Le Conseil d’Etat se compromet avec un important lobby

Publié le 9 octobre 2020

L’Institut de la Gestion Déléguée (IGD) est un lobby très discret, réunissant de très nombreuses entreprises privées intéressées directement par la gestion des services publics ainsi que des représentants d’administrations publiques ou d’associations d’élus.

Raymond Avrillier vient de découvrir et rendre public que ce travail de lobbying dépassait les règles imposées par la loi et la plus élémentaire déontologie, notamment lorsque IGD utilise des magistrats de la plus haute juridiction administrative, le Conseil d’Etat, pour influencer les décisions de justice dans les domaines très sensibles des délégations de service public, des partenariats publics-privés ou de la commande publique. C’est clairement exprimé par IGD, pour qui l’objectif des échanges est de « sensibiliser le Conseil d’État sur les conséquences économiques, sociales et environnementales de la jurisprudence administrative ; l’alerter, en tant que de besoin, sur les décisions parfois contradictoires des juridictions de première instance et d’appel ou sur des décisions qui posent des questions de principe ». La « sensibilisation » a-t-elle porté par exemple sur le dossier du recours porté contre le projet Lyon-Turin, rejeté sans trop de motivations par le Conseil d’Etat alors que de nombreuses grosses entreprises et personnalités membres de l’IGD sont directement intéressées à la réalisation de ce méga-projet de travaux publics ?

Raymond Avrillier a alerté le vice-président du Conseil d’Etat le 9 septembre avec une copie au président du Collège de déontologie de la juridiction administrative.

Cela a entrainé une réaction rapide du vice-président du Conseil d’Etat qui a affirmé qu’il n’était pas au courant de l’existence du groupe de contact formé de magistrats du conseil d’Etat avec IGD et a minimisé la réalité du travail effectué tout en reconnaissant que ce n’était pas normal puisqu’il a arrêté la poursuite de cette collaboration.

Pour connaitre tous les détails de cette affaire, voir l’article très complet de Médiapart ici.

Le vice-président du Conseil d’Etatexplique qu’il a pris deux décisions. « Même si le contenu de ces échanges, au cours desquels des membres du Conseil d’État ont présenté et expliqué des décisions publiques, n’est pas de nature à porter une quelconque atteinte à l’indépendance et à l’impartialité du Conseil d’État, le positionnement de l’IGD me conduit à refuser toute nouvelle demande d’échange de ce type », indique-t-il d’abord. Le vice-président a décidé « également de saisir le collège de déontologie de la juridiction administrative » pour qu’il rende un avis sur le principe même de ce type d’échanges et sur les « précautions particulières » qui seraient à recommander « pour éviter qu’elles nourrissent des procès d’intention ou jettent un doute sur l’impartialité du juge ».

Raymond Avrillier, à qui nous avons transmis cette réponse du vice-président du Conseil d’État, se dit à moitié satisfait. « M. Bruno Lasserre met en cause l’usage que l’IGD fait de cette première réunion de contact, mais il n’y a pas eu que cela : il y a eu aussi des “échanges” que le responsable de la juridiction fait mine d’oublier. Et il ne dit rien sur Frédéric Tiberghien, conseiller d’État puis conseiller d’État retraité qui est membre des instances dirigeantes de l’IGD dans les deux cas et initiateur du “groupe de contact” », observe-t-il.

Il ajoute : « Notez que j’ai demandé les ordres du jour, comptes rendus, etc., et là, il se contente de rapporter ce que ses chers collègues (nombreux à cette réunion) lui ont dit : une heure et demie, des exposés comme s’il n’y avait pas eu d’échanges (l’IGD écrit “échanges”) et seulement une fois, bref une passade que l’on pardonnera à la jeunesse de cette institution qu’est le Conseil d’État… »

Ultime remarque de Raymond Avrillier : « Le vice-président du Conseil d’État saisit la commission de déontologie, qui pourrait bien devenir une commission d’enterrement, sur une question générique mais pas sur la situation particulière que j’ai décrite. Bref, suivant l’habileté habituelle, un enterrement en douceur tout en reconnaissant qu’il y a une question à poser. Et d’estimer : « Autant il est normal que des membres du Conseil d’État échangent avec des universitaires ou des juristes sur la jurisprudence, autant ils ne peuvent être en relation avec des représentants d’intérêts privés mettant en œuvre une stratégie d’influence, des lobbys, comme l’IGD, dont l’objet est d’influencer les institutions et les juridictions au profit des concessions au privé de services publics, des partenariats public-privé, des privatisations. Les relations entretenues entre l’IGD et des membres du Conseil d’État ont été menées par des dirigeants de grands groupes privés directement intéressés à des affaires en cours. »

Alors que, le plus souvent, c’est la haute fonction publique de Bercy et notamment l’Inspection des finances qui est pointée du doigt pour les liens consanguins qu’elle entretient avec les milieux d’affaires parisiens, cette fois c’est le Conseil d’État qui est mis en cause pour la même raison. C’est dire que cette affaire risque d’ébranler durablement cette juridiction.

Et pour connaitre IGD voir son site ici.

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