Nucléaire : le béton des premiers EPR2 est défectueux

Publié le 21 mars 2025

La saga du lancement des nouveaux réacteurs de la filière EPR n’en finit pas en rebondissements et en rapports les plus interrogatifs les uns après les autres. Alors que le premier EPR de Flamanville présente des problèmes techniques sur l’alternateur qui nécessite un arrêt qui se prolonge au moins jusqu’au 30 mars, on apprend par l’Elysée le 17 mars que le chantier EPR2 à Penly, aura 3 ans de retard et un dérapage de coût conséquent.

En janvier 2025 la Cour des comptes a fait un rapport intitulé : « La filière EPR : une dynamique nouvelle, des risques persistants ». Fin 2024, un rapport de Greenpeace fait le point sur le site de Gravelines qui devrait recevoir deux EPR2 et qui est menacé de submersion par la montée des eaux liée au changement climatique.

Et pour en rajouter, les médias Reporterre et Médiapart ont dévoilé des informations inquiétantes concernant le béton utilisé sur le chantier des deux réacteurs EPR2 à Penly.

Ces deux médias expliquent que le béton utilisé sur le chantier n’est pas conforme aux spécifications imposées. Reporterre a alerté l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) concernant ce problème de béton le 19 février, dont l’ASNR n’avait pas été informée ! L’ASRN a effectué une inspection et le 27 février et a confirmé qu’il y avait un sujet préoccupant sur la qualité des granulats.

« À peine commencé et déjà embourbé. Le béton prévu pour les réacteurs nucléaires EPR2 de Penly (Seine-Maritime) — y compris l’îlot nucléaire, qui abrite le cœur du réacteur — n’est à ce stade pas conforme, ont découvert Reporterre et Mediapart. En cause, un problème de granulat qui risque d’entraîner une dégradation plus rapide que prévu pour ces constructions censées durer au moins soixante ans. À tel point que l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) a programmé une inspection spéciale sur le chantier et a demandé à EDF de nouvelles justifications sur la durabilité des matériaux utilisés.

Cette erreur cache un chantier au démarrage difficile, sur fond de grande désorganisation et de souffrance au travail à Eiffage Génie Civil — deux salariés au moins de l’équipe dédiée au projet Penly étaient en arrêt de travail de décembre 2024 à mars 2025.

Rembobinons. En février 2022, à Belfort, le président de la République Emmanuel Macron annonçait en grande pompe la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires de 1 650 mégawatts (MW) de type EPR2. Très vite, la centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime), près de Dieppe, a été désignée pour accueillir la première paire de chaudières. Un chantier d’au moins 17 milliards d’euros [1] qui est censé aboutir à une mise en service entre 2035 et 2037, selon les prévisions d’EDF.

Un marché à plus de 4 milliards d’euros

Pour tenir ce calendrier très serré — dix-sept ans ont été nécessaires pour venir à bout de la construction de l’EPR de Flamanville —, l’électricien s’est lancé sans attendre dans la préparation du chantier. Fin 2023, il a confié les travaux de génie civil, un marché à plus de 4 milliards d’euros, à Eiffage Génie Civil. Pour la fourniture des 1,2 million de mètres cubes de béton (sur six ou sept ans) nécessaires, la filiale du groupe Eiffage a choisi comme partenaire Béton Solutions Mobiles (BSM), un producteur de béton prêt à l’emploi. Le feu vert pour les travaux préparatoires a été accordé en juin dernier.

Dès le départ, des grains de sable, ou plus précisément de granulat 0/4 millimètres (mm), ont grippé la machine. Penchons-nous sur la recette du béton : du ciment, lui-même formé de diverses substances du type laitier [2] ou cendres volantes et d’additifs ; et des granulats de différents calibres. En 2023, Eiffage Génie Civil et BSM ont donc lancé un appel d’offres pour la fourniture de ces fragments de roche et ont opté pour la réponse la plus avantageuse financièrement : celle de Graves de Mer, une entreprise qui exploite deux gisements près de Dieppe. Le choix semblait judicieux : quinze kilomètres à peine séparent le fournisseur et la centrale.

Sauf que ces granulats marins entraînent des risques de destruction du béton s’ils ne sont pas utilisés avec beaucoup de précautions. Ils sont en effet classés « potentiellement réactifs à effet de pessimum » (PRP) : dans certaines circonstances et notamment en présence d’eau — comme ce sera le cas d’une grande partie de la centrale exposée aux embruns —, ils peuvent être à l’origine d’une réaction alcali-granulat (RAG). « Il s’agit d’une réaction entre des granulats contenant de la silice réactive et les alcalins contenus dans le béton en conditions humides », nous ont répondu par écrit les experts béton du site Infociments. « Cette réaction va créer une sorte de gel expansif qui fait gonfler le béton et, à terme, le fait exploser. C’est un cancer du béton qui se développe sur plusieurs années, voire des dizaines d’années. Et il n’existe rien pour contrecarrer ce phénomène », a précisé à Reporterre une source au fait du dossier.La RAG est connue depuis longtemps et est venue à bout d’édifices considérables — c’est à cause d’elle que l’ancien pont de Terenez (Finistère) a dû être entièrement déconstruit… »

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