Rencontres nationales de la participation à Lille

Publié le 16 mars 2018

L’association « Décider ensemble » a organisé les 2èmes Rencontres nationales de la participation, les 6, 7 et 8 mars 2018, à Lille. De nombreux thèmes étaient proposés aux débats dont celui sur « La transparence, un nouvel impératif participatif ? » organisé le 8 mars par l’association ANTICOR. Raymond Avrillier était invité à intervenir dans ce débat, voici sa contribution.

« Cette intervention résulte d’un travail collectif que nous avons mené à partir de Grenoble avec notre mouvement « Démocratie Ecologie Solidarité ». Nous avons été les premiers, et hélas les seuls, à révéler un système de corruption généralisée dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix[1], alors que bien d’autres villes, agglomérations, départements étaient soumis à un système semblable.

En mettant en cause la délégation au privé (Lyonnaise des eaux) de services publics de l’eau et de l’assainissement par corruption d’un maire de Grenoble en 1989 (également alors président du conseil général et ministre « de la communication », après avoir été ministre « de l’environnement »), il nous a fallu faire face à la passivité de l’ensemble des instances de contrôle, pendant plus de 8 ans (1989-1997[2]). Nous avons mis en place le retour au public de ces biens communs en 2000, par une régie publique de l’eau et de l’assainissement (dont je suis membre du conseil d’exploitation après l’avoir présidé) qui ne réalise aucun profit pour des actionnaires.

Nous nous sommes basés sur deux principes :

  • Le premier principe est si ancien qu’il est oublié de nombreuses personnes et institutions : ce sont les articles 13, 14, 15, et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789[3] qui le fixe, que l’on peut résumer : « les affaires publiques sont publiques, sous le contrôle du public et d’une justice indépendante ».
  • Le second principe fixe que les services publics servent le public dans l’intérêt général, leurs biens communs sont des biens de la communauté des usagers et contribuables.

De ces principes républicains et démocratiques, nous en avons déduit que la clarté des décisions publiques est un but, par la parfaite accessibilité aux informations qui regardent les affaires publiques.

Sur la « transparence », au moment où ce sont des oligopoles privés (GAFA) qui s’emparent des données privées de chacun·e d’entre-nous, et où les fichages policiers se généralisent sous l’alibi de la lutte contre le terrorisme, il convient de ne pas confondre cette « transparence » de la vie privée devenue marché pour certains ou surveillance pour d’autres, avec la transparence comme moyen de clarté de l’action publique.

L’opacité des décisions publiques et des conflits d’intérêts reste entretenue par certains exécutifs, y compris au plus haut sommet de l’Etat, comme le montrent les dossiers toujours en cours que nous avons révélés comme l’affaire des sondages de l’Elysée sous M. Sarkozy (dossier conduit avec l’association Anticor dont je suis membre), le refus de communication par M. Macron de l’accord qu’il a passé le 9 avril 2015 avec les sociétés autoroutières, et qu’il considère comme « secret », les rapports de l’Inspection générale des finances sur les concessions de liaisons ferroviaires ou autoroutières, etc…

Ces rétentions d’informations publiques sont source d’altération de la démocratie, de corruption qui ne se borne pas à sa définition du code pénal, ni même aux infractions connexes de concussion, trafic d’influence, prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics, favoritisme… mais concerne toutes les altérations des décisions publiques, y compris par des conflits d’intérêts et « portes tournantes » entre public et privé, ou par l’utilisation en parallèle des comptabilités de fait, financements irréguliers, abus de biens sociaux, abus de confiance.

De notre expérience de révélations de corruptions nous en avons tiré quelques enseignements.

C’est la passivité qui est source de corruption :

  • Cette passivité est d’abord celle des membres élus des assemblées délibérantes qui sont souvent transformées en chambres d’enregistrement, alors qu’ils doivent prendre des décisions « éclairées », hors conflits d’intérêts, et contrôler les exécutifs ;
  • C’est aussi elle des membres des instances consultatives, y compris des représentants du personnel et des syndicats ;
  • Celle de directions publiques et para-publiques sous dépendance des exécutifs.
  • La passivité peut-être aussi celle d’associations, de contribuables, d’usagers des services publics, qui, dans un contexte d’atomisation, d’individualisme, de clientélisme, peuvent se borner à « participer », ou mieux « pétitionner », sans passer réellement à l’action concrète, aux actes, à l’action collective.

Agir suppose de passer de la complainte, de l’incantation aux actes, de la participation à l’action citoyenne.

  • La passivité est aussi liée à la complicité avec les pouvoirs des grands groupes privés de médias, et à l’économie de l’information qui privilégie le commentaire sur l’enquête, le twitt sur le document, le buzz sur les faits.
  • La passivité, aussi inquiétante, est celle des autorités de contrôle garante de notre République et de la démocratie : les représentants de l’Etat dans les régions et départements ne remplissent pas leur mission de contrôle de la légalité ; les juges financiers (chambres régionales des comptes, Cour des comptes, Cour de discipline budgétaire et financière) n’émettent des observations sur la gestion de l’argent public que très tardivement ; les juges administratifs (tribunal administratif, cour administrative d’appel, Conseil d’Etat) tendent à restreindre l’intérêt à agir des requérants et associations, et promeuvent un « droit souple » en faveur de régularisation des illégalités, y compris des profits de la corruption ; les juges judiciaires, et en particulier les parquets, tardent à agir concernant les atteintes à l’administration publique, à l’exception récente du parquet national financier.

L’action publique suppose le droit de savoir, de faire valoir ses droits et devoirs, y compris en droit (tant que nous sommes dans une démocratie, même si le juge administratif est aussi un conseil de l’exécutif, et si le parquet est aussi sans indépendance de l’exécutif).

L’action citoyenne doit être menée collectivement, elle suppose de la ténacité[4], et elle commence par l’accès aux informations, le droit de savoir comment sont prises les décisions publiques, et l’usage qui est fait de notre caisse commune qu’est l’argent public.

Agir pour accéder aux informations est la première action politique, et les moyens démocratiques existent que sont le code des relations entre le public et l’administration (CDRA) pour l’accès, de droit, aux documents administratifs, et l’article L.124-1 du code de l’environnement pour les informations relatives à l’environnement.

Comme nul n’a la science infuse, et que toute décision suppose de faire un choix entre plusieurs (à l’inverse de ceux qui disent « There Is No Alternative »), qu’elle suppose de contrôler et suivre ces décisions, y compris en les adaptant, nous en avons déduit que l’analyse pluraliste était une garantie d’un choix éclairé, débattu contradictoirement et publiquement, et exposé clairement[5].

Prévenir la corruption impose alors de proposer, d’amender, de contester si nécessaire, de suivre et contrôler les décisions qui nous concernent collectivement, et lorsque c’est utile de lancer des alertes.

Si vous permettez la trivialité du raccourci, il s’agit de sortir du co-con : co-llusion, co-rruption, con-nivence, con-fusion, com-plaisance, com-plicité, con-sanguinité, con-gratulation, con-cession, com-bine, com-promission, com-mission, com-pensation, con-flit d’intérêts, con-cussion…, afin d’éviter de se faire embobiner et d’être complice.

Nos affaires communes sont notre affaire. »


[1] Ont été mis en cause pour de nombreuses atteintes à l’administration publique : 8 adjoints, 6 autres maires, 6 conseillers généraux, 5 directeurs généraux et membres de cabinets, 7 dirigeants d’organismes para-publics, plus de 10 intermédiaires, plus d’une vingtaine de patrons de sociétés, 3 avocats, 2 notaires…

[2] Conseil d’Etat, 1er octobre 1997, M. Avrillier, n°133849 : « Il ressort notamment des constatations de fait opérées dans le cadre de la procédure pénale ayant donné lieu à un arrêt de cour d’appel jugeant que les contrats signés par le maire étaient la contrepartie de délits d’abus de bien sociaux, que les motifs réels de la délibération autorisant la passation de ces contrats ont été dissimulés aux membres du conseil municipal et que l’information fournie à ceux-ci a été de nature à les induire en erreur sur la portée des contrats soumis à délibération. » ; R. Avrillier et Ph. Descamps, Le système Carignon, Paris, Ed. La Découverte, 1995, 369 p.

[3] « Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme (…)

Article 13 : Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14 : Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15 : La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

Article 16 : Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

[4] Quelques exemples de délais non raisonnables de jugement d’illégalités manifestes :

Annulation de la décision illégale de redémarrage de l’expérimentation nucléaire Superphénix (actions de 1976 à décision d’annulation par le Conseil d’Etat le 28 février 1997) ; Marchés des sondages de l’Elysée (actions engagées en 2009, jugement ordonnant de les communiquer en 2012, en attente de jugement pénal de 6 personnes physiques et un institut de sondage) ; Concession du gaz et de l’électricité (décisions de 1986 et 1994 annulées par jugement de 2009, puis décision de 2012 annulée par jugement de 2017 toujours en demande d’exécution) ; Concession du chauffage urbain (actions engagées en 2004, jugement d’annulation en 2012 de décisions tarifaires de 1983) ; Marché d’une usine de traitement des ordures ménagères (décisions de 1990 annulées par jugement administratif en 1999) ; Marché de concession d’une autoroute urbaine (décision de 1990, annulée par jugement administratif en 2007) ; Marchés Decaux (de 1976 et avenants de 1998, annulés par jugement administratif en 2007 ; marché sanisettes de 1985 et 1998 annulé en 2000)

[5] Méthode que nous dénommons IADECA, comme accès aux Informations, Analyses pluralistes, Débat public contradictoire, Exposé clair des choix, Contrôle et Adaptation.

Mots-clefs : ,

Le commentaires sont fermés.