Le Conseil d’Etat démolit les projets de lois sur les retraites

Publié le 1 février 2020

L’article 39 de la Constitution impose que le Premier ministre demande au Conseil d’Etat un avis sur tous les projets de loi qui seront ensuite délibérés en Conseil des ministres puis déposés sur le bureau soit de l’Assemblée Nationale, soit du Sénat. Cet avis obligatoire porte sur la régularité juridique des textes, leur forme et la pertinence des propositions au regard des objectifs poursuivis ainsi que les risques juridiques encourus par l’Etat. En général, suite à l’avis du Conseil d’Etat, le gouvernement finalise le texte de loi, mais l’avis n’étant que consultatif il peut passer outre, c’est ce qu’il a fait.

Première remarque, c’est la très grande précipitation du gouvernement qui a exigé d’avoir l’avis sous 3 semaines, alors que le dossier est très complexe et en pleine évolution.

« Le Conseil d’Etat a été saisi le 3 janvier 2020 d’un projet de loi organique « relatif au système universel de retraite » et d’un projet de loi « instituant un système universel de retraite ». Ces deux textes ont fait l’objet de saisines rectificatives respectivement les 9, 10, 13, 14, 15 et 16 janvier 2020. Les deux projets visent à réaliser une réforme de grande ampleur de l’assurance vieillesse et des régimes complémentaires obligatoires de retraite conduisant à la mise en place d’un « système universel de retraite » (SUR). »

L’avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat dans ses séances des 16 et 23 janvier 2020.

« Le Conseil d’Etat souligne qu’eu égard à la date et aux conditions de sa saisine, ainsi qu’aux nombreuses modifications apportées aux textes pendant qu’il les examinait, la volonté du Gouvernement de disposer de son avis dans un délai de trois semaines ne l’a pas mis à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé. Cette situation est d’autant plus regrettable que les projets de loi procèdent à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social. »

Le Conseil des ministres a adopté les deux projets de loi le 24 janvier et les a déposés au bureau de l’Assemblée nationale pour être examiné dès le 27 janvier par une commission… C’est la marche forcée à toute allure, le gouvernement craint que le débat ne dure trop longtemps. Il est vrai que plus le temps passe et moins le projet est compréhensible.

Dans son avis, le Conseil d’Etat dézingue la contre-réforme des retraites de Macron. La claque est sévère. Voici les principales critiques du Conseil d’Etat qui donne de bons arguments aux oppositions pour mener la bataille législative ainsi qu’aux syndicats.

Sur l’insuffisance des projections financières. « le Conseil d’Etat constate que les projections financière ainsi transmises restent lacunaires et que, dans certains cas, cette étude reste en deçà de ce qu’elle devrait être » (§3, page 4). Voir aussi l’article de 6 économistes (dont Piketty) dans le Monde du 30 janvier « l’étude d’impact n’est pas à la hauteur des enjeux » !

29 ordonnances. « Le Conseil d’Etat souligne que le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité. » (§7, page 6).

Sur la prétendue instabilité du système. « Le projet de loi intervient dans un contexte de relative solidité du système français de retraite (…) » (§9, page 6).

Contre l’argument de rupture d’égalité parce qu’il y aurait trop de régimes différents : « le Conseil constitutionnel juge inopérante l’invocation du principe d’égalité à propos des différences entre régimes de retraite (notamment décision 2013-683 DC du 16 janvier 2014, § 24) » (§10, page 7).

Sur l’universalité du nouveau régime. « Toutefois, le projet de loi ne crée pas un ‘régime universel de retraite’ (…) Est bien créé un « système universel » par points applicable à l’ensemble des affiliés (…) mais à l’intérieur de ce « système » existent cinq « régimes ». (…) A l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour les professions concernées. En termes de gestion, sont maintenues plusieurs caisses distinctes (…) ». (§12, page 8).

Le Conseil d’Etat dézingue la contraction budgétaire. « Le Conseil d’Etat constate que le projet a pour objectif de stabiliser la dépense liée aux retraites à 14% du PIB. Or le nombre de personnes de plus de soixante-cinq ans étant appelé à augmenter de 70% d’ici à 2070, il appelle l’attention du Gouvernement sur la nécessité, pour le cas où le maintien du niveau relatif des pensions individuelles serait assuré par une élévation de l’âge de départ à taux plein, d’appréhender l’impact de telles évolutions sur les comptes de l’assurance-chômage, compte tenu du faible taux d’emploi des plus de 65 ans, et les dépenses de minima sociaux, toutes données qui sont absentes de l’étude d’impact du projet de loi. » (§13, page 8). Mais en fait il ne s’agit pas d’une stabilisation des dépenses liées au retraites qui est prévue, mais bien une diminution en pourcentage du PIB qui est indiquée dans l’étude d’impact. Au vu du vieillissement de la population il est évident que le poids des retraites devrait augmenter dans le PIB. Ce projet vise à faire d’importantes économies à ce sujet, d’où le refus par une large majorité de la population de ce projet.

Un euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous : un mensonge. « Le Conseil d’Etat relève enfin que l’objectif selon lequel ‘chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous’ reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de loi. » (§28, page 16).

Les promesses de revalorisation des enseignants et chercheurs tombent à l’eau, elles étaient floues et inconstitutionnelles. Aucune promesse inscrite dans le texte donc. « Le Conseil d’Etat écarte les dispositions qui renvoient à une loi de programmation, dont le Gouvernement entend soumettre un projet au Parlement dans les prochains mois, la définition de mécanismes permettant de garantir aux personnels enseignants et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire une revalorisation de leur rémunération afin de leur assurer un niveau de pension équivalent à celui de fonctionnaires appartenant à des corps comparables. Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution ». (§29, page 16).

Les défauts graves du système à points. Il « pénalise en revanche les carrières complètes pendant lesquelles les assurés connaissent des années d’emploi difficiles, associées au versement des cotisations nettement moins élevées que sur le reste de leur carrière, dont la règle de prise en compte des 25 meilleures années, applicable au régime général et dans les régimes alignés, supprimait les effets pour le calcul de la pension de retraite. Enfin, il retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système. » (§37, page 18).

Âge d’équilibre = Travailler plus pour gagner autant. « il contraint les assurés qui disposent de la durée du taux plein dès l’âge d’ouverture du droit à retraite, donc ayant commencé à travailler jeunes et accompli une longue carrière, à reporter leur départ pour ne pas diminuer la pension servie. Au total, l’introduction de l’âge d’équilibre se traduirait, selon les estimations du Gouvernement, par un recul de l’âge effectif de départ qui attendrait 65 ans et 2 mois pour la génération 2000, contre 64 ans et 6 mois à droit inchangé. » (§38, page 18).

Pour lire l’avis complet, cliquer ici.

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