La demande en eau : prospective territorialisée à l’horizon 2050

Publié le 24 janvier 2025

Le cycle de l’eau sera de plus en plus affecté par le changement climatique, qui risque d’accroître les conflits d’usage dans les territoires. Dans le prolongement de premiers travaux publiés en avril 2024 sur les usages de l’eau, France Stratégie publie un rapport et une note d’analyse consacrés à la demande en eau à horizon 2050

L’étude propose trois types de scénarios de l’évolution de la demande en eau. Le premier scénario, nommé « tendanciel », prolonge les tendances passées. Le deuxième, appelé « politiques publiques », simule la mise en place des politiques publiques récemment annoncées. Le troisième, dit « de rupture », est inspiré du scénario « coopérations territoriales » issu du travail prospectif Transition(s) 2050 de l’Ademe et se caractérise par un usage sobre de l’eau. Si les prévisions varient fortement en fonction des scénarios examinés, plusieurs tendances se dessinent dans tous les cas : une augmentation de la consommation (par l’irrigation), sa concentration toujours plus grande en été et une évolution territoriale contrastée. A noter que le rapport n’est pas convaincu par les retenues agricoles de substitution (dont les méga-bassines), estimant modérer leur contribution à la réduction des prélèvements entre les mois de mai et de septembre.

Voici la synthèse de ce rapport :

« Le changement climatique s’accompagne d’une intensification des événements extrêmes et d’une diminution de l’eau renouvelable, c’est-à-dire de l’eau qui se renouvelle par le cycle de l’eau, notamment dans la moitié sud de la France. Si l’évolution de la ressource en eau est de mieux en mieux estimée grâce notamment au travail de recherche Explore2 piloté par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement

(INRAE) et l’Office international de l’eau, la demande en eau future pour satisfaire les différentes activités humaines a jusqu’à présent peu fait l’objet d’investigations. Or cette connaissance se révèle essentielle pour anticiper les conflits d’usage à venir.

Ce rapport étudie aux horizons 2030 et 2050 les prélèvements théoriques en eau – appelés aussi « demande » – et les consommations associées, c’est-à-dire la part du prélèvement non directement restituée au milieu, pour trois scénarios d’usage. 

Le premier scénario, nommé « tendanciel », prolonge les tendances passées. Le deuxième, appelé « politiques publiques », simule la mise en place des politiques publiques récemment annoncées, qu’elles aient un lien direct ou non avec l’eau. Le troisième, dit « de rupture », est inspiré du scénario « coopérations territoriales » issu du travail prospectif Transition(s) 2050 de l’Ademe et se caractérise par un usage sobre de l’eau.

Cette étude ne vise pas à prévoir la demande en eau future, mais plutôt à imaginer quelle pourrait être cette demande en fonction de choix de société structurants. Quelques trajectoires futures contrastées sont dessinées, parmi une infinité de trajectoires. Elles pourront contribuer à alimenter le débat public. Des travaux plus détaillés, à une échelle locale, et des actions de concertation avec l’ensemble des parties prenantes seront indispensables.

Pour chaque scénario, les demandes en prélèvements et en consommations pour sept secteurs d’activité ‒ élevage, irrigation, énergie, industrie, tertiaire, résidentiel et canaux de navigation ‒ ont été estimées à l’échelle de la France métropolitaine divisée en quarante bassins versants. 

La demande en eau d’irrigation dépendant étroitement des conditions climatiques, nous l’avons évaluée avec des années météorologiques extraites de deux projections possibles aux horizons temporels d’intérêt (2030 et 2050). Ces météos se caractérisent par des précipitations plus ou moins abondantes entre les mois de mai et de septembre.

Avec la projection climatique simulant les sécheresses les plus sévères, les prélèvements annuels sont stables entre 2020 et 2050 dans le scénario tendanciel et ils diminuent dans les scénarios politiques publiques et de rupture, pour un printemps-été sec. Avec la projection climatique simulant des sécheresses moins intenses, les prélèvements annuels diminuent entre 2020 et 2050 dans tous les scénarios : de -10 % dans le scénario tendanciel à -53 % dans le scénario de rupture.

Dans le cas le plus défavorable que nous avons simulé (projection climatique « violet »), les consommations doublent dans le scénario tendanciel et augmentent de plus de 70 % dans le scénario politiques publiques. Dans ce scénario, les consommations atteignent 2 200 millions de m3 en juillet, l’agriculture y contribuant à hauteur de 90 %. 

Les augmentations de consommations sont inégalement réparties entre les territoires. Ainsi, dans les bassins versants de l’Escaut et de l’Adour, dans le scénario politiques publiques les consommations triplent du fait d’une croissance de la demande en eau d’irrigation 

En utilisant une projection climatique moins pessimiste (projection climatique « jaune »), les consommations augmentent de 40 % dans le scénario tendanciel et diminuent dans les scénarios politiques publiques (-11 %) et de rupture (-37 %). Dans le scénario politiques publiques, elles augmentent au maximum d’environ 80 % et ce dans deux bassins versants (la Loire aval et les fleuves côtiers du sud de la Loire) et sont inférieures à 50 % dans la majorité des bassins versant.

Toutefois, quelle que soit la projection climatique utilisée, pour un printemps-été sec, les consommations augmentent pendant la période printanière et estivale, excepté pour un cas étudié : le scénario de rupture simulé avec la projection climatique la moins pessimiste.

La croissance des consommations est liée au changement de composition des prélèvements : les prélèvements pour l’irrigation deviennent majoritaires tandis que ceux pour l’énergie diminuent. Or l’irrigation a cette particularité de consommer la majorité de l’eau prélevée en raison de l’évapotranspiration des plantes. Seul le scénario de rupture permet de contenir les consommations à l’horizon 2050 à un niveau proche de celles observées en 2020, quel que soit la projection climatique utilisée, notamment grâce à l’effet combiné d’une croissance régulée des surfaces équipées en irrigation et du développement des pratiques agroécologiques. La maîtrise de la demande en eau d’irrigation nécessitera ainsi la mobilisation de différents leviers.

Ces résultats emportent deux conséquences majeures. D’une part, avec la part croissante de l’irrigation dans les prélèvements, les prélèvements et les consommations seront davantage concentrés sur les mois les plus chauds de l’année, quand la ressource en eau est au plus bas dans les nappes alluviales et les rivières. D’autre part, l’augmentation des consommations devrait avoir des effets sur le fonctionnement des milieux aquatiques et sur les usages en aval, car moins d’eau sera restituée aux milieux. Ceci pourrait non seulement affecter durablement les écosystèmes, mais aussi contribuer à l’intensification ou à l’émergence de conflits d’usage »

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