On ne doit pas tout sacrifier à l’intérêt de la santé publique

Publié le 27 mars 2020

Lors des crises graves, les pouvoirs publics sont enclins à mettre en cause l’état de droit pour pouvoir agir vite et fort. En général l’arsenal du droit existant est suffisant, mais parfois il est inexistant ou mal adapté ; d’où les lois d’urgence qui limitent les libertés individuelles et collectives, en général de manière provisoire, mais il en reste toujours quelque chose, on l’a vu pour le maintien de l’état d’urgence inscrit dans le droit ordinaire.

Le volet économique et social de la loi adoptée le 22 mars, habilite le gouvernement à prendre par ordonnances des mesures législatives de soutien aux entreprises, mais également des dispositions dérogatoires au droit du travail en matière de congés payés et de temps de travail. Inutile de rappeler que les moyens alloués actuellement aux hôpitaux sont très insuffisants.

C’est pourquoi il est important que des voix s’élèvent pour tirer le signal d’alarme et éviter que l’arbitraire ne prenne le dessus. Par exemple, la Ligue des Droits de l’Homme a critiqué le 19 mars, les nouvelles lois d’urgence sanitaire.

« La Ligue des droits de l’Homme… constate que les dispositions appelées à être votées permettront, comme pour l’état d’urgence, de maintenir en application des dispositions limitant les libertés individuelles et collectives pour une durée laissée, en fait, à la libre appréciation du pouvoir exécutif et de sa majorité parlementaire.

La création d’un comité scientifique, dont la composition reflète le manque d’indépendance, n’est pas de nature à offrir quelque garantie que ce soit.

Dans ce contexte, le recours à des ordonnances, dont une partie porte atteinte directement à certains droits sociaux, ne peut qu’accroître l’inquiétude. Elle s’étonne donc que le moratoire sur les coupures de gaz et d’électricité s’appliquent aux petites et moyennes entreprises (PME) et pas pour les personnes les plus démunies.

Après des élections municipales tantôt validées, tantôt reportées, c’est encore la vie démocratique du pays qui est mise en cause par la précipitation à faire adopter un texte qui n’est pas évidemment nécessaire.

Tout en ayant conscience de la nécessité de mettre en œuvre les mesures essentielles à juguler l’épidémie en cours, la LDH entend rappeler avec force que cela ne saurait autoriser les pouvoirs publics à porter atteinte aux libertés au-delà de ce qui peut être strictement indispensable à la lutte contre l’épidémie.

Elle entend aussi rappeler que les personnes résidant en France en situation de fragilité ou sous la responsabilité des pouvoirs publics doivent bénéficier de mesures spécifiques de nature à ce qu’elles ne soient pas pénalisées du fait de leur situation. »

De même M. D. Truchet, professeur émérite en droit public, publie dans « Le Monde » du 21 mars une interview où il discute de la notion de proportionnalité qui est inscrite dans l’article L 3131-1 du code de la santé publique.

Cet article de loi date de 2007 et prend en compte la crise du SRAS de 2003 : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. »

M. Truchet explique : « l’exigence de proportion à la gravité de la menace d’une part, aux moyens dont on dispose pour y faire face d’autre part, est en effet une exigence générale de tout le droit de la police administrative. C’est évidemment une notion extrêmement subjective. Pour cette raison, elle déconcerte ou irrite beaucoup de non-juristes, qui ont du mal à entendre que les décisions prises impliquent toujours un choix entre les restrictions aux libertés qu’impose la situation et la nécessité de ne pas aller trop loin. Proportionné, cela veut dire très exactement cela, et ce n’est pas beaucoup plus précis : il faut en faire ni trop ni trop peu, par rapport à ce qui est nécessaire pour gérer la situation. »

Et à propos du maintien du 1er tour des élections municipales : « Dans un contexte comme celui-ci, il s’agit d’effectuer une pesée, de chercher un équilibre. Le pouvoir politique a estimé que, malgré la gravité de la menace sanitaire, il était très important pour la vie démocratique du pays que les élections municipales puissent se tenir. On peut être d’accord ou pas avec cette décision, mais ce choix n’est pas l’effet du hasard : c’est sa responsabilité, et c’est aussi le risque qu’il prend. Même dans une crise épidémique grave, on ne doit pas tout sacrifier à l’intérêt de la santé publique. Il demeure d’autres intérêts généraux, et des libertés fondamentales qu’il faut concilier avec la gestion sanitaire… »

Le 22 mars, le Conseil d’Etat a rejeté un référé liberté porté par des associations de médecins qui exigeaient que le gouvernement décide d’un confinement total, qui selon lui aurait été disproportionné, mais enjoint au gouvernement sous 48 heures de prendre les mesures suivantes : « – préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ;
– réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs, à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ;
– évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation. »

Dans l’ordonnance les juges précisent qu’il appartient aux différentes autorités de l’Etat et des maires « de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.

D’autre part, aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.

Le droit au respect de la vie, rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque l’action ou la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par cet article, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser le danger résultant de cette action ou de cette carence. Toutefois, ce juge ne peut, au titre de cette procédure particulière, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a, dans ce cadre, déjà prises. »

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