Pour une revalorisation anticipée des minima sociaux

Publié le 20 octobre 2023

Le 12 octobre 2023, 34 fédérations et associations nationales de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, membres de la Commission lutte contre la pauvreté de l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) et des collectifs inter-associatifs locaux présents dans 8 régions demandent dans le débat budgétaire 2024 qu’il y ait une revalorisation anticipée des minima sociaux. Ci-dessous des extraits d’un texte de Noam Leandri, président du collectif ALERTE et Pierre Madec, économiste à Sciences Po, qui indique qu’un nombre important de ménages va basculer dans la pauvreté s’il n’y a pas cette revalorisation.

« Les minima sociaux ont été revalorisées de 1,6 % en avril 2023 alors que l’inflation devrait s’établir autour de 5 % cette année. La perte de pouvoir d’achat des allocataires de minima sociaux pourrait faire basculer 200 000 personnes dans la pauvreté jusqu’à la revalorisation d’avril 2024.
Les minima sociaux et les prestations familiales sont revalorisés chaque année en avril en fonction de l’inflation constatée les 12 derniers mois. Avant 2015, ils étaient revalorisés sur l’inflation prévisionnelle de l’année à venir, ce qui ne posait pas de problème lorsque l’inflation était stable…

Le gouvernement justifie cette sous-indexation par le fait qu’une augmentation exceptionnelle de 4 % avait été attribuée en juillet 2022 par anticipation. L’inflation de 2023 sera, quant à elle, répercutée lors de la revalorisation d’avril 2024 : le gouvernement prévoit donc un rattrapage l’an prochain avec une hausse des minima sociaux de 4,6 % supérieure à l’inflation prévue.
Pour autant, les ménages subissent depuis deux ans une forte augmentation des prix qui ne s’est pas traduite par une augmentation équivalente des minima sociaux. Au final, une revalorisation en avril 2024 risque d’être trop tardive face à l’accroissement de la précarité qui se perçoit très concrètement dans le recours accru à l’aide alimentaire.
Concrètement, une mère qui élève seule ses deux enfants a subi depuis 2 ans une hausse des prix de 305 € par mois selon les budgets type UNAF alors que si elle n’a pas d’autre ressources que les prestations sociales (RSA, allocations familiales et logement), celles-ci n’ont augmenté que de 108 € par mois sur la même période. Soit près de 200 € de perte de pouvoir d’achat !

Cette déconnexion entre minima sociaux et évolution des prix est particulièrement visible lorsque l’on compare, depuis 2018, l’évolution, du fait des revalorisations légales ou exceptionnelles, des minima sociaux et celle de l’indice de prix des ménages appartenant aux 20 % de ménages les plus modestes, fournie par l’Insee.

Une autre façon de présenter ces résultats est de corriger l’évolution du montant du RSA de l’évolution de l’indice de prix des 20 % de ménages les plus modestes. Nous obtenons ainsi un « pouvoir d’achat » du RSA pour chaque mois depuis 2018. En août 2023, le pouvoir d’achat du RSA se situait à un niveau 30 euros inférieur à celui d’août 2020.

Ce retard de revalorisation risque de faire basculer des milliers de familles dans la pauvreté.

Des simulations2 ont été réalisées en mobilisant le modèle de microsimulation Ines, développé conjointement par l’Insee, la Drees et la CAF. Celui-ci simule les prélèvements sociaux et fiscaux et les prestations sociales ; il repose sur un échantillon d’environ 50 000 ménages représentatifs de la population vivant en France métropolitaine dans un logement ordinaire.

Pour isoler l’effet de la sous-indexation des minima sociaux, deux variantes ont été simulées : une hausse à 1,6 % et à 5 % de ceux-ci. Par ailleurs, les salaires augmenteraient comme l’inflation à 5 %, les allocations logements de 3,5 % et les retraites de 0,8 %. Les seuils de pauvreté augmenteraient de 3,5 %.

Des milliers de ménages pourraient basculer dans la pauvreté du fait de l’augmentation du niveau de vie médian et donc des seuils de pauvreté. La perte de pouvoir d’achat des allocataires de minima sociaux pourrait entrainer 200 000 personnes sous le seuil de pauvreté officiel (à 60 % du niveau de vie médian) et 160 000 sous le seuil de grande pauvreté (à 50 % du niveau de vie médian).

Cette estimation s’entend toutes choses égales par ailleurs. La baisse du chômage pourrait jouer en sens contraire. Toutefois, les prévisions de la Banque de France3 tablent sur stabilité du taux de chômage en 2023 et une augmentation l’an prochain du fait du ralentissement économique.Plus de 200 000 personnes pourraient basculer dans la pauvreté jusqu’à la revalorisation des minima sociaux en avril 2024. Une anticipation de cette revalorisation légale permettrait d’éviter une perte de pouvoir d’achat des ménages pauvres qui expliquent la demande croissante d’aide alimentaire. »

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