Français dans un emploi « tendu » contre 22 % au Danemark, 22,7 % aux Pays-Bas, 23,9 % en Allemagne et 30,3 % dans l’Union européenne à 27.

Bref les données de la science (sociale là) confortent, comme pour le climat, le diagnostic : il y a des raisons réelles aux mobilisations en cours puisque le gouvernement nie ces réalités pourtant objectivées. Tant qu’il continuera dans cette voie il n’y a aucune raison de voir la mobilisation faiblir. Et il faut se réjouir de voir les syndicats regonfler leur nombre d’ adhérents. Car dans les pays de comparaison précités l’influence syndicale est autrement plus importante qu’en France. De là à dire qu’il y a corrélation entre bonnes conditions de travail et poids des syndicats… il n’y a qu’un pas.

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