Les dégâts de la corruption à Grenoble, suite…

Publié le 13 décembre 2019

Le 9 décembre, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre la corruption, l’ADES a rappelé, lors d’une conférence de presse, que les dégâts du système corruptif grenoblois continuent à peser sur les services publics locaux, sur leurs usagers, sur les contribuables et que le retour du maire corrompu au Conseil municipal complique sérieusement la situation.

C’est pourquoi nous demandons au Préfet de saisir les autorités de contrôles, dont le tribunal administratif et la chambre régionale des comptes afin de disposer d’avis concernant l’impossibilité de fonctionnement normal des institutions locales de Grenoble en présence du retour d’un corrompu ayant manié l’argent public à des fins étrangères à l’intérêt général.

Nous réaffirmons que nous sommes pour la réinsertion des délinquants, mais pas au milieu de leurs victimes.

Le 9 décembre a été déclarée « Journée internationale de lutte contre la corruption » par l’ONU, afin de sensibiliser le monde car « La corruption engendre la corruption et favorise l’impunité, qui ronge la société… La corruption s’attaque aux fondements des institutions démocratiques » (Convention des Nations Unies contre la corruption (résolution 58/4) du 31 octobre 2003)

La corruption est « l’acte le plus grave qui puisse être reproché à un élu » (CA Lyon, 9 juillet 1996).

La corruption se poursuit au-delà de la conclusion du pacte de corruption, comme l’indique la Cour de Cassation (Cass. Crim., 27 octobre 1997, n°96-83698) :« Il n’importe que des dons, présents ou avantages aient été acceptés par une personne investie d’un mandat électif public postérieurement à l’accomplissement de l’acte de la fonction, le délit de corruption consommé dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu, se renouvelle à chaque acte d’exécution du dit pacte. »

Le système corruptif grenoblois a atteint profondément l’organisation des collectivités locales grenobloises, les finances locales, les services publics locaux, leurs tarifs, et il en reste des effets qui durent.

Depuis 1995, les contribuables grenoblois payent chaque année, au moins 10 millions d’euros pour un surendettement créé par le maire corrompu par une très mauvaise gestion de l’argent public (budgets annulés par la justice administrative). Cette perte a empêché la Ville d’entretenir correctement son patrimoine. La forte augmentation des impôts en 1992, n’a pas pu être effacée. Les majorités successives ont dû réparer les dégâts faits entre 1983 et 1995. En dernière date la dissolution du GIE Agir créé par M. Carignon a coûté cher à la ville, de même le renflouement d’Alpexpo… La Métro et le SMTC ont aussi été atteints et obligés de rectifier les erreurs commises dans divers services publics ou équipements (eau, assainissement, traitement des déchets, transports en commun, golf…).

Dans les services publics notamment dans les Sociétés d’économie mixte (SEM), des actionnaires privés dépendant directement des grands groupes privés (Lyonnaise des eaux et Générale des eaux) ont été mis aux affaires entre 1983 et 1995. Ils ont profité du système corruptif local, sans jamais avoir été appelés à rembourser les profits réalisés, ni de se retirer de leurs positions de pouvoir qui restent, notamment dans GEG et la Compagnie de chauffage où ils conservent des minorités de blocage.

Le retour du corrompu dans l’assemblée délibérante de la ville pose une question très particulière compte tenu que le système corruptif a laissé d’importantes traces dans le service public local.

Suivant l’article L.2131-11 du code général des collectivités territoriales (CGCT) :

« Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires. »

Nous avons donc écrit au préfet pour lui signaler que l’intéressé s’est mis dans une situation de ne pas pouvoir assurer son mandat, et que sa présence risque de paralyser le fonctionnement de notre collectivité publique. »

Voici le contenu de la lettre transmise au préfet de l’Isère le 9 décembre 2019 par Raymond Avrillier :

Monsieur le Préfet,

Contribuable à Grenoble, usager des services publics locaux, membre élu du conseil d’exploitation des régies métropolitaines d’eau et d’assainissement de Grenoble Alpes Métropole, j’ai l’honneur, en ce jour du 9 décembre 2019 déclaré par l’ONU « Journée internationale de lutte contre la corruption », de vous saisir dans le cadre des compétences du représentant de l’Etat dans le département chargé du contrôle de la légalité suivant l’article 72 de la Constitution et les articles L.2131-1 à L.2131-6 du CGCT.

Aux termes de l’article L.2131-11 du code général des collectivités territoriales, s’appliquant au conseil municipal de Grenoble, au conseil métropolitain de Grenoble Alpes Métropole et à leurs instances :

« Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires. »

Monsieur Alain Carignon est devenu conseiller municipal de la ville de Grenoble en décembre 2019 à la suite de démissions de personnes de la liste électorale de 2014 sur laquelle il figurait.

M. Carignon s’est ainsi mis en situation de ne pas pouvoir assurer ce mandat du fait de ses exactions, de ses actes illégaux et de ses intérêts personnels en contradiction avec l’intérêt public.

I. Sur le corrompu et les corrupteurs

Monsieur Alain Carignon a été corrompu par de grandes sociétés privées en marchandant des décisions de la collectivité sur les services publics locaux. Il a sciemment commis et bénéficié personnellement, en toute connaissance de cause, de dons, présents et avantages (appartement, voyages de villégiatures en avion, croisière sur le Bohème II, magazines de propagande personnelle, etc…) en monnayant l’accomplissement d’un acte de sa fonction, en l’espèce la concession du service des eaux et assainissement de la ville de Grenoble à la LYONNAISE DES EAUX – COGESE.

M. Carignon a bénéficié, lorsqu’il a été élu, de la confiance d’une part de ses concitoyens et d’autre part des plus hautes autorités de l’Etat qui l’ont appelé, à deux reprises, à occuper des fonctions ministérielles. Les éminentes tâches, qui lui ont ainsi été dévolues, auraient dû le conduire à avoir un comportement au dessus de tout soupçon. Au lieu de cela il n’a pas hésité à trahir la confiance que ses électeurs lui manifestaient, en monnayant le pouvoir de maire qu’il tenait du suffrage universel, afin de bénéficier d’avantages matériels qui se sont élevés à 19 073 150 francs (2 907 683 euros) et de satisfaire ses ambitions personnelles. Il a ainsi commis l’acte le plus grave qui puisse être reproché à un élu. Un tel comportement est de nature à fragiliser les institutions démocratiques et à faire perdre aux citoyens la confiance qu’il doivent avoir en des hommes qu’ils ont choisis pour exercer le pouvoir politique.

M. Carignon a tenté, abusant des fonctions ministérielles qu’il exerçait alors, d’égarer la justice, en usant de pressions sur un témoin afin qu’il modifie sa déclaration dans un sens qui lui était favorable. Un tel comportement venant d’un représentant de l’Etat, est d’une particulière gravité.

La gravité des faits commis par M. Carignon, et la persistance de son comportement troublent encore l’ordre public fondé sur la confiance que chaque citoyen doit avoir envers les institutions, politiques et sociales qui, établies par la loi, régissent l’Etat, et les hommes qui ont reçu mandat d’en être les garants.

M. Carignon continue à bénéficier de ces exactions puisqu’il n’a pas remboursé les sommes perçues ou les avantages dont il a bénéficié.

II. Sur les usagers grenoblois victimes de ces agissements

La concession du service de l’eau et du service public d’assainissement de la ville de Grenoble a ainsi été effectuée de 1989 à 1995, non après mise en concours de plusieurs candidats, examen des prestations fournies par chacun d’eux, et choix de celui présentant le maximum d’avantages pour les consommateurs tant au point de vue de la qualité des services rendus qu’à celui de leur prix, comme cela aurait dû l’être, mais uniquement parce que la société LYONNAISE DES EAUX était en mesure de procurer à Monsieur Alain Carignon, maire, des dons et avantages à usage personnel. La reprise de contrôle de ces services publics a été particulièrement difficile, la société LYONNAISE DES EAUX se maintenant irrégulièrement jusqu’en 1999 en sous-délégation.

Il résulte de cette manière de procéder, incompatible avec une concurrence saine et loyale entre les différents prestataires d’eau, et contraire à l’intérêt général des usagers du service public, représentés par l’Union Fédérale des Consommateurs « Que Choisir », un préjudice distinct à la fois du préjudice matériel de chacun d’eux, et du préjudice social relevant de l’action publique.

Afin d’évaluer la préjudice général des usagers du service public de l’eau et de l’assainissement, le rapport de la Chambre Régionale des Comptes en date du 21 novembre 1995 retient les éléments suivants :

  • après la concession de l’eau à la COGESE-LYONNAISE DES EAUX, la situation devait être bénéficiaire pour la commune dans un premier temps, et ne devait s’inverser qu’à partir de la douzième année, si bien qu’au terme des 25 ans d’affermage, le solde pour la commune, exprimé en francs constants non actualisés devait se révéler négatif à hauteur de 179 millions (rapport page 15), tout cela pour un service identique à celui assuré précédemment par les services techniques de la ville,
  • au moment où elle lui a remis ses deux services de l’eau et de l’assainissement, la commune a accepté de procurer à son fermier des moyens financiers beaucoup plus importants que ceux avec lesquels elle les avait fait jusque là fonctionner. Elle a donc consenti à ce que les usagers des deux services supportent au bénéfice du fermier des augmentations programmées à l’avance des tarifs, mais sans les assortir des justifications nécessaires dans les contrats conclus (rapport page 33),
  • il apparaît que les décisions prises cette année là (1989) pour la gestion des services de l’eau et de l’assainissement communaux ont eu pour les usagers et contribuables grenoblois un impact négatif (rapport page 34).

Autant doit être respecté le principe de réinsertion, autant le retour d’un corrompu au milieu de ses victimes, usagers des services publics locaux, est contraire aux principes républicains fixés par les articles 14 et 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Ce rappel de faits prouvés, qui prend en compte la réhabilitation légale, s’inscrit dans un débat public d’intérêt général et contraint de considérer que M. Carignon, par les avantages dont il continue de bénéficier, ne peut participer aux décisions ayant directement ou indirectement des liens avec les sociétés du groupe LYONNAISE DES EAUX devenu SUEZ, ENGIE et autres, et donc les marchés publics de Grenoble et Grenoble Alpes Métropole liés à ce groupe, les décisions concernant la société GEG dont ENGIE est le principal actionnaire privé.

Cette situation contraint tant la commune, la métropole que les services de l’Etat à un contrôle continu coûteux et à une paralysie de la collectivité publique.

III. Les autres pratiques illégales

Monsieur Alain Carignon a également bénéficié des abus de biens sociaux de la société d’économie mixte SADI puis GID en ayant fait de mauvaise foi des biens et du crédit de ces sociétés un usage contraire à l’intérêt de celles-ci, à des fins personnelles d’amitié ou de clientélisme, et avoir fait usage de faux en écriture.

M. Carignon a été considéré comme débiteur envers le département de l’Isère de la somme de 253 126,35 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 30 septembre 2004, du fait de son immixtion illégale dans les fonctions de comptable public, et du fait de l’absence d’utilité publique des dépenses portées au compte de sa gestion de fait (Cour des comptes, 30 avril 2009).

IV. Le système de corruption mis en place

Plusieurs adjoints au maire M. Carignon, membres des cabinets de M. Carignon, intermédiaires et chefs d’entreprises bénéficiant de marchés publics illégaux ont sévi à Grenoble pendant plusieurs années, de 1986 à 1994.

Ont été mis en cause 8 adjoints au maire de Grenoble alors M. Carignon, en Isère 7 maires, 7 conseillers généraux de la majorité du président du conseil général d’alors, M. Carignon, 5 directeurs généraux et membres de cabinets, 7 dirigeants d’organismes parapublics, plus de 10 intermédiaires, plus de 20 patrons, 3 avocats, 2 notaires.

Un tel système de corruption généralisé maintient des liens de dépendance dans le temps et les intéressés sont pour certains toujours en place dans des postes en lien avec la commune de Grenoble ou la métropole, voire élus.

V. Les faveurs de décisions illégales

Des présidences et directions générales d’organismes para-municipaux ou para-intercommunaux mises en place par M. Carignon lorsqu’il était en fonction ont gravement abusé de leurs fonctions, abus relevés par les juridictions administratives, financières, judiciaires. C’est le cas de la SEM GEG et ses filiales, la SEM CCIAG et sa filiale Sinergie, l’Office public d’habitat OPALE (devenu Actis), la SEM Grenoble 2000 (devenue Innovia), SEM GID (devenue Territoires 38), la SEM PFI, ainsi que les SEM Grenoble TV Câble, SEM Grenoble Parking, SEM Parking Hoche, les associations para-municipales Animation Sociale Grenoble, Grenoble Culture, Grenoble Communication, Football Club Grenoble Isère…

Des marchés publics et des concessions de service public ont été passés illégalement sous la direction de M. Carignon alors maire, pour l’éclairage public, le gaz et l’électricité (GEG), pour l’affichage urbain, le mobilier et les sanisettes (Decaux), le projet de tunnel Bouygues sous Grenoble (Carvex), les parkings en ouvrage (Vinci), le stationnement payant sur voirie (Vinci), la gestion du réseaux câblé (Grenoble TV Câble avec Générale de communication) ; au niveau intercommunal : l’agrandissement de l’usine de traitement des ordures ménagères de La Tronche, le chauffage urbain, la « concession » de l’usine d’épuration du Fontanil (Générale des eaux et Lyonnaise des eaux), la « concession » aux entreprises privées de la deuxième ligne de tramway (SATURG) ; sous la direction de M. Carignon président du conseil général : des marchés routiers du département de l’Isère (affaires Cupillard) ; des marchés du CHURG…

Des embauches illégales ont été réalisées à la mairie de Grenoble, au conseil général de l’Isère, dans des organismes para-publics tels GID, SEM Parking Hoche, CODASE, Alpes Congrès…

Des décisions financières illégales ont été prises : budget primitif 1990, compte administratif 1992, budget primitif 1993, reprise par la ville d’emprunts de la Chambre de commerce de Grenoble, acquisitions d’œuvres d’art du Musée de Grenoble, emprunts de l’échangeur d’Alpexpo, tarifs du chauffage urbain, tarifs du gaz et de l’électricité, tarifs de l’eau et de l’assainissement…

M. Carignon reste donc lié et intéressé par ces sociétés, organismes, associations, personnes qui ont été favorisées par ses décisions illégales qu’il a décidé, directement ou indirectement, en tant que maire de Grenoble de 1983 à 1995, président du SIEPARG de 1983 à 1985, président du conseil général de 1985 à 1995.

L’intéressé se place en situation de conflit d’intérêts, et sa présence dans des instances où il a sévi fait peser des risques importants sur un grand nombre de décisions de la collectivité.

Il s’agit de protéger rapidement et efficacement l’intégrité des procédures et décisions publiques locales en écartant un intervenant qui serait susceptible, par ses conflits d’intérêts compromettant leur impartialité ou leur indépendance, de la vicier.

VI. Les liens d’intérêts des fonctions privées

M. Carignon a pour fonctions privées, à travers la société Alcarena depuis 1999, celles de « Conseil pour les affaires et autres conseils de gestion » pour des sociétés privées qui lui ont permis de capitaliser plusieurs centaines de milliers d’euros de profits.

L’application de l’article L.2131-11 du CGCT impose donc de connaître quels sont les liens d’intérêts de l’intéressé avec quelles sociétés.

Pour tous ces motifs, j’ai l’honneur de vous demander de saisir les autorités de contrôles dont le tribunal administratif et la chambre régionale des comptes afin de disposer d’avis concernant l’impossibilité de fonctionnement normal des institutions locales de Grenoble en présence du retour d’un corrompu ayant manié l’argent public à des fins étrangères à l’intérêt général.Souhaitant être informé des suites que vous donnez à cette demande, je vous prie d’agréer, Monsieur le Préfet, mes respectueuses salutations. »

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