Les sophistes du boulevard J. Pain

Publié le 15 juin 2012

L’aventure, car c’en est une, commence un beau jour du mois de juin 2012 à la mairie de Grenoble. Des habitants, dont certains membres de l’association « Vivre à Grenoble » sollicitent après une première tentative des élus du groupe « Ecologie et Solidarité », des documents auprès du service Urbanisme de la ville. Ils souhaitent en effet, obtenir une copie des rapports rendus par le commissaire enquêteur sur la modification n°2 du PLU (Plan Local d’Urbanisme) et la Révision Simplifiée du PLU, secteur Esplanade. Enorme tâche pour cet homme qui a dû travailler sur deux dossiers d’urbanisme majeurs qui l’ont inévitablement conduit à retarder le dépôt de ses rapports au 31 mai 2012.

Se fondant sur l’article 123-21 du code de l’Environnement qui stipule entre autres : « …copie du rapport et des conclusions est également adressée à la mairie de chacune des communes où s’est déroulée l’enquête et à la préfecture de chaque département concerné pour y être sans délai tenue à la disposition du public pendant un an à compter de la date de la clôture de l’enquête », nos requérants sont alors parfaitement confiants. Nous sommes début juin et il n’y a aucune raison pour que ces rapports ne soient pas mis à disposition du public conformément à la loi. Mais c’est compter sans le refus opposé par quelques fonctionnaires qui invoquent les ordres d’une hiérarchie apparemment plus politique qu’administrative. Zélés ces fonctionnaires n’ont pas hésité à fourbir un argument, repris et confirmé par le directeur de cabinet du maire de Grenoble, qui, s’il ne relève pas de l’absurde, du surréalisme ou de l’abracadabrantesque pour reprendre une formule célèbre, a quelque chose à voir avec le sophisme.

Que signifie en français, langue parlée sur notre territoire et au-delà, la locution adverbiale « sans délai » ? Tout le monde s’accorde à comprendre qu’il s’agit de « aussitôt, immédiatement, promptement, séance tenante, sur le champ, tout de suite, toutes affaires cessantes » ou encore plus familièrement « dare-dare, illico ». Pour la majorité municipale « sans délai » doit être interprété comme « permettant de disposer du temps qui conviendra pour répondre aux exigences de la loi » autrement dit aux calendes grecques. La majorité municipale parle une langue originale, bien pratique puisque seule à même de tordre la réalité pour la plier à sa convenance.

Mais on soupçonnait que cette novlangue avait cours depuis longtemps déjà, ainsi : espaces verts et développement durable devaient être compris comme bétonisation, bâtiments à taille humaine pour grandes tours, démocratie locale et concertation traduits par : je présente un projet, il n’y en a qu’un, je décide qu’il est le meilleur et c’est non négociable… On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Les Grenoblois qui n’avaient pas de lexique au départ, ont fini par trouver le décodeur et il se pourrait bien qu’à l’avenir ils décident d’employer cette belle langue municipale pour régler leurs impôts locaux, leurs factures de cantines, d’eau, de gaz et d’électricité, de chauffage ou leurs loyers aux bailleurs sociaux « sans délai », c’est à dire un jour… peut-être. Comme le disait Ovide dans « Les Métamorphoses » : « Tout délai nous est long qui retarde nos joies. »

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