NOIRE

Publié le 5 juin 2020

Un témoignage d’une militante de l’ADES et de sa fille, ce sont 2 voix et 2 générations de femmes noires (mère et fille) qui ensemble ont réagi et ont mêlé leurs voix, leurs souvenirs et leurs peines :

Je suis NOIRE.

Pas « black » mais NOIRE.

Une femme noire en colère. Pas en colère comme l’étiquette de « Angry black woman », le stéréotype de la « femme noire agressive » qu’on nous colle à la peau, mais en colère car la pigmentation de ma peau a été, est et sera ce qui conditionnera ma vie ainsi que celle de mes enfants et petits-enfants.

En colère parce que je dois toujours faire profil bas car :

1) Je suis une femme, et encore en 2020 une femme ça doit être « tout doux », ça ne doit pas faire de bruit. Une femme ça reste à sa place, une femme doit savoir faire des concessions, une femme doit savoir tenir son intérieur, enfants compris.

2) Et en plus, je suis NOIRE (« ne parle pas trop fort, tu vas te faire remarquer », « sois gentille, souris à la dame qui refuse de monter dans le même ascenseur que toi et tes enfants du fait de votre couleur de peau »…)

En colère parce que ceux qui ne la vivent pas, minimisent ma peine.

En colère parce que depuis mon plus jeune âge on m’a annoncé la couleur :  » pour arriver au même résultat, tu devras toujours en faire 2 fois plus que les autres ».

En colère parce que quand je dois voyager, je choisi le pays à visiter selon l’endroit où nous pourrions le plus se fondre dans la masse, où mes enfants se sentiraient en sécurité et où nous ne risquerions pas notre vie.

En colère car ma couleur est assimilée à la paresse, à ceux qui profitent des aides sociales, à ceux à qui on doit venir en aide, à ceux qu’on doit civiliser, à ceux qui doivent être guidés car « les pauvres ils ne connaissent pas le bon chemin ».

En colère de devoir encore serrer les dents quand en arrivant dans une administration ou pour une embauche on me demande si je sais écrire ou lire, ou on me montre où se trouve le chariot de ménage.

En colère parce que ma première discussion embarrassante avec mes enfants quand ils étaient petits n’avait pas pour sujet « comment on fait les bébés » mais plutôt  « non mes chéris nous ne sommes pas NOIRS parce que nous ne nous lavons  pas » ou encore « non mon fils nous n’avons pas une fine couche de caca qui rend notre peau de cette couleur »  et maintenant qu’ils sont un peu plus grands les discussions sont plutôt du genre : « fais attention quand tu sors, aux adultes mal intentionnés (les pédophiles, les dealers (qui, pour info, ne sont pas tous NOIRS !) qui voudraient que tu leur rendes « un petit service » …) oui ma fille/mon fils fais attention. Aussi, face à la police, reste sur tes gardes, adapte ton comportement car un geste plus ou moins brusque de ta part peut avoir de dangereuses conséquences et ce peu importe les torts qui pourraient t’être reprochés. Ta couleur de peau modifie dangereusement les comportements ».

Sûrement cette couleur fait peur mais aussi elle fascine, sinon pourquoi tant d’ardeur pour nous anéantir, nous faire douter, nous stigmatiser. Parce que pour faire preuve d’honnêteté il faut montrer patte blanche mais quand tu fais un travail non officiel donc illégal, tu travailles au ‘black’ et même en musique, une blanche vaut 2 noires.

Tant d’ardeur à nous étiqueter comme toujours potentiellement dangereux et à tourner les armes contre nous, même quand nous avons les mains en l’air, même quand nous courons faisant juste notre jogging, même quand nous sommes à terre et que plaqués sous leurs genoux nous ne respirons déjà plus.

On ne nous apprend pas grand chose sur l’histoire des NOIRS. Apparemment nous ne sommes pas entrés dans l’histoire. Alors il faudrait rappeler que notre histoire ne commence pas avec l’esclavage, rappeler que beaucoup de nos royaumes étaient des exemples de gouvernance dans lesquelles les femmes avaient une réelle place et aussi des royaumes guerriers qui ont combattu contre les envahisseurs dont les colons blancs.  Et rappeler surtout que le drame du continent africain, scandale géologique comme disent les savants c’est sa richesse. Son sol, son sous-sol, son littoral, ses côtes, objets de tant de convoitises et malheureusement, avec la complicité et la cupidité servile de certains des nôtres, chaque chance de s’affranchir de la tutelle des colons puis des multinationales est suivie par un coup d’état ou un assassinat.

Alors par manque de cet apprentissage historique et cette lecture socio-économique, nous nous sommes construits et nous construisons à la lumière de ce qu’on dit et on pense de nous.

On nous appelle les « minorités » qui signifie entre autre « un état d’infériorité numérique ». Alors faisons comme si l’utilisation de ce terme partait d’une bonne intention et portait uniquement sur le nombre. Nous, les NOIRS serions donc ‘minoritaires’ par rapport aux autres ethnies.

Savez-vous seulement combien de milliards de personnes sur notre planète ont de la mélanine dans leur peau?

Bien sûr il y a beaucoup de noirs dans le continent africain (mais il y a aussi des africains blancs), il y a des NOIRS en Amérique du nord comme du sud, il y a des NOIRS en Asie, en Océanie et en Europe, bref nous sommes partout et parfois même nous sommes dissimulés ; oui, de plus en plus de personnes à la peau blanche ont du NOIR dans leurs gènes.

Alors et si nous nous regardions en face ? Si nous nous comptions nous tous les NOIRS de la terre, ceux dont la couleur va de l’ébène à l’ivoire, toutes les personnes dont la vie ne vaut rien pour le peuple dit « dominant », si nous sortions tous et si tous, nous mettions un genou à terre, sans arme sans violence et sans haine, juste pour leur montrer notre nombre, notre force, alors peut-être, et même certainement, la peur changerait de camp.

Que c’est triste, tant d’années après Martin Luther King, de se voir faire encore ces mêmes gestes, d’avoir encore ces mêmes revendications, mais quand je fais le tour de mes ami.e.s et ceux de mes enfants et petits-enfants, devant tant de diversités, je me demande bien ce que voudra encore dire ce mot NOIR, le jour d’après.

Stéphanie M. et Eveline B. : 2 voix et 2 générations de femmes noires (mère et fille) qui ensemble réagissent, mêlent leurs voix, leurs souvenirs et leurs peines.

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